Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. G... B... D... et Mme E... F... épouse B... D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 3 février 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 23 novembre 2020 des autorités consulaires françaises à Tunis (Tunisie) refusant de délivrer à l'enfant C... Ben D... un visa de court séjour d'établissement en qualité de membre de la famille d'un ressortissant de l'Union européenne.
Par un jugement no 2103903 du 4 octobre 2021, le tribunal administratif de Nantes a, d'une part, annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, et, d'autre part, enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à C... Ben D... un visa de court séjour d'établissement dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée sous le no 21NT02824 le 8 octobre 2021, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. et Mme B... D... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la jeune C... n'est pas membre de la famille d'un ressortissant de l'Union européenne dès lors que son adoption n'a pas été reconnue par les autorités britanniques ;
- le jugement tunisien d'adoption est dénué de force probante dès lors qu'il viole les stipulations des articles 7 et 21 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ainsi que les articles 4, 7 et 21 de la convention de la Haye, qu'aucun des organes compétents en France et en Tunisie n'a été consulté et que le jugement tunisien d'adoption repose sur des renseignements parcellaires ou faux ;
- aucun visa au titre de l'adoption n'a été sollicité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 décembre 2021, Mme E... F... épouse B... D... et M. G... B... D..., représentés par Me Ghounbaj, concluent :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la requête du ministre est irrecevable dès lors qu'il demande la confirmation de la décision expresse de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France intervenue le 8 septembre 2021, qui n'a pas été contestée devant le tribunal administratif de Nantes ni annulée par ce dernier ;
- la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est insuffisamment motivée dès lors que la commission n'a pas répondu à leur demande de communication des motifs, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen de la situation personnelle des demandeurs ;
- la jeune C... est membre de famille d'une ressortissante britannique ;
- le jugement d'adoption tunisien respecte le droit tunisien applicable ;
- la décision de la commission de recours a été prise en méconnaissance de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne, de la directive 2004/38/CE et des dispositions des articles L. 121-1 et R. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette même décision a été prise en violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles 3, paragraphe 1, et 20 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R.611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que, en s'abstenant de rediriger les conclusions de la demande de première instance vers la décision du 8 septembre 2021, et en annulant la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, alors que cette décision avait disparu rétroactivement de l'ordonnancement juridique, le tribunal administratif de Nantes a entaché son jugement d'une irrégularité.
Par un mémoire, enregistré le 18 février 2022, M. et Mme B... D... ont présenté des observations sur ce moyen susceptible d'être relevé d'office.
II. Par une requête, enregistrée sous le no 21NT02825 le 8 octobre 2021, le ministre de l'intérieur demande à la cour d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Nantes du 4 octobre 2021.
Il soutient, en se référant aux mêmes moyens que ceux développés dans sa requête d'appel enregistrée sous le n° 21NT02824, que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 décembre 2021, M. et Mme B... D..., représentés par Me Ghounbaj, concluent :
1°) au rejet de la demande de sursis à exécution du jugement ;
2°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la requête du ministre est irrecevable ;
- les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, en date du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ;
- l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique, approuvé par la décision (UE) 2020/135 du 30 janvier 2020 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bréchot, rapporteur,
- et les conclusions de M. Giraud, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... F... épouse B... D..., ressortissante britannique née en 1962, réside régulièrement en France sous couvert d'une carte de séjour portant la mention " citoyen UE/EEE/Suisse " qui était valable jusqu'au 8 octobre 2021. Son époux, M. G... B... D..., ressortissant tunisien né en 1980, réside également sur le territoire français sous couvert d'une carte de séjour portant la mention " membre de famille d'un citoyen UE/EEE/Suisse " qui était valable jusqu'au 6 juin 2021. Par un jugement du 2 décembre 2019, le tribunal cantonal de Monastir (Tunisie) a prononcé l'adoption par les époux B... D... A... la jeune C... B... D..., née le 7 mars 2008, nièce de M. B... D.... Par une décision du 23 novembre 2020, les autorités consulaires françaises à Tunis ont refusé de délivrer à cet enfant un visa de court séjour d'établissement en qualité de membre de la famille d'un ressortissant de l'Union européenne. Le recours formé contre cette décision consulaire a été rejeté par une décision implicite, née le 3 février 2021, de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, dont les époux B... D... ont demandé l'annulation au tribunal administratif de Nantes. Par une décision du 8 septembre 2021, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté expressément le recours des époux B... D.... Par une première requête, enregistrée sous le no 21NT02824, le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 4 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a, d'une part, annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, et, d'autre part, enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à la jeune C... B... D... un visa de court séjour d'établissement dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Par une seconde requête, enregistrée sous le no 21NT02825, le ministre de l'intérieur demande le sursis à exécution de ce même jugement.
2. Les requêtes du ministre de l'intérieur sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.
Sur la recevabilité de la requête n° 21NT02824 du ministre de l'intérieur :
3. Conformément aux prescriptions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, la requête du ministre de l'intérieur contient l'exposé des faits et moyens ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge, qui tendent à l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Par conséquent, la fin de non-recevoir opposée par les époux B... D... et tirée de ce que le ministre de l'intérieur ne critique pas le jugement attaqué doit être écartée.
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. Lorsque le silence gardé par l'administration sur une demande dont elle a été saisie a fait naître une décision implicite de rejet, une décision explicite de rejet intervenue postérieurement se substitue à la première décision. Dans ce cas, des conclusions à fin d'annulation de cette première décision doivent être regardées comme dirigées contre la seconde.
5. Il en résulte que les conclusions à fin d'annulation présentées par les époux B... D... dans leur demande de première instance, dirigées contre la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours contre la décision consulaire, devaient être regardées comme dirigées contre la décision du 8 septembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a explicitement rejeté ce recours. Le tribunal, que les parties n'avait pas informé de l'existence de cette décision explicite, n'a pu regarder les conclusions dont il était saisi comme dirigées contre cette décision et a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, alors que cette décision avait disparu rétroactivement de l'ordonnancement juridique. Il s'ensuit que ce jugement doit être annulé comme irrégulier.
6. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. et Mme B... D... devant le tribunal administratif de Nantes.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 8 septembre 2021 :
7. Ainsi qu'il a été dit au point 5, les conclusions à fin d'annulation présentées par M. et Mme B... D..., dirigées contre la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours, doivent être regardées comme dirigées contre la décision du 8 septembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a explicitement rejeté ce recours.
8. Aux termes de l'article L. 200-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui transpose la directive 2004/38 du 29 avril 2004 visée ci-dessus : " Par membre de famille d'un citoyen de l'Union européenne, on entend le ressortissant étranger, quelle que soit sa nationalité, qui relève d'une des situations suivantes : / 1° Conjoint du citoyen de l'Union européenne ; / 2° Descendant direct âgé de moins de vingt-et-un ans du citoyen de l'Union européenne ou de son conjoint ; / (...) ". Aux termes de l'article R. 221-2 du même code : " Les documents permettant aux ressortissants de pays tiers mentionnés à l'article L. 200-4 d'être admis sur le territoire français sont leur passeport en cours de validité et un visa ou, s'ils en sont dispensés, un document établissant leur lien familial. / (...) / L'autorité consulaire leur délivre gratuitement, dans les meilleurs délais et dans le cadre d'une procédure accélérée, le visa requis sur justification de leur lien familial. Toutes facilités leur sont accordées pour obtenir ce visa. / (...) ".
9. Aux termes de l'article 14 de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique : " (...) / 3. Lorsque l'État d'accueil exige que les membres de la famille qui rejoignent le citoyen de l'Union ou le ressortissant du Royaume-Uni après la fin de la période de transition soient munis d'un visa d'entrée, l'État d'accueil accorde à ces personnes toutes facilités pour obtenir les visas nécessaires. Ces visas sont délivrés sans frais dans les meilleurs délais et dans le cadre d'une procédure accélérée. " Selon l'article 9 du même accord, les " membres de la famille " au sens de celui-ci incluent, quelle que soit leur nationalité, les membres de la famille de citoyens de l'Union ou de ressortissants du Royaume-Uni tels que définis à l'article 2, point 2), de la directive 2004/38 du 29 avril 2004, et qui relèvent du champ d'application personnel prévu à l'article 10 de l'accord. En vertu de l'article 126 du même accord, la période de transition s'est achevée le 31 décembre 2020.
10. La décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est fondée sur les motifs tirés de ce que, d'une part, les époux B... D... n'établissent pas que les autorités du Royaume-Uni ont reconnu l'adoption de la jeune C... B... D..., et, d'autre part, le jugement d'adoption est contraire aux principes éthiques fondamentaux résultant des articles 7 et 21 de la convention internationale des droits de l'enfant et de l'article 4 de la convention de La Haye de 1993, en ce que ce jugement décide de confier l'enfant aux époux B... D... en méconnaissance du principe de subsidiarité, en l'absence de déclaration d'adoptabilité de l'enfant et en l'absence de justification d'un agrément du président du conseil départemental de la Haute-Vienne.
11. Aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Aux termes de l'article 7, paragraphe 1, de la même convention : " L'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux. " Aux termes de l'article 21 de la même convention : " Les États parties qui admettent et/ou autorisent l'adoption s'assurent que l'intérêt supérieur de l'enfant est la considération primordiale en la matière et : / a - veillent à ce que l'adoption d'un enfant ne soit autorisée que par les autorités compétentes, qui vérifient, conformément à la loi et aux procédures applicables et sur la base de tous les renseignements fiables relatifs au cas considéré, que l'adoption peut avoir lieu eu égard à la situation de l'enfant par rapport à ses père et mère, parents et représentants légaux et que, le cas échéant, les personnes intéressées ont donné leur consentement à l'adoption en connaissance de cause, après s'être entourées des avis nécessaires ; / b - reconnaissent que l'adoption à l'étranger peut être envisagée comme un autre moyen d'assurer les soins nécessaires à l'enfant, si celui-ci ne peut, dans son pays d'origine, être placé dans une famille nourricière ou adoptive ou être convenablement élevé ; / c - veillent, en cas d'adoption à l'étranger, à ce que l'enfant ait le bénéfice de garanties et de normes équivalant à celles existant en cas d'adoption nationale ; / d - prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que, en cas d'adoption à l'étranger, le placement de l'enfant ne se traduise pas par un profit matériel indu pour les personnes qui en sont responsables ; / e - poursuivent les objectifs du présent article en concluant des arrangements ou des accords bilatéraux ou multilatéraux, selon les cas, et s'efforcent dans ce cadre de veiller à ce que les placements d'enfants à l'étranger soient effectués par des autorités ou des organes compétent ".
12. D'une part, l'intérêt d'un enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui, en vertu d'une décision de justice, est titulaire à son égard de l'autorité parentale. L'adoptant, bénéficiaire d'un jugement d'adoption, est seul investi à l'égard de l'adopté de tous les droits d'autorité parentale. Dès lors, dans le cas où un visa d'entrée et de long séjour en France ou un visa de court séjour d'établissement en qualité de membre de la famille d'un ressortissant de l'Union européenne est sollicité en vue de permettre à l'adopté de rejoindre sa famille d'adoption, ce visa ne peut en règle générale, eu égard notamment aux stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, être refusé pour un motif tiré de ce que l'intérêt de l'enfant serait au contraire de demeurer auprès de ses parents ou d'autres membres de sa famille. En revanche, et sous réserve de ne pas porter une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale, l'autorité chargée de la délivrance des visas peut se fonder, pour rejeter la demande dont elle est saisie, non seulement sur l'atteinte à l'ordre public qui pourrait résulter de l'accès de l'enfant au territoire national, mais aussi sur le motif tiré de ce que les conditions d'accueil de celui-ci en France seraient, compte tenu notamment des ressources et des conditions de logement de l'adoptant, contraires à son intérêt.
13. D'autre part, si les jugements rendus par un tribunal étranger relativement à l'état et à la capacité des personnes produisent, sauf dans la mesure où ils impliquent des actes d'exécution matérielle sur des biens ou de coercition sur des personnes, leurs effets en France indépendamment de toute déclaration d'exequatur, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de ne pas fonder sa décision sur des éléments issus d'un jugement étranger qui révélerait l'existence d'une fraude ou d'une situation contraire à la conception française de l'ordre public international.
14. En premier lieu, la circonstance que les autorités du Royaume-Uni n'ont pas reconnu l'adoption de la jeune C... B... D... par les époux B... D... n'est pas un motif susceptible de justifier légalement le refus de visa contestée. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier, notamment de l'article 77 de l'Adoption and Children Act de 2002 et des correspondances entre Mme B... D... et le General Register Office britannique, que l'enregistrement des jugements étrangers d'adoption au sein du Registre général pour l'Angleterre et le Pays-de-Galles n'est possible qu'au profit des personnes qui résident habituellement en Angleterre ou au Pays-de-Galles au moment de l'adoption, ce qui n'était pas le cas de Mme B... D... et de son époux.
15. En deuxième lieu, dès lors que la Tunisie n'a pas ratifié la convention signée à La Haye le 29 mai 1993 relative à la protection des enfants et à la coopération en matière d'adoption internationale, cette convention n'était pas applicable à la démarche d'adoption des époux B... D.... Par suite, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'a pu légalement se fonder sur la méconnaissance des stipulations de cette convention signée à La Haye le 29 mai 1993 pour refuser le visa sollicité.
16. En troisième lieu, le non-respect du principe de subsidiarité, qui est énoncé au b de l'article 21 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et relève de la conception française de l'ordre public international, est susceptible de justifier légalement la décision contestée. Cependant, ce principe de subsidiarité n'exclut pas qu'une adoption internationale soit conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant, alors même qu'une famille appropriée serait susceptible de l'accueillir dans son pays d'origine, lorsque l'adoption est demandée par des parents de l'enfant. Or, en l'espèce, il ressort des pièces du dossier que la jeune C... B... D... est la nièce de M. B... D.... Dès lors, c'est par une inexacte appréciation des faits de l'espèce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fondé sa décision sur le non-respect du principe de subsidiarité.
17. En quatrième lieu, la conception française de l'ordre public international suppose que le consentement à l'adoption d'un enfant soit donné par son représentant légal. Or il ressort des mentions du jugement du 2 décembre 2019 du tribunal cantonal de Monastir (Tunisie) que les parents biologiques de la jeune C... B... D... ont comparu devant ce tribunal et ont donné expressément leur consentement à l'adoption de leur fille par les époux B... D.... Dès lors, c'est par une inexacte appréciation des faits de l'espèce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fondé sa décision sur l'absence de déclaration d'adoptabilité de l'enfant.
18. En cinquième lieu, les dispositions des articles 353-1 du code civil et L. 225-17 du code de l'action sociale et des familles, qui subordonnent l'adoption d'un enfant étranger à un agrément, ne consacrent pas un principe essentiel du droit français. Par suite, l'absence de justification par les époux B... D... d'un agrément pour adopter délivré par le président du conseil départemental de la Haute-Vienne ne porte pas atteinte à l'ordre public international français.
19. Toutefois, en sixième lieu, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
20. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre de l'intérieur invoque, dans sa requête d'appel communiquée à M. et Mme B... D..., de nouveaux motifs fondés sur la situation existant à la date de cette décision, tirés de ce que, d'une part, l'intérêt de la jeune C... est d'être élevée par ses parents biologiques, qui ne sont ni décédés ni en incapacité de subvenir aux besoins de l'enfant, d'autre part, aucun des organes compétents en France et en Tunisie n'a été consulté par les époux B... D..., et, enfin, le jugement tunisien d'adoption est entaché d'incohérences et repose sur des renseignements très parcellaires ou faux.
21. D'une part, si le ministre de l'intérieur fait valoir que les parents biologiques de la jeune C... ne sont ni décédés ni en incapacité de subvenir aux besoins de l'enfant, l'adoption de C... a été prononcée par un jugement du 2 décembre 2019 du tribunal cantonal de Monastir. Ainsi, les époux B... D..., dont il n'est pas soutenu par le ministre qu'ils ne justifient pas de ressources et de conditions d'accueil suffisantes, disposent de l'autorité parentale sur la jeune C.... Dès lors, en l'absence de circonstances particulières, et alors même que l'adoption de la jeune C... aura pour effet de la séparer de sa sœur, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intérêt de l'enfant serait de demeurer auprès de ses parents biologiques.
22. D'autre part, le fait que l'adoption de la jeune C... résulte d'une démarche entreprise individuellement par les époux B... D..., domiciliés en France, sans consultation de la mission pour l'adoption internationale du ministère de l'Europe et des affaires étrangères ni de l'opérateur tunisien doté de la compétence en matière d'adoption, ne révèle pas une situation contraire à la conception française de l'ordre public international, a fortiori s'agissant d'une adoption intra-familiale.
23. Enfin, les incohérences ou fausses déclarations alléguées par le ministre qui entacheraient le jugement du 2 décembre 2019 du tribunal cantonal de Monastir ne révèlent, en l'espèce, ni l'existence d'une fraude ni une situation contraire à la conception française de l'ordre public international.
24. Aucun des motifs invoqués par le ministre de l'intérieur n'étant de nature à fonder légalement la décision contestée, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande de substitution de motifs.
25. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la demande de M. et Mme D..., que ces derniers sont fondés à demander l'annulation de la décision du 8 septembre 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
26. Le présent arrêt implique, eu égard aux motifs qui le fondent, que le ministre de l'intérieur fasse droit à la demande de la jeune C... B... D.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa de court séjour d'établissement sollicité par la jeune C... B... D... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
27. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 200 euros à verser à M. et Mme B... D... au titre des frais liés à l'instance.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :
28. La cour, statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête du ministre de l'intérieur tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de son recours n° 21NT02825 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont devenues sans objet. Par suite, il n'y a pas lieu d'y statuer.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 4 octobre 2021 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 8 septembre 2021 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de faire droit à la demande de la jeune C... B... D... tendant à se voir délivrer un visa de court séjour d'établissement dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à M. et Mme B... D... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. et Mme B... D... est rejeté.
Article 5 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 21NT02825 présentée par le ministre de l'intérieur
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... B... D..., à Mme E... F... épouse B... D... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 1er mars 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Douet, présidente-assesseure,
- M. Bréchot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 mars 2022.
Le rapporteur,
F.-X. BréchotLe président,
A. Pérez
La greffière,
A. Lemée
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 21NT02824, 21NT02825