La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/01/2022 | FRANCE | N°21NT02789

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 17 janvier 2022, 21NT02789


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 7 juillet 2021 par laquelle le préfet de Maine-et-Loire a prononcé son transfert auprès des autorités autrichiennes pour l'examen de sa demande d'asile et la décision du même jour par laquelle le préfet l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2107855 du 19 juillet 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté du 7 juillet 2021 portant assignation à résidence et rejeté le surplus de sa deman

de.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 octobre 2021, M. B...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 7 juillet 2021 par laquelle le préfet de Maine-et-Loire a prononcé son transfert auprès des autorités autrichiennes pour l'examen de sa demande d'asile et la décision du même jour par laquelle le préfet l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2107855 du 19 juillet 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté du 7 juillet 2021 portant assignation à résidence et rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 octobre 2021, M. B... E..., représenté par Me Guinel-Johnson, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2107855 du tribunal administratif de Nantes du 19 juillet 2021 en tant qu'il a rejeté sa demande contre l'arrêté du 7 juillet 2021 portant transfert auprès des autorités autrichiennes ;

2°) d'annuler la décision du 7 juillet 2021 par laquelle le préfet de Maine-et-Loire a prononcé son transfert auprès des autorités autrichiennes ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de reconnaitre la France responsable de sa demande d'asile et de lui remettre une attestation de demande d'asile en procédure normale ainsi qu'un formulaire de demande d'asile auprès de l'OFPRA, dans un délai de cinq jours sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 400 euros à verser à son avocate au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat.

Il soutient que :

- le tribunal administratif n'a pas répondu :

o au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 29 du règlement n° 603/2013 " Eurodac " ;

o au moyen tiré du défaut d'examen de sa situation ;

- le compte-rendu de l'entretien n'a été fourni à son conseil que juste avant l'audience devant le tribunal administratif, rendant inutile la production du document ; seul un résumé a été communiqué et non un compte-rendu complet ;

- le signataire de la décision n'est pas compétent :

o la délégation de signature du préfet ne pouvant être faite qu'à un membre du pôle régional Dublin ;

o la délégation de signature accordée ne vise pas expressément l'arrêté de nomination de la personne qui reçoit la délégation en méconnaissance de l'article 43 du décret du 29 avril 2004 ;

- la décision est insuffisamment motivée en méconnaissance de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; la décision est stéréotypée ; il n'y a aucune indication sur le fondement de l'acceptation de la prise en charge ;

- il n'a pas été informé avant la prise d'empreinte, en France ou dans un autre pays européen, en méconnaissance de l'article 29 du règlement n° 603/2013 ;

- les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues :

o il n'est pas établi qu'il a reçu l'intégralité de l'information par écrit dans une langue comprise ;

o l'information ne lui a pas été apportée en temps utile ;

- les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues :

o il a été demandé au préfet de transmettre en temps utile le compte-rendu complet de l'entretien individuel ;

o il a été demandé au préfet de justifier que l'entretien a permis de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations fournies ;

o il a été demandé au préfet de justifier que l'entretien individuel a été conduit dans une langue qu'il comprenne ;

o l'administration doit justifier que l'entretien a été mené par une personne qualifiée ; l'administration doit rendre possible pour le juge de connaitre le nom, le prénom et la qualité de la personne ayant conduit l'entretien ;

o l'administration doit justifier que l'entretien a eu lieu dans des conditions garantissant la confidentialité et qu'elle a indiqué à l'intéressé le caractère confidentiel de l'entretien ;

- l'administration doit apporter la preuve qu'elle a respecté l'obligation de l'informer de son droit de bénéficier d'un examen médical gratuit en application de l'article L. 746-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il n'y a pas eu examen particulier de sa situation personnelle ; le préfet n'a pas examiné la possibilité d'une situation de vulnérabilité en dehors de la santé physique ; le préfet n'a pas examiné sa situation de vie privée et familiale ou son parcours en Europe ;

- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation quant à l'application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 :

o la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation quant à sa vulnérabilité ;

o la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation s'agissant du risque de refoulement vers son pays d'origine ; il a déjà été victime d'un refoulement depuis l'Autriche ;

o la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation s'agissant du risque d'être exposé à de mauvais traitements en Autriche.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 décembre 2021, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le délai de transfert de M. E... vers l'Autriche est reporté au 19 janvier 2022 ;

- les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.

M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 4 octobre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Béria-Guillaumie, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... E..., ressortissant afghan né en juillet 1994, est entré en France en juin 2021. Il a déposé une demande d'asile qui a été enregistrée le 15 juin 2021. Par une décision du 7 juillet 2021, le préfet de Maine-et-Loire a prononcé son transfert auprès des autorités autrichiennes pour l'examen de sa demande d'asile et, par une décision du même jour, a également prononcé son assignation à résidence. M. E... relève appel du jugement du 19 juillet 2021, par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a uniquement annulé la décision du 7 juillet 2021 portant assignation à résidence, en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du même jour portant transfert auprès des autorités autrichiennes.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. A l'appui de ses écritures présentées devant le tribunal administratif de Nantes, M. E... avait invoqué le défaut d'examen particulier de sa situation personnelle par le préfet. Le tribunal administratif a bien visé ce moyen mais, alors qu'il n'était pas inopérant, n'y a pas répondu dans le jugement attaqué. M. E... est donc fondé à soutenir que ce jugement est irrégulier en tant qu'il s'est prononcé sur sa demande dirigée contre l'arrêté du 7 juillet 2021 portant transfert auprès des autorités autrichiennes et à en solliciter, pour ce motif, l'annulation.

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de M. E... tendant à l'annulation de l'arrêté du 7 juillet 2021 portant transfert auprès des autorités autrichiennes.

Sur la légalité de l'arrêté portant transfert auprès des autorités autrichiennes :

4. En premier lieu, l'article R. 573-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Sans préjudice du second alinéa de l'article 11-1 du décret n° 2004-374 du 29 avril 2004, l'autorité compétente pour renouveler l'attestation de demande d'asile en application de l'article L. 571-1, est le préfet de département et, à Paris, le préfet de police. ". Par ailleurs, l'article 11-1 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements dispose que " Le préfet de département est compétent en matière d'entrée et de séjour des étrangers ainsi qu'en matière de droit d'asile. / En matière d'asile, un arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre chargé de l'asile peut donner compétence à un préfet de département et, à Paris, au préfet de police pour exercer ces missions dans plusieurs départements ". Aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 10 mai 2019 désignant les préfets compétents pour enregistrer les demandes d'asile et déterminer l'Etat responsable de leur traitement (métropole) : " L'annexe II au présent arrêté fixe la liste des préfets compétents pour procéder à la détermination de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile./ A cette fin, les préfets désignés sont compétents pour : / 1° Renouveler l'attestation de demande d'asile en application de l'article L. 742-1 du code précité ; / 2° Prendre la décision de transfert en application de l'article L. 742-3 du même code ; / 3° Assigner à résidence le demandeur en application du I - 1° bis de l'article L. 561-2 du même code et, le cas échéant, prendre les mesures prévues au II de l'article L. 561-2 et aux deuxième et troisième alinéas de l'article L. 742-2 du code précité./ Cette annexe précise en outre les départements dans lesquels chacun de ces préfets est compétent ". L'article 6 de ce même arrêté dispose, quant à lui, que " Les dispositions du présent arrêté sont applicables aux demandes d'asile enregistrées à compter de la publication du présent arrêté ". Enfin, l'annexe II à cet arrêté prévoit que le préfet de Maine-et-Loire est compétent " pour les demandes concernant les demandeurs domiciliés dans un département de la région Pays de la Loire ".

5. Par ailleurs, l'article 43 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements dispose que : " Le préfet de département peut donner délégation de signature, notamment en matière d'ordonnancement secondaire : (...) / 2° Pour les matières relevant de leurs attributions, aux chefs des services déconcentrés des administrations civiles de l'Etat dans le département ; ces chefs de service peuvent recevoir délégation afin de signer les lettres d'observation valant recours gracieux adressées aux collectivités territoriales ou à leurs établissements publics ; / (...) 7° Aux agents en fonction dans les préfectures, pour les matières relevant des attributions du ministre de l'intérieur, y compris les lettres d'observation valant recours gracieux formés auprès des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics, pour les matières relevant des ministères qui ne disposent pas de services dans le département ainsi que pour la transformation en états exécutoires des ordres de recettes mentionnés aux articles 112 à 124 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique (...) ".

6. L'arrêté du 7 juillet 2021 portant transfert auprès des autorités autrichiennes a été signé, pour le compte du préfet de Maine-et-Loire et par délégation, par Mme C..., adjointe au chef du Pôle Régional Dublin. Aux termes de l'article 7 de l'arrêté du 1er juin 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet de Maine-et-Loire a donné délégation à Mme A... F..., cheffe du pôle régional Dublin à l'effet de signer notamment les décisions prises en application du Règlement Dublin III. Par ce même article, en cas d'absence ou d'empêchement de Mme A... F..., la même délégation était accordée à Mme D... C..., adjointe à la cheffe de pôle. M. E... ne peut donc utilement soutenir que la signataire ne ferait pas partie du Pôle régional Dublin, alors en outre qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait au préfet de Maine-et-Loire d'accorder une délégation pour signer les décisions prises en application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 uniquement aux agents du pôle régional Dublin installé au sein des services de la préfecture. Par ailleurs, aucune disposition législative ou réglementaire n'impose que cet arrêté vise la nomination de l'agent bénéficiaire de la délégation. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte doit être écarté comme manquant en fait.

7. En deuxième lieu, en vertu du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, lorsqu'une telle demande est présentée, un seul Etat, parmi ceux auxquels s'applique ce règlement, est responsable de son examen. Cet Etat, dit Etat membre responsable, est déterminé en faisant application des critères énoncés aux articles 7 à 15 du chapitre III du règlement ou, lorsqu'aucun Etat membre ne peut être désigné sur la base de ces critères, du premier alinéa du paragraphe 2 de l'article 3 de son chapitre II. Si l'Etat membre responsable est différent de l'Etat membre dans lequel se trouve le demandeur, ce dernier peut être transféré vers cet Etat, qui a vocation à le prendre en charge. Lorsqu'une personne a antérieurement présenté une demande d'asile sur le territoire d'un autre Etat membre, elle peut être transférée vers cet Etat, à qui il incombe de la reprendre en charge, sur le fondement des b), c) et d) du paragraphe 1 de l'article 18 du chapitre V et du paragraphe 5 de l'article 20 du chapitre VI de ce même règlement. En application de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application. S'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre Etat membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet Etat, doit être regardée comme suffisamment motivée la décision de transfert à fin de reprise en charge qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'Etat en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.

8. L'arrêté prononçant le transfert de M. E... auprès des autorités autrichiennes vise le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ainsi que le règlement de la Commission n° 1560/2003 du 2 septembre 2003, relève le caractère irrégulier de l'entrée en France de l'intéressé, rappelle le déroulement de la procédure suivie lorsque M. E... s'était présenté devant les services de la préfecture de police de Paris et précise que la consultation du système Eurodac a montré que M. E... était connu des autorités bulgares et autrichiennes auprès desquelles il avait sollicité l'asile et indique la date et le numéro de ces demandes. Il mentionne également l'enregistrement des empreintes de M. E... en Grèce en février 2020 sans qu'il y ait présenté de demande d'asile. Il en résulte que la décision portant transfert de l'intéressé auprès des autorités autrichiennes est ainsi suffisamment motivée en application des dispositions de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, quand bien même la décision ne mentionne pas explicitement les dispositions du b) du c) ou du d) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ou l'existence d'une procédure de reprise en charge, la motivation retenue permettant de faire apparaitre qu'il a été fait application de ces dispositions.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; /b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; /e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. (...) ".

10. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre l'ensemble des éléments d'information prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. La remise de ces éléments doit intervenir en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations. Eu égard à leur nature, la remise par l'autorité administrative de ces informations prévues par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

11. Il ressort des pièces du dossier que M. E... s'est vu remettre, le 15 juin 2021, le jour même de l'enregistrement de sa demande d'asile en préfecture, et la veille de l'entretien individuel, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées, en langue dari, qu'il a déclaré comprendre. Par ailleurs, dans le cadre du compte-rendu de l'entretien, M. E... a apposé sa signature sous les mentions " l'administré confirme avoir compris tous les termes de cet entretien " et " l'information sur les règlements communautaires m'a été remise ". Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) du 26 juin 2013 n'est pas fondé et doit être écarté.

12. En quatrième lieu, l'article 29 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 dispose que : " 1. Toute personne relevant de l'article 9, paragraphe 1, de l'article 14, paragraphe 1, ou de l'article 17, paragraphe 1, est informée par l'État membre d'origine par écrit et, si nécessaire, oralement, dans une langue qu'elle comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'elle la comprend: / a) de l'identité du responsable du traitement au sens de l'article 2, point d), de la directive 95/46/CE, et de son représentant, le cas échéant; / b) de la raison pour laquelle ses données vont être traitées par Eurodac, y compris une description des objectifs du règlement (UE) n o 604/2013, conformément à l'article 4 dudit règlement, et des explications, sous une forme intelligible, dans un langage clair et simple, quant au fait que les États membres et Europol peuvent avoir accès à Eurodac à des fins répressives; / c) des destinataires des données; / d) dans le cas des personnes relevant de l'article 9, paragraphe 1, ou de l'article 14, paragraphe 1, de l'obligation d'accepter que ses empreintes digitales soient relevées; / e) de son droit d'accéder aux données la concernant et de demander que des données inexactes la concernant soient rectifiées ou que des données la concernant qui ont fait l'objet d'un traitement illicite soient effacées, ainsi que du droit d'être informée des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris les coordonnées du responsable du traitement et des autorités nationales de contrôle visées à l'article 30, paragraphe 1. / 2. Dans le cas de personnes relevant de l'article 9, paragraphe 1, ou de l'article 14, paragraphe 1, les informations visées au paragraphe 1 du présent article sont fournies au moment où les empreintes digitales de la personne concernée sont relevées (...) 3. Une brochure commune, dans laquelle figurent au moins les informations visées au paragraphe 1 du présent article et celles visées à l'article 4, paragraphe 1, du règlement (UE) n o 604/2013 est réalisée conformément à la procédure visée à l'article 44, paragraphe 2, dudit règlement. / La brochure est rédigée d'une manière claire et simple, et dans une langue que la personne concernée comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'elle la comprend. / La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres peuvent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. Ces informations spécifiques aux États membres portent au moins sur les droits de la personne concernée, sur la possibilité d'une assistance de la part des autorités nationales de contrôle, ainsi que sur les coordonnées des services du responsable du traitement et des autorités nationales de contrôle (...) ".

13. À la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 29, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des Etats membres relevant du régime européen d'asile commun. La méconnaissance de cette obligation d'information dans une langue comprise par l'intéressé ne peut être utilement invoquée à l'encontre des décisions par lesquelles la France remet un demandeur d'asile aux autorités compétentes pour examiner sa demande.

14. En cinquième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. (...) ".

15. Il ressort des mentions figurant sur le compte-rendu signé par M. E... qu'il a bénéficié le 16 juin 2021, soit avant l'intervention de la décision contestée, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 précité du règlement n° 604/2013. Cet entretien s'est tenu en langue cari, que l'intéressé a déclaré comprendre, avec le concours d'un interprète, dont l'identité est portée sur le compte-rendu d'entretien, intervenant pour le compte de la société ISM Interprétariat et dont aucun élément ne permet de douter de la compétence. Il n'est pas établi que l'intéressé n'aurait pas été en capacité de comprendre les informations qui lui ont été délivrées et de faire valoir toutes observations utiles relatives à sa situation, au cours de l'entretien. Par ailleurs, aucun élément du dossier n'établit que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national et dans des conditions qui n'en auraient pas garanti la confidentialité. En outre, alors que le compte-rendu est signé et revêtu d'un tampon de la préfecture de police de Paris, l'absence d'indication de l'identité et de la qualité de l'agent ayant conduit l'entretien n'a pas privé l'intéressé de la garantie que constitue le bénéfice de cet entretien individuel. Les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 imposent par ailleurs seulement la communication du résumé du compte rendu de l'entretien, sans mention d'éléments différents de ceux qui figurent sur le résumé présent dans les pièces du dossier. Il ne ressort enfin pas des pièces du dossier que le résumé de cet entretien n'aurait pas été communiqué au conseil du requérant en temps utile. Enfin, la circonstance, à la supposer établie, que l'intéressé n'aurait pas fait l'objet de l'évaluation prévue ou n'aurait pas été informé de la possibilité de bénéficier d'un examen médical gratuit pour déterminer les besoins particuliers en matière d'accueil, est sans incidence sur la légalité de l'arrêté portant transfert aux autorités autrichiennes. Par suite, le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

16. En sixième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet ne se serait pas livré à un examen particulier de la demande de l'intéressé.

17. En septième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (...) ".

18. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

19. En invoquant le risque d'être exposé à de mauvais traitements en Autriche à cause de tels traitements qui seraient habituellement infligés aux demandeurs d'asile, M. E... doit être regardé comme invoquant la méconnaissance des dispositions de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Toutefois, alors que l'Autriche est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'intéressé ne démontre aucunement par ses seules affirmations qu'il serait exposé au risque de subir en Autriche des traitements contraires aux dispositions des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et que la décision de transfert méconnaîtrait ainsi l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.

20. En dernier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...) ".

21. En l'absence de production de toute pièce justificative d'une vulnérabilité particulière du requérant en raison notamment de son état de santé, le moyen tiré de ce que, en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et en prononçant son transfert aux autorités autrichiennes, le préfet de Maine-et-Loire aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, doit être écarté.

22. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 7 juillet 2021 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a prononcé son transfert auprès des autorités autrichiennes pour l'examen de sa demande d'asile. Ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent donc être rejetées par voie de conséquence.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2107855 du tribunal administratif de Nantes du 19 juillet 2021 est annulé en tant qu'il rejette la demande de M. E... tendant à l'annulation de l'arrêté du 7 juillet 2021 portant transfert auprès des autorités autrichiennes.

Article 2 : Les conclusions de M. E... tendant à l'annulation de l'arrêté du 7 juillet 2021 portant transfert auprès des autorités autrichiennes, les conclusions à fin d'injonction et les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E..., à Me Guinel-Johnson et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise pour information au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 4 janvier 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Rivas, président-assesseur,

- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 janvier 2022.

La rapporteure,

M. BERIA-GUILLAUMIELe président,

L. LAINÉ

La greffière,

V. DESBOUILLONS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT02789


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT02789
Date de la décision : 17/01/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie BERIA-GUILLAUMIE
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : GUINEL-JOHNSON

Origine de la décision
Date de l'import : 25/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-01-17;21nt02789 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award