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01/02/2022 | FRANCE | N°20NT02836

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 01 février 2022, 20NT02836


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... et Mme E... F... épouse C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 27 juin 2018 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours, formé contre la décision du 28 février 2018 de l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) refusant de délivrer aux enfants, B... et D... C..., des visas de long séjour demandés en qualité d'enfants de ressortissants fran

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Par un jugement n° 1905130 du 24 octobre 2019, le tribunal administratif d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... et Mme E... F... épouse C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 27 juin 2018 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours, formé contre la décision du 28 février 2018 de l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) refusant de délivrer aux enfants, B... et D... C..., des visas de long séjour demandés en qualité d'enfants de ressortissants français.

Par un jugement n° 1905130 du 24 octobre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 septembre 2020, M. A... C... et Mme E... F... épouse C..., représentés par Me Levi-Cyferman, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas demandés ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise génétique permettant de vérifier la filiation des deux enfants ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France attaquée est entachée d'erreur dans l'appréciation du lien de filiation, lequel est établi tant par les actes d'état civil produits que par des éléments de possession d'état.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par les requérants n'est fondé.

M. C... n'a pas été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision du 29 juin 2020 du bureau d'aide juridictionnelle (section administrative) du tribunal judiciaire de Nantes.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code civil ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Ody a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 24 octobre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. et Mme C... tendant à l'annulation de la décision du 27 juin 2018 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours, formé contre la décision du 28 février 2018 de l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) refusant de délivrer à leurs enfants, B... et D... C..., nés respectivement en 2000 et 2002, des visas de long séjour demandés en qualité d'enfants de ressortissants français. M. et Mme C... relèvent appel de ce jugement.

2. La commission de recours a fondé sa décision sur le motif tiré de ce que les actes de naissance ont été établis suivant jugement supplétif tardif et comportent des anomalies, leur ôtant tout caractère probant.

3. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil, alors en vigueur : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".

4. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux.

5. Pour justifier du lien de filiation ont été produits un jugement supplétif rendu le 10 avril 2012 par le tribunal de grande instance de Kinshasa et deux copies intégrales d'acte de naissance, dressés le 6 mai 2013 par le service de l'état civil de la commune de Kalamu à Kinshasa. Un jugement supplétif d'acte de naissance n'ayant d'autre objet que de suppléer l'inexistence de cet acte, la commission ne peut utilement retenir, compte tenu de la nécessité de présenter un tel acte à l'appui des demandes de visa, la circonstance que les jugements supplétifs d'actes de naissance des enfants annexés aux demandes ont été établis tardivement, étant rendus respectivement 12 et 10 ans après les naissances. En outre, la circonstance que la transcription du jugement supplétif dans l'acte de naissance G... D... comporte une erreur dans l'année de naissance de l'enfant n'est pas à elle seule de nature à établir le caractère frauduleux du jugement supplétif ni à ôter toute valeur probante aux actes de naissance produits.

6. Toutefois, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

7. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre a invoqué, en première instance, dans son mémoire en défense du 22 août 2019 communiqué à M. et Mme C..., un autre motif, tiré de ce qu'il n'est pas établi que les intéressés prennent en charge les enfants et de ce qu'ils ne disposent pas des ressources matérielles et financières suffisantes pour accueillir deux personnes supplémentaires dans leur foyer qui compte déjà deux adultes et trois enfants.

8. Toutefois de tels motifs ne sont pas au nombre des ceux, d'ordre public, seuls de nature à justifier légalement le refus de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à D... C..., enfant mineur de ressortissants français. Il suit de là que la demande de substitution de motifs sollicitée par le ministre ne peut être accueillie.

9. Par ailleurs la circonstance que M. B... C..., jeune majeur, ne puisse obtenir un visa de long séjour, a pour effet de le séparer de son frère avec lequel il a toujours vécu, alors qu'il est séparé de ses parents depuis plusieurs années et qu'il n'est pas contesté qu'il n'a pas de liens familiaux aussi proches dans son pays d'origine. Dans ces conditions, et eu égard en outre à la durée de la séparation imposée aux membres de la cellule familiale, la décision de la commission de recours porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du demandeur et méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise génétique, que M. et Mme C... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. Eu égard aux motifs d'annulation retenus, le présent arrêt implique nécessairement que les visas de long séjour demandés soient délivrés à M. B... C... et à M. D... C.... Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

12. En application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge l'Etat, qui est la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme globale de 1 200 euros que les requérants demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif du 24 octobre 2019 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 27 juin 2018 sont annulés. .

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. B... C... et à M. D... C... des visas de long séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme C... la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., à Mme E... C... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 26 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président de chambre,

- Mme Buffet, présidente assesseure,

- Mme Ody, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er février 2022.

La rapporteure,

C. ODY

Le président,

J. FRANCFORT Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT02836


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT02836
Date de la décision : 01/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. FRANCFORT
Rapporteur ?: Mme Cécile ODY
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : LEVI-CYFERMAN

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-02-01;20nt02836 ?
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