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15/04/2022 | FRANCE | N°20NT02895

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 15 avril 2022, 20NT02895


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... et l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) D... ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler, d'une part, l'arrêté du 10 juillet 2015 par lequel le maire de la commune de Périers-en-Auge a délivré à M. B... un permis de construire une maison individuelle sur un terrain situé chemin des eaux et, d'autre part, l'arrêté du 6 janvier 2017 par lequel cette même autorité a délivré à M. B... un permis de construire modificatif.

Par un jugement n° 1902179 d

u 15 juillet 2020, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande.

Procédure ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... et l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) D... ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler, d'une part, l'arrêté du 10 juillet 2015 par lequel le maire de la commune de Périers-en-Auge a délivré à M. B... un permis de construire une maison individuelle sur un terrain situé chemin des eaux et, d'autre part, l'arrêté du 6 janvier 2017 par lequel cette même autorité a délivré à M. B... un permis de construire modificatif.

Par un jugement n° 1902179 du 15 juillet 2020, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 14 septembre 2020, le 23 décembre 2020, le 25 janvier 2021 et le 8 mars 2021, M. D... et la EARL D..., représentés par Me Launay, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Caen ;

2°) d'annuler les arrêtés contestés ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la composition du dossier de la demande n'était pas conforme aux articles R. 431-8, R. 431-9 et R. 431-10 du code de l'urbanisme ;

- il a été délivré à la faveur d'un classement en zone constructible, par la carte communale, entaché d'illégalité ;

- les dispositions des articles L. 111-3 et R. 111-14 du code de l'urbanisme, applicables du fait de l'illégalité dont est entachée la carte communale, font obstacle au projet ;

- le projet méconnaît les dispositions de l'article R. 111-5 du code de l'urbanisme ;

- il méconnaît également les dispositions de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme ;

- l'illégalité du permis de construire initial prive de base légale le permis de construire modificatif.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 décembre 2020, le ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- les demandeurs n'établissent pas que le projet qu'ils contestent est de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de leur bien, en application de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme ;

- faute d'avoir introduit leur recours dans un délai raisonnable à compter de l'affichage du permis de construire, leur demande est irrecevable ;

- le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme n'est pas fondé ;

- pour le surplus, il renvoie aux écritures produites par le préfet du Calvados en première instance.

Par des mémoires, enregistrés le 23 novembre 2020, le 3 février 2021 et le 12 mars 2021, M. B..., représenté par Me Bouthors-Neveu, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge des requérants d'une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- l'action des requérants n'est pas motivée par des considérations d'urbanisme de sorte que ces derniers sont dépourvus d'intérêt à agir ;

- la demande est tardive, la seule omission de la hauteur sur le panneau d'affichage du permis n'ayant pas fait obstacle au déclenchement du délai de recours contentieux ;

- le vice, à le supposer caractérisé, tenant à l'insuffisance du dossier de la demande de permis est susceptible d'être régularisé sur le fondement de l'article L. 600-5-1 du code de justice administrative ;

- les moyens nouveaux soulevés dans le mémoire enregistré le 25 janvier 2021 sont irrecevables en application de l'article R. 600-5 du code de l'urbanisme.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office.

Des observations présentées par le ministre de la transition écologique ont été enregistrées le 9 mars 2022.

Des observations présentées par M. B... ont été enregistrées le 10 mars 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bougrine,

- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,

- les observations de Me Launay, représentant M. D... et la EARL D... et les observations de M. C... substituant Me Bouthors-Neveu et représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 10 juillet 2015, modifié par un arrêté du 6 janvier 2017, le maire de la commune de Périers-en-Auge (Calvados) a, au nom de l'Etat, délivré à M. B... l'autorisation de construire une maison individuelle, d'une surface de plancher de 218 mètres carrés, sur son terrain situé chemin des eaux sur le territoire de cette commune. M. D... et l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) D... relèvent appel du jugement du 15 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation. ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction.

4. Le projet litigieux est implanté à l'ouest d'une vaste parcelle, anciennement cadastrée A 238, sur laquelle est construite, dans sa partie orientale, une maison d'habitation. Cette parcelle jouxte au sud la parcelle non bâtie, cadastrée A 260, d'une superficie de 11 580 mètres carrés, appartenant à M. D.... Les requérants soutiennent que cette dernière parcelle ainsi que la parcelle A 59, vierge de toute construction, qui la borde dans sa limite sud et n'est pas mitoyenne du terrain d'assiette du projet, sont occupées par la EARL D... qui les exploite à des fins agricoles. Ils font valoir, par ailleurs, que le projet de M. B... sera visible, altérera le paysage, compromettra la vocation agricole du secteur et générera des ruissellements sur les parcelles qu'ils possèdent ou occupent et utilisent.

5. D'une part, il ressort du relevé d'exploitation se rapportant à la situation cadastrale au 16 octobre 2018 que la EARL D... exploite les parcelles A 260 et A 59. Celles-ci figurent également sur le " registre parcellaire graphique 2020 " déclaré par la société. Ainsi, alors même M. D... a en 2017 et 2018 sollicité des renseignements et une autorisation en vue de construire sur sa parcelle A 260 une maison d'habitation et que le procès-verbal de constat d'huissier dressé le 17 décembre 2019 à la demande de M. B... relève l'absence d'animaux, la EARL D... doit être regardée comme établissant utiliser, pour les besoins de son activité agricole, les parcelles considérées.

6. Toutefois, la EARL D... n'explique pas en quoi la visibilité du projet et l'altération du paysage qu'elle invoque affecteraient les conditions dans lesquelles elle utilise et exploite ces terres agricoles. En outre, si sous l'empire du plan local d'urbanisme entré en vigueur en 2017, le secteur a été classé en zone A dont le règlement interdit la construction de maison d'habitation, il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet de M. B... serait susceptible de générer un conflit d'usage ou de gêner l'activité de l'exploitation. Au demeurant, des maisons d'habitation existent déjà sur les parcelles limitrophes. Par ailleurs, il est soutenu que le projet, qui n'est pas desservi par le réseau public d'assainissement et qui est implanté sur un terrain pentu, est de nature à favoriser les ruissellements en direction des parcelles A 59 et A 260. Néanmoins, M. B... produit l'avis favorable du service public d'assainissement ainsi que l'étude d'assainissement réalisée en 2015 par le bureau d'études Hydrolia dont il ressort, notamment, que le terrain d'assiette n'est pas situé dans un axe d'écoulement des eaux de ruissellement et que, en dépit d'une pente de 7 % et d'une perméabilité médiocre du sol, des solutions de filières d'assainissement sont réalisables. Au vu de ces éléments, le phénomène de ruissellement allégué doit être regardé comme dépourvu de réalité.

7. D'autre part, M. D... qui, ainsi qu'il a été dit précédemment, possède la parcelle A 260, est le voisin immédiat du terrain d'assiette du projet. Il indique que compte tenu de la topographie, le projet sera visible depuis sa parcelle située en contrebas. Il soutient également que la construction projetée portera atteinte au paysage de bocage herbager caractéristique des coteaux du Pays d'Auge. Toutefois, ces éléments ne sont pas de nature à établir une atteinte directe aux conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du terrain que M. D... indique dédier à l'activité agricole. Au demeurant, alors que la hauteur maximale du projet s'élève 8,40 mètres, il ressort du constat d'huissier produit par M. B... qu'une haie vive comportant plusieurs arbres de haute taille sépare les deux parcelles. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que la construction projetée serait susceptible de porter une atteinte à la vocation agricole du secteur. De même, eu égard aux éléments factuels exposés au point précédent, le risque de ruissellement invoqué est dépourvu de caractère sérieux. Enfin, les allégations confuses des requérants relatives aux zones humides et à la biodiversité ne permettent pas davantage de comprendre l'éventuelle incidence qu'aurait le projet de M. B... sur les conditions d'occupation, d'utilisation et de jouissance de son bien par M. D....

8. Il suit de là qu'en jugeant que M. D... et la EARL D... ne justifiaient pas d'un intérêt leur donnant qualité pour agir contre le permis de construire et le permis de construire modificatif délivrés à M. B..., le tribunal administratif de Caen n'a pas entaché son jugement d'irrégularité.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le fond du litige, que M. D... et la EARL D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, lequel n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge solidaire de M. D... et de la EARL D... le versement à M. B... E... la somme de 1 500 euros au titre des frais de même nature qu'il a exposés.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. D... et de la EARL D... est rejetée.

Article 2 : Il est mis à la charge solidaire de M. D... et de la EARL D... le versement à M. B... E... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à l'exploitation agricole à responsabilité limitée D..., à la ministre de la transition écologique et à M. B....

Copie sera en outre transmise pour son information au préfet du Calvados.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2022, à laquelle siégeaient :

M. Pérez, président de chambre,

Mme Douet, présidente-assesseure,

Mme Bougrine, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 avril 2022.

La rapporteure,

K. BOUGRINE

Le président,

A. PEREZ

La greffière,

A. LEMEE

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT02895


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT02895
Date de la décision : 15/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: Mme Karima BOUGRINE
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : SELARL CHRISTOPHE LAUNAY

Origine de la décision
Date de l'import : 26/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-04-15;20nt02895 ?
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