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27/01/2022 | FRANCE | N°21NT01195

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 27 janvier 2022, 21NT01195


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La communauté d'agglomération Lannion-Trégor Communauté a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes, d'une part, de condamner l'Etat à lui verser une provision de 754 752 euros au titre de la reprise des désordres affectant la station d'épuration de Lanmérin, avec intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de la requête et capitalisation de ces intérêts, et, d'autre part de mettre à la charge de l'Etat les dépens, arrêtés à la somme de 11 723,27 euros.
>Par une ordonnance n° 1906450 du 19 avril 2021, le juge des référés du tribunal administrat...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La communauté d'agglomération Lannion-Trégor Communauté a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes, d'une part, de condamner l'Etat à lui verser une provision de 754 752 euros au titre de la reprise des désordres affectant la station d'épuration de Lanmérin, avec intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de la requête et capitalisation de ces intérêts, et, d'autre part de mettre à la charge de l'Etat les dépens, arrêtés à la somme de 11 723,27 euros.

Par une ordonnance n° 1906450 du 19 avril 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 avril et 22 novembre 2021, la communauté d'agglomération Lannion-Trégor Communauté, représentée par Me Santos Pires, demande à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du 19 avril 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Rennes ;

2°) de condamner l'Etat, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, à lui verser une provision d'un montant de 754 752 euros au titre de la reprise des désordres affectant la station d'épuration de Lanmérin, avec intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de la requête et capitalisation de ces intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens, arrêtés à la somme de 11 723,27 euros TTC ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la responsabilité de l'Etat est engagée sur le fondement de la responsabilité décennale, pour le tout, à l'égard du maitre d'ouvrage ;

- en tout état de cause, ainsi qu'il résulte du rapport d'expertise, les désordres en discussion sont imputables au moins en partie à l'Etat qu'il s'agisse de la nitrification incomplète des effluents, de l'existence de chemins préférentiels de flux au sein du massif filtrant, de la production d'hydrogène sulfuré dans les prétraitements ou du mauvais sens de pose des drains ;

- l'Etat lui versera la somme provisionnelle de 754 752 euros TTC au titre de la reprise des désordres, soit 680 400 euros TTC pour les travaux réparatoires et 74 352 euros TTC pour les conséquences de la réalisation de ces travaux ;

- il y a lieu de mettre les frais d'expertise à la charge de l'Etat.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 9 septembre et 21 décembre 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, par la voie de l'appel provoqué, à ce que l'Etat soit garanti de toute éventuelle condamnation par la société Armor TP.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par la communauté d'agglomération Lannion-Trégor Communauté ne sont pas fondés ;

- subsidiairement, si sa responsabilité devait être reconnue, la société Armor TP la garantira de toute condamnation à hauteur de 80 % ; cette société n'a pas alerté le maitre d'ouvrage sur l'absence d'ouvrage de stabilisation ou la pose inversée des drains inférieurs ; la société a manqué aux règles de l'art s'agissant de la création de pentes régulières des drains inférieurs ; les fautes commises par le maitre d'ouvrage seront alors également prises en compte pour atténuer la responsabilité de l'Etat.

Par des mémoires, enregistrés les 9 juillet et 18 novembre 2021, la société Armor TP, représentée par Me Leroux, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la communauté d'agglomération Lannion-Trégor Communauté et les conclusions d'appel provoqué de l'Etat ;

2°) subsidiairement, s'il était fait droit aux conclusions d'appel provoqué de l'Etat, la provision accordée sera calculée sur la base de 525 000 euros HT et sa part de responsabilité ne pourra excéder 10 % ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la communauté d'agglomération Lannion-Trégor Communauté et de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par la communauté d'agglomération Lannion-Trégor Communauté ne sont pas fondés ;

- les demandes de l'Etat seront écartées dès lors que sa responsabilité n'est pas engagée ; en tout état de cause le calcul de la somme due à ce titre ne pourra inclure le coût des travaux réparatoires relatifs à l'implantation d'un ouvrage de stabilisation et du reprofilage de la saulaie.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rivas,

- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,

- et les observations de Me Laville Collomb, représentant la communauté d'agglomération Lannion-Trégor Communauté.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Lanmérin (Côtes-d'Armor) ayant décidé la création d'une station d'épuration, par un acte d'engagement du 28 février 2005, elle en a confié la maîtrise d'œuvre à la direction départementale de l'équipement des Côtes-d'Armor, devenue direction départementale des territoires et de la mer. Par acte d'engagement du 3 juillet 2007, le lot n° 1 " station d'épuration eaux usées " du marché correspondant a été confié à la société Armor TP. La réception des travaux de la station d'épuration par filtre à sable, d'une capacité nominale de 350 équivalents-habitants, est intervenue le 3 juin 2008, sans réserve, et la station d'épuration a été mise en service le 14 juin 2008. A compter de l'année 2012, la qualité de l'effluent traité a commencé à se dégrader et, en 2015, le service d'assistance technique aux exploitants de stations d'épuration (SATESE) des Côtes-d'Armor a constaté que les normes de rejet étaient dépassées. A compter du 1er janvier 2017, la compétence en matière d'assainissement collectif des eaux usées a été transférée à la communauté d'agglomération Lannion-Trégor Communauté. A la demande de cette dernière, par une ordonnance de référé du 30 août 2018, le président du tribunal administratif de Rennes a désigné M. B... en qualité d'expert afin notamment de rechercher l'origine et les causes des désordres constatés. Cet expert a déposé son rapport le 24 juin 2019. Par une ordonnance du 19 avril 2021 le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de la communauté d'agglomération Lannion-Trégor Communauté tendant à ce que l'Etat lui verse une provision de 754 752 euros en réparation des préjudices résultant des désordres affectant la station d'épuration de Lanmérin. La communauté d'agglomération relève appel de cette ordonnance et, par des conclusions d'appel provoqué subsidiaires, l'Etat demande à être garanti de toute éventuelle condamnation par la société Armor TP.

2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant.

Sur les conclusions d'appel principal de la communauté d'agglomération Lannion- Trégor Communauté :

En ce qui concerne la responsabilité :

3. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputable.

4. L'ordonnance attaquée retient en l'espèce que la responsabilité décennale des constructeurs est engagée dès lors qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise de M. B..., que la station d'épuration de Lanmérin est affectée de désordres de nature à rendre cet ouvrage impropre à sa destination. L'équipement procède ainsi à une mauvaise épuration de l'effluent traité conduisant à un dépassement des normes qualitatives de rejet, constaté par le service d'assistance technique aux exploitants de stations d'épuration des Côtes-d'Armor en 2015. Les désordres retenus par le premier juge pour expliquer cette situation, par référence au rapport d'expertise présenté, sont la forte production d'hydrogène sulfuré, la nitrification incomplète des effluents, la création de chemins préférentiels dans le massif filtrant et l'altération de la saulaie recevant les eaux après traitement. L'existence de ces désordres n'est pas contestée par les parties, de même que le fait qu'ils rendent la station d'épuration impropre à sa destination. Cependant, l'ordonnance attaquée écarte toute condamnation de l'Etat, pris en qualité de maitre d'œuvre de l'ouvrage, au paiement d'une provision au motif que l'imputabilité uniquement à l'Etat de ces désordres ne peut être regardée comme non sérieusement contestable.

5. Il résulte par ailleurs de l'instruction que le marché de maitrise d'œuvre pour la création de la station d'épuration, conclu entre la commune de Lanmérin et l'Etat, confie à la direction départementale de l'équipement des Côtes-d'Armor une mission complète normalisée comprenant en particulier les études préliminaires, les études d'avant-projet, la direction de l'exécution des travaux et l'assistance aux opérations de réception des travaux ainsi que le visa des études d'exécution.

S'agissant des désordres résultant de la production anormalement élevée d'hydrogène sulfuré :

6. D'une part, il résulte de l'instruction que la mauvaise épuration des effluents s'explique en premier lieu par une production anormalement élevée d'hydrogène sulfuré dans les prétraitements des effluents consécutivement à leur séjour trop long dans les fosses toutes eaux. L'expert explique cette situation par le fait qu'en l'absence d'ouvrage de stabilisation en entrée des effluents l'exploitant a choisi de travailler sur un volume de fosse aussi important que possible, ce qui ne peut lui être reproché, mais révèle un manquement dans la conception des ouvrages imputable à la maitrise d'œuvre. Il souligne que la station d'épuration est caractérisée par un défaut de conception faute pour la maitrise d'œuvre d'avoir prévu un tel ouvrage, indispensable dès lors que, même partiellement, l'arrivée des effluents dans la station se fait par refoulement. L'Etat fait valoir que cette stagnation des effluents dans les fosses toutes eaux trouve en réalité son origine dans le fait que la commune a surestimé ses besoins d'épuration et qu'elle a utilisé la totalité du volume de la fosse. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que les désordres constatés ne sont pas la conséquence des choix de mode de fonctionnement retenus par l'exploitant et le même rapport relève l'absence de manquement dans le dimensionnement des ouvrages d'épuration, alors que la maitrise d'œuvre était en charge des études préliminaires et d'avant-projet dont l'un des objets était de vérifier la faisabilité de l'opération au regard des différentes contraintes du programme. L'Etat, qui n'a pas produit d'observation lors de l'expertise à laquelle il a été convié, ne peut donc sérieusement faire valoir désormais que l'ouvrage, dont il avait en charge la conception, serait surdimensionné et que cette circonstance expliquerait la production anormale d'hydrogène sulfuré. Il s'ensuit que la responsabilité de la maitrise d'œuvre en raison d'un manquement dans la conception de la station d'épuration, en l'absence de prévision de la réalisation d'un ouvrage de stabilisation des effluents, peut être regardée comme non sérieusement contestable, sans que l'Etat puisse faire valoir l'existence d'une faute exonératoire de la commune de Lanmérin.

S'agissant de l'existence de chemins préférentiels au sein du massif filtrant :

7. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que la mauvaise épuration des effluents s'explique également par la circonstance que, sous l'effet de l'arrivée brutale d'effluents consécutivement à la mise en marche des pompes chargées de leur refoulement dans le dispositif d'épuration, les boues déjà présentes et en cours de décantation dans ce dispositif sont entrainées vers les filtres placés en surface qu'elles colmatent alors partiellement. En conséquence, les effluents se frayent des chemins préférentiels, contournant les espaces colmatés, qui limitent alors leur répartition au sein du massif filtrant. Cette situation nuit au rendement épuratoire de l'ouvrage. L'expert explique que cette situation résulte à nouveau de l'absence d'un ouvrage de stabilisation en entrée des effluents, qui éviterait les à-coups provoqués par l'action des pompes de refoulement. Pour faire valoir qu'un tel ouvrage n'était pas imposé par la réglementation à la date de conception de la station d'épuration la ministre de la transition écologique se réfère à un document technique intitulé " FNDAE n° 22 ", rédigé en 1997, émanant du ministère de l'agriculture et de la pêche. Toutefois, eu égard à la date de sa rédaction, largement antérieure à la date de conception de la station de Lanmérin, au fait qu'il est présenté par ses auteurs dans son introduction comme un " document d'inspiration " pour les décideurs et alors qu'il n'est pas même allégué que l'expert n'en aurait pas eu connaissance, celui-ci n'est pas de nature à contredire utilement les conclusions du rapport d'expertise. Enfin, l'expert ne se réfère à aucune réglementation postérieure à la construction de la station d'épuration pour justifier la nécessité d'un ouvrage de stabilisation au cas d'espèce dès lors que sa réalisation lui apparait nécessaire du seul fait du mode de fonctionnement de l'ouvrage. Par conséquent, au titre de ce deuxième désordre, la responsabilité de l'Etat, en raison du défaut de conception de l'ouvrage qui lui est imputable eu égard à la mission d'études d'avant-projet dont il était investi, peut être regardée comme non sérieusement contestable.

S'agissant de la nitrification incomplète des effluents :

8. Il résulte de l'instruction que la mauvaise épuration des effluents trouve également son origine dans une nitrification incomplète des effluents née A... la mauvaise aération du massif filtrant. L'expert explique cette situation par le fait que certains drains posés en sous-sol, destinés à la fois au passage des eaux usées en vue de leur infiltration dans le sol et à l'oxygénation du massif filtrant ont été posés à l'envers. Les stries de ces drains destinées à la percolation des eaux ont ainsi été placées en partie haute, expliquant la présence d'eau stagnante dans les drains, et, consécutivement, la mauvaise circulation de l'oxygène. Cette analyse est corroborée par un rapport " bilan de la station d'épuration de Lanmérin/Kerello du 12 au 13 juin 2017 " effectué par le département des Côtes-d'Armor après examen de cette station d'épuration, qui mentionne que " tant que l'aération du massif sableux ne s'effectuera pas convenablement, il sera difficile voire impossible d'avoir une amélioration de la qualité du traitement ". La circonstance invoquée par le ministère de la transition écologique qu'un rapport d'expertise amiable de 2018, antérieur au rapport de M. B..., effectué à la demande de l'assureur de la communauté d'agglomération, indique que seuls certains drains ont été posés à l'envers, n'est pas de nature à contredire utilement les conclusions du rapport d'expertise contradictoire qui fait un lien clair entre cette pose inversée et l'insuffisante oxygénation du filtre à sable. Si le même rapport de 2018 mentionne également une pente inappropriée des drains, il ne résulte pas du rapport d'expertise contradictoire postérieur, qui se réfère par ailleurs à ce document sur un autre point, qu'il s'agirait là d'une cause de la nitrification incomplète des eaux traitées. Par ailleurs, ainsi qu'il a été indiqué au point 5 du présent arrêt, la mission de maitrise d'œuvre attribuée à la DDTM des Côtes-d'Armor comprenait une mission de direction de l'exécution des travaux, au titre de laquelle figurait la surveillance de la bonne pose des drains en litige. Enfin l'expert avance également qu'il pourrait s'agir d'une erreur de conception du filtre à sable par la DDTM des Côtes-d'Armor si cette pose inversée de drains a été demandée par cette dernière. Il en résulte, au titre de ce troisième désordre, que la responsabilité de l'Etat peut être regardée comme non sérieusement contestable.

S'agissant du développement bactérien dans la saulaie :

9. Il résulte de l'instruction que la filière de traitement de l'eau en litige comprend, en fin d'opération, une saulaie destinée à recevoir, par épandage, les effluents épurés de la station. Le rapport d'expertise relève toutefois que du fait de la mauvaise épuration des eaux, la présence de matières organiques a été observée dans la saulaie et que celles-ci ont été à l'origine d'une prolifération bactérienne anormale nuisible aux arbres. Eu égard aux causes identifiées précédemment de la mauvaise épuration des eaux épandues au pied des saules, la responsabilité de l'Etat peut être de même regardée comme non sérieusement contestable.

10. Enfin la ministre de la transition écologique ne peut utilement mettre en cause les conditions d'entretien et d'exploitation de l'ouvrage par la collectivité alors que l'expert n'a relevé aucun manquement de ce type et que les services de l'Etat n'ont formulé aucune observation lors de l'expertise contradictoire à laquelle ils ont été conviés. D'ailleurs, il ressort des rapports annuels d'assistance technique du SATESE (service d'assistance technique aux exploitants de station d'épuration) de 2009 à 2017 que la station d'épuration a fait l'objet d'un entretien normal.

En ce qui concerne le montant de la provision :

11. Il résulte de l'instruction que seule la réalisation d'un ouvrage de stabilisation des effluents en amont de leur entrée dans le dispositif d'épuration est de nature à répondre aux désordres nés de la trop forte production d'hydrogène sulfuré et de l'existence de chemins préférentiels au sein du massif filtrant. Le rapport d'expertise, non précisément contesté sur ce point, détermine le coût de sa réalisation à 35 000 euros HT. De même l'expert fixe à 525 000 euros HT le montant des travaux de reprise du filtre à sable et à 7 000 euros HT le coût de reprofilage de la saulaie.

12. En revanche, les pièces au dossier n'établissent pas le caractère non sérieusement contestable des sommes demandées par la communauté d'agglomération requérante au titre du transfert des effluents pendant les travaux, en l'absence de précision suffisante sur la nécessité d'une telle action, ainsi que sur l'existence du surcoût de main-d'œuvre allégué pendant les travaux de réfection et d'analyses supplémentaires sur site.

13. En conséquence, seules les demandes financières mentionnées au point 11 doivent être regardées comme résultant d'une obligation non sérieusement contestable pour l'Etat au sens de l'article R. 541-1 du code de justice administrative.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la communauté d'agglomération Lannion-Trégor Communauté est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande de provision. Il y a lieu de condamner l'Etat à verser à la communauté d'agglomération Lannion-Trégor Communauté une provision de 567 000 € HT, soit 680 400 euros TTC.

En ce qui concerne les intérêts et la capitalisation des intérêts :

15. La communauté d'agglomération Lannion-Trégor Communauté a droit, ainsi qu'elle le demande, aux intérêts au taux légal sur la somme de 680 400 euros à compter du 6 septembre 2019, date de réception par le préfet des Côtes-d'Armor de sa réclamation préalable. Elle a également droit à la capitalisation des intérêts à compter du 6 septembre 2020 puis à chaque échéance annuelle.

En ce qui concerne les frais d'expertise :

16. Aux termes de l'article R. 621-13 du code de justice administrative : " Lorsque l'expertise a été ordonnée sur le fondement du titre III du livre V, le président du tribunal (...) en fixe les frais et honoraires par une ordonnance prise conformément aux dispositions des articles R. 621-11 et R. 761-4. Cette ordonnance désigne la ou les parties qui assumeront la charge de ces frais et honoraires (...) Elle peut faire l'objet, dans le délai d'un mois à compter de sa notification, du recours prévu à l'article R. 761-5. / Dans le cas où les frais d'expertise mentionnés à l'alinéa précédent sont compris dans les dépens d'une instance principale, la formation de jugement statuant sur cette instance peut décider que la charge définitive de ces frais incombe à une partie autre que celle qui a été désignée par l'ordonnance mentionnée à l'alinéa précédent ou par le jugement rendu sur un recours dirigé contre cette ordonnance (...) ". En vertu de l'article R. 761-1 du même code : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...). ".

17. L'ordonnance par laquelle le président du tribunal administratif liquide et taxe les frais et honoraires d'expertise, qui revêt un caractère administratif, peut faire l'objet, en vertu des dispositions des articles R. 621-13 et R. 761-5 du code de justice administrative, d'un recours de plein contentieux par lequel le juge détermine les droits à rémunération de l'expert ainsi que les parties devant supporter la charge de cette rémunération. En vertu de l'avant-dernier alinéa de ce même article R. 621-13, ce n'est que lorsque les frais d'expertise sont compris dans les dépens d'une instance principale que la formation de jugement statuant sur cette instance peut décider que ces frais seront mis définitivement à la charge d'une partie autre que celle qui est désignée par l'ordonnance de taxation ou le jugement rendu sur un recours dirigé contre cette ordonnance. Dès lors que la partie désignée par l'ordonnance de taxation comme devant supporter les frais d'expertise dispose d'une voie de droit spéciale pour contester cette désignation et que le juge du référé provision n'est pas saisi de l'instance principale, cette partie n'est pas recevable à demander à ce juge l'octroi d'une provision au titre de ces frais ni à demander à celui-ci qu'il en attribue la charge à une partie en tant que dépens d'une instance principale. Par suite, ainsi que l'a jugé à bon droit le juge des référés du tribunal administratif de Rennes, les conclusions présentées par la communauté d'agglomération Lannion Trégor Communauté, et tendant à ce que la somme de 11 723,27 euros toutes taxes comprises correspondant aux frais d'expertise soit mise à la charge de l'Etat ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions d'appel provoqué de la ministre de la transition écologique :

18. La ministre de la transition écologique demande à être garantie de toute condamnation par la société Armor TP, titulaire du lot n° 1 " station d'épuration eaux usées " du marché " assainissement eaux usées 2007 - station d'épuration ", au titre des désordres nés de l'absence de réalisation d'un ouvrage de stabilisation des effluents ou de la pose inversée de drains. Cependant, eu égard à la circonstance que la nécessité d'un ouvrage de stabilisation des effluents résultait non d'une réglementation mais d'une mauvaise conception de la station d'épuration, il n'est pas établi en l'état de l'instruction que la société Armor TP, qui n'était pas en charge de cette conception, aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité. De même, il n'apparait pas davantage établi en l'état de l'instruction que la pose inversée des drains résulterait d'une initiative de la société Armor TP et non d'un choix fait par la maitrise d'œuvre, ainsi qu'il résulte d'une attestation d'un ancien agent des services de l'Etat. Enfin, si la ministre fait également état d'une responsabilité de cette société dans la pose de drains selon une pente inappropriée, il résulte de ce qui a été exposé au point 8 que cette circonstance est, en l'état de l'instruction, restée sans incidence sur l'origine des désordres. Dans ces conditions, l'existence d'une obligation non sérieusement contestable pour la société Armor TP de garantir l'Etat, même partiellement, du paiement de la provision prévue par le présent arrêt ne peut être regardée comme établie. Par suite les conclusions présentées à ce titre par la ministre de la transition écologique ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais d'instance :

19. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la communauté d'agglomération Lannion-Trégor Communauté et la société Armor TP au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en mettant à la charge de l'Etat, sur ce fondement, le versement à chacune de ces parties de la somme de 1 000 euros.

D E C I D E :

Article 1er : L'ordonnance n° 1906450 du 19 avril 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Rennes est annulée.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la communauté d'agglomération Lannion-Trégor Communauté une provision de 680 400 euros TTC, assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 2019, avec capitalisation à compter du 6 septembre 2020 et à chaque échéance annuelle.

Article 3 : L'Etat versera respectivement à la communauté d'agglomération Lannion-Trégor Communauté et à la société Armor TP la somme de 1 000 euros chacune sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté d'agglomération Lannion-Trégor Communauté, à la ministre de la transition écologique et à la société Armor TP.

Délibéré après l'audience du 4 janvier 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 janvier 2022.

Le rapporteur,

C. Rivas

Le président,

L. Lainé

La greffière,

V. Desbouillons

La République mande et ordonne au préfet des Côtes-d'Armor en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT01195


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01195
Date de la décision : 27/01/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : MARTIN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 01/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-01-27;21nt01195 ?
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