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25/02/2022 | FRANCE | N°21NT02266

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 25 février 2022, 21NT02266


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre une décision des autorités consulaires françaises à Beyrouth refusant de lui délivrer un visa de long séjour en France au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2013389 du 21 juin 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la c

ommission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Proc...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre une décision des autorités consulaires françaises à Beyrouth refusant de lui délivrer un visa de long séjour en France au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2013389 du 21 juin 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 août 2021 sous le n°21NT02266, le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 21 juin 2021 ;

2°) de rejeter la demande de M. C....

Il soutient que :

- les actes d'état civil produits par M. A... C... établissant qu'il aurait épousé Mme B... le 8 février 2017 ne sauraient être regardés comme réguliers ou établissant la réalité des faits qui y sont mentionnés, Mme B... ayant produit à l'autorité consulaire des actes d'état civil établis le 6 mars 2017 indiquant qu'elle était célibataire, précision qu'elle a réitérée devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;

- il n'a pas été produit de certificat de mariage établi par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ni allégué que des démarches auraient été faites dans ce sens ;

- la possession d'état n'est pas établie ;

- l'existence d'une situation de concubinage n'est ni alléguée ni démontrée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 octobre 2021, M. C... conclut :

- au rejet de la requête.

- à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Douet a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante syrienne née le 1er janvier 1994, entrée en France le 8 septembre 2017 s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 31 mai 2018. Le 26 février 2020, M. C..., ressortissant syrien né le 24 mars 1995, a sollicité un visa d'entrée et de long séjour en qualité de conjoint de Mme B... auprès de l'autorité consulaire française à Beyrouth. Par une décision du 30 juillet 2020 cette autorité a rejeté sa demande. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé le 10 septembre 2020 contre la décision des autorités consulaires françaises à Beyrouth refusant de délivrer à M. C... un visa de long séjour en France au titre de la réunification familiale. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 21 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a, à la demande de M. C..., annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint de délivrer le visa sollicité.

2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors en vigueur, devenu l'article L. 561-15 : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / (...). II. - (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. 5...) ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ". L'article L. 721-3 du même code, devenu l'article L. 121-9, auquel renvoie le précédent texte dispose que : " L'office est habilité à délivrer, après enquête s'il y a lieu, aux réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état civil. Le directeur général de l'office authentifie les actes et documents qui lui sont soumis. Les actes et documents qu'il établit ont la valeur d'actes authentiques. Ces diverses pièces suppléent à l'absence d'actes et de documents délivrés dans le pays d'origine. Les pièces délivrées par l'office ne sont pas soumises à l'enregistrement ni au droit de timbre ". Enfin, aux termes de l'article R. 722-4 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur, devenu l'article R. 125-34 : " (...) le directeur général est notamment habilité à : 1° Certifier la situation de famille et l'état civil des réfugiés, bénéficiaires de la protection subsidiaire et apatrides, tels qu'ils résultent d'actes passés ou de faits ayant eu lieu avant l'obtention du statut et, le cas échéant, d'événements postérieurs les ayant modifiés (...) ".

3. Aux termes de l'article L. 111-6 du même code dans sa rédaction alors en vigueur, devenu l'article L. 811-2 dudit code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) " et aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

4. La force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

5. Pour refuser le visa de long séjour sollicité, l'autorité consulaire française à Beyrouth a retenu que le dossier qu'il avait déposé ne comprenait pas la preuve qu'il ait été déclaré comme membre de famille de réfugié ou de bénéficiaire de la protection subsidiaire lors de la déclaration par l'intéressé de sa situation familiale en application de l'article R. 722-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. En cas de décision implicite et en l'absence de communication, sur demande du destinataire, des motifs de cette décision, ainsi qu'en l'absence de mémoire en défense de l'administration exposant devant le tribunal les motifs de cette décision, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, dont la décision se substitue à celle des autorités consulaires, doit être regardée comme s'étant appropriée le motif retenu par ces autorités. Dans sa requête d'appel, à laquelle le requérant a répondu, le ministre fait valoir, pour la première fois, que la décision contestée est motivée par le caractère non probant des actes d'état civil présentés à l'appui de la demande de visa, les incohérences des déclarations de Mme B..., et l'absence d'éléments de possession d'état. Il sollicite ainsi une substitution de motifs.

7. M. C... a présenté lors de sa demande de visa, puis au contentieux, un extrait de contrat de mariage daté du 8 février 2017, un extrait d'un acte de mariage n° 106 dressé le 6 novembre 2017 et une traduction de son livret de famille syrien, délivré à une date indéterminée, qui fait mention du contrat de mariage du 8 février 2017. Le ministre de l'intérieur soutient que ces documents sont dépourvus de valeur probante car ils contredisent les documents d'état civil présentées par Mme B... lors de sa demande d'asile, enregistrée le 7 décembre 2017, ainsi que les déclarations de cette dernière qui s'est présentée comme célibataire. Il ressort des pièces du dossier que pour justifier de son état civil lors de sa demande d'asile, Mme B... a produit un extrait du registre d'état civil syrien du 6 mars 2017 indiquant qu'elle était célibataire. Par ailleurs, par lettre du 5 mars 2020, le directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a confirmé que Mme B... s'était toujours déclarée célibataire auprès de l'Office et ne s'était, de ce fait, vu délivrer, le 3 juillet 2018, par le directeur de l'office en application des articles L. 723-1 et R. 722-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'un certificat de naissance tenant lieu d'état civil. Mme B... n'a déclaré son mariage avec M. C... à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides que le 14 mars 2020, postérieurement à la demande de visa de M. C....

8. Le requérant soutient, d'une part, que le contrat de mariage du 8 février 2017 n'a été transcrit que le 6 novembre 2017 en raison des difficultés de fonctionnement du service d'état civil à Damas et que, pour cette raison, les documents d'état civil syriens de Mme B... établis le 6 mars 2017 ne mentionnaient pas son statut de femme mariée et, d'autre part, que Mme B... aurait fait à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides de fausses déclarations quant à sa situation de famille par crainte de la réaction du père de l'intéressée qui s'opposait à un tel mariage, lequel se serait " déroulé en secret ". Toutefois, ces explications, exposées pour la première fois devant la cour, ne sont pas étayées par des éléments objectifs de quelque nature que ce soit. A cet égard, contrairement à ce que soutient M. C..., la production de photos de lui-même et Mme B..., au demeurant non datées, et l'attestation d'un suivi psychologique très récent de Mme B..., ne prouvent pas l'existence d'un lien matrimonial antérieur à la demande d'asile de Mme B.... Dans ces conditions, en estimant que le lien matrimonial entre M. C... et Mme B... n'était pas établi, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une exacte application des dispositions citées au point 2.

9. Il en résulte que c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur l'inexacte application par la commission des dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

10. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif de Nantes.

11. En l'absence d'établissement du lien matrimonial ou d'une situation de concubinage stable et continu avant la demande d'asile de Mme B..., M. C... n'est pas fondé à invoquer la méconnaissance, par la décision contestée, des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre le refus de visa de long séjour opposé à M. C....

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que M. C... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2013389 du 21 juin 2021 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Nantes et ses conclusions tendant à l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... C....

Délibéré après l'audience du 25 janvier 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président de chambre,

- Mme Douet, présidente-assesseure,

- M. L'hirondel, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 février 2022.

La rapporteure,

H. DOUET

Le président,

A. PÉREZ

La greffière,

A. LEMEE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT2266


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT02266
Date de la décision : 25/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-005-01 Étrangers. - Entrée en France. - Visas.


Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: Mme Hélène DOUET
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : FAKIH

Origine de la décision
Date de l'import : 08/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-02-25;21nt02266 ?
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