Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... B... et Mme D... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé à l'encontre de la décision du 15 mai 2017 du consul général de France à Pondichéry refusant un visa de long séjour à H... Sanjay B... en qualité d'enfant d'un ressortissant français.
Par un jugement n° 1710648 du 17 septembre 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 novembre 2020, M. F... B... et Mme D... B..., représentés par Me Liger, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé à l'encontre de la décision du 15 mai 2017 du consul général de France à Pondichéry refusant un visa de long séjour à H... Sanjay B... en qualité d'enfant d'un ressortissant français ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur, sous astreinte, à titre principal, de délivrer le visa sollicité, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de la demande, dans un délai de trente jours à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la décision contestée méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que l'enfant a le droit de vivre en France avec ses parents adoptifs français, qui subviennent à ses besoins depuis le 11 juin 2014 ;
- elle méconnaît les articles 3-1, 7, 9 et 10 de la convention relative aux droits de l'enfant dès lors que l'intérêt supérieur de l'enfant est de vivre auprès de ses parents adoptifs en France ;
- cette décision méconnaît les articles L. 314-11, 2° et L. 313-11, 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que l'enfant se verra délivrer de plein droit une carte de résident en qualité d'enfant d'un ressortissant français à sa majorité et que toutes ses attaches familiales se situent en France ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que la procédure d'adoption a été régulière et qu'ils ne présentent pas une menace à l'ordre public.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 décembre 2020, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par les requérants n'est fondé.
Des mémoires, enregistrés les 14 septembre et 6 décembre 2021, postérieurement à la clôture de l'instruction fixée au 6 septembre 2021, ont été présentés pour M. et Mme B..., et n'ont pas été communiqués.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant :
- la convention de La Haye du 29 mai 1993 relative à la protection des enfants et à la coopération en matière d'adoption internationale ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frank,
- les conclusions de M. Mas, rapporteur public,
- et les observations de Me Le Floch substituant Me Liger, représentant M. et Mme B....
Une note en délibéré, présentée pour M. F... B... et Mme D... B..., a été enregistrée le 3 janvier 2022.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 12 août 2015, le tribunal de la famille à Pondichéry (Inde) a prononcé l'adoption plénière, par M. et Mme B..., ressortissants français, de l'enfant H... Sanjay B..., ressortissant indien né le 26 janvier 2014. Par un courrier du 19 décembre 2017, le procureur de la République du tribunal de grande instance de Nantes a, toutefois, refusé de procéder à la transcription de ce jugement sur les registres d'état civil français. Le 6 avril 2017, les requérants ont sollicité la délivrance d'un visa de long séjour pour Noa J... B... en qualité d'enfant de ressortissants français. Par une décision du 15 mai 2017, le consul général de France à Pondichéry a refusé de délivrer ce visa. Le recours formé à l'encontre de cette décision a été implicitement rejeté par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. M. et Mme B... relèvent appel du jugement du 17 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande d'annulation de la décision de la commission de recours.
2. En premier lieu, en vertu de l'article 1er de la convention signée à La Haye le 29 mai 1993 relative à la protection des enfants et à la coopération en matière d'adoption internationale, celle-ci a pour objet d'établir des garanties pour que les adoptions internationales aient lieu dans l'intérêt supérieur de l'enfant et dans le respect des droits fondamentaux qui lui sont reconnus en droit international, d'instaurer un système de coopération entre les États contractants pour assurer le respect de ces garanties et prévenir ainsi l'enlèvement, la vente ou la traite d'enfants, et enfin d'assurer la reconnaissance dans les États contractants des adoptions réalisées selon la Convention.
3. La France a déposé, le 30 juin 1998, son instrument de ratification de la convention de La Haye du 29 mai 1993. L'Inde a adhéré à cette convention le 6 juin 2003. En application des stipulations de l'article 46 de la convention, celle-ci est entrée en vigueur en France le 1er septembre 1998 et en Inde le 1er octobre 2003. Il en résulte qu'à compter de cette dernière date, la convention était en vigueur tant en France qu'en Inde. Dès lors, la convention de La Haye était applicable à la démarche d'adoption entreprise par M. et Mme B... à compter de 2014.
4. Aux termes de l'article 2, paragraphe 1, de la convention de la Haye, celle-ci s'applique " lorsqu'un enfant résidant habituellement dans un État contractant ("l'État d'origine") a été, est ou doit être déplacé vers un autre État contractant ("l'État d'accueil"), soit après son adoption dans l'État d'origine par des époux ou une personne résidant habituellement dans l'État d'accueil, soit en vue d'une telle adoption dans l'État d'accueil ou dans l'État d'origine. "
5. Aux termes de l'article 4 de la convention de La Haye : " Les adoptions visées par la Convention ne peuvent avoir lieu que si les autorités compétentes de l'État d'origine : / a) ont établi que l'enfant est adoptable (...) ". Aux termes de l'article 5 de cette convention : " Les adoptions visées par la Convention ne peuvent avoir lieu que si les autorités compétentes de l'Etat d'accueil: a) ont constaté que les futurs parents adoptifs sont qualifiés et aptes à adopter ;
b) se sont assurées que les futurs parents adoptifs ont été entourés des conseils nécessaires ; et c) ont constaté que l'enfant est ou sera autorisé à entrer et à séjourner de façon permanente dans cet Etat. ". Aux termes de l'article 14 de la convention : " Les personnes résidant habituellement dans un État contractant, qui désirent adopter un enfant dont la résidence habituelle est située dans un autre État contractant, doivent s'adresser à l'Autorité centrale de l'État de leur résidence habituelle. ". Selon l'article 17 de la convention : " Toute décision de confier un enfant à des futurs parents adoptifs ne peut être prise dans l'État d'origine que / a) si l'Autorité centrale de cet État s'est assurée de l'accord des futurs parents adoptifs ; / b) si l'Autorité centrale de l'État d'accueil a approuvé cette décision, lorsque la loi de cet État ou l'Autorité centrale de l'État d'origine le requiert ; / c) si les Autorités centrales des deux États ont accepté que la procédure en vue de l'adoption se poursuive ; et / d) s'il a été constaté conformément à l'article 5 que les futurs parents adoptifs sont qualifiés et aptes à adopter et que l'enfant est ou sera autorisé à entrer et à séjourner de façon permanente dans l'État d'accueil. ". L'article 19, paragraphe 1, de la convention stipule que " Le déplacement de l'enfant vers l'État d'accueil ne peut avoir lieu que si les conditions de l'article 17 ont été remplies. ". Aux termes de l'article 23, paragraphe 1, de la même convention : " Une adoption certifiée conforme à la Convention par l'autorité compétente de l'État contractant où elle a eu lieu est reconnue de plein droit dans les autres États contractants. Le certificat indique quand et par qui les acceptations visées à l'article 17, lettre c), ont été données ". Aux termes de son article 29 : " Aucun contact entre les futurs parents adoptifs et les parents de l'enfant ou toute autre personne qui a la garde de celui-ci ne peut avoir lieu tant que les dispositions de l'article 4, lettres a) à c), et de l'article 5, lettre a), n'ont pas été respectées, sauf si l'adoption a lieu entre membres d'une même famille ou si les conditions fixées par l'autorité compétente de l'État d'origine sont remplies. ". En vertu de l'article 41 de cette convention, celle-ci s'applique " chaque fois qu'une demande visée à l'article 14 a été reçue après l'entrée en vigueur de la Convention dans l'État d'accueil et l'État d'origine. ".
6. Les engagements pris par la France en tant qu'État partie à la convention signée à La Haye le 29 mai 1993 lui imposent de veiller au respect des exigences posées par la convention en matière d'adoption internationale.
7. Il ressort des pièces du dossier, notamment du courrier du 26 octobre 2017 de communication des motifs de la décision contestée, que pour rejeter la demande de visa de long séjour formulée pour l'enfant H... J... B..., la commission de recours s'est fondée sur ce que la procédure d'adoption prévue par la convention de La Haye n'a pas été respectée et sur ce que certains éléments font apparaître une fraude concernant l'identité de l'homme qui a émis, en qualité de père biologique de l'enfant, le consentement à l'adoption par les époux B....
8. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme B... n'ont préalablement saisi, en vue de l'adoption de l'enfant Noa J... B..., ni l'autorité centrale indienne ni l'autorité centrale française pour l'adoption, en méconnaissance des stipulations précitées des articles 4, 5, 14, 17 et 19 de la convention de La Haye. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier, et notamment du courrier de l'autorité centrale indienne du 19 décembre 2017, qu'aucun certificat de non-objection n'a été délivré aux parents adoptifs, au motif que la procédure d'adoption suivie est illégale. Les époux B... ne contestent d'ailleurs pas l'allégation du ministre selon laquelle ils ont rencontré l'enfant juste après sa naissance, préalablement à l'adoption, en méconnaissance de l'article 29 de la convention de la Haye. Par suite, l'adoption de l'enfant qui a été précédée d'une identification directe de l'enfant est contraire aux principes de l'adoption internationale tels qu'énoncés par les articles précités de la convention de La Haye, alors même que les requérants disposent d'un jugement d'adoption plénière rendu par une juridiction indienne. Par conséquent, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a pu légalement rejeter le recours formé contre la décision de rejet de la demande de visa formé pour l'enfant H... J... B... au motif que la procédure d'adoption prévue par la convention de La Haye n'a pas été respectée. Il résulte de l'instruction que la commission de recours aurait pris la même décision si elle s'était fondée sur ce seul motif.
9. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 8 que l'adoption dont se prévaut M. et Mme B... a été prononcée en violation de la convention de La Haye du 29 mai 1993, dont l'un des buts est de garantir que les adoptions internationales ont lieu dans l'intérêt supérieur de l'enfant et le respect de ses droits fondamentaux. Il suit de là que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la décision contestée de la commission de recours serait contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
10. En troisième lieu, les requérants ne peuvent utilement invoquer les stipulations des articles 7 et 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, qui créent seulement des obligations entre Etats sans ouvrir des droits à leurs ressortissants, ni celles de son article 10, qui ne sont relatives qu'au droit de quitter son pays d'origine et d'y retourner.
11. En quatrième lieu, les requérants ne peuvent davantage utilement se prévaloir des dispositions des articles L. 313-11 et L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, qui régissent la délivrance de la carte de séjour temporaire.
12. En cinquième lieu, il ressort des pièces du dossier que si M. et Mme B... ont noué des liens avec le jeune Noa Sanjay à compter du mois de juin 2014, son adoption, ainsi qu'il vient d'être dit, n'a pas été prononcée dans l'intérêt supérieur de l'enfant et le respect de ses droits fondamentaux. Par ailleurs, Mme B... réside en Inde avec l'enfant en vertu d'un permis de résidence de longue durée, et M. B... se rend régulièrement dans ce pays pour rendre visite à son épouse et à l'enfant. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la décision contestée porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l'adoptant et de l'adopté par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Dès lors, les moyens tirés de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation doivent également être écartés.
13. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... B..., à Mme D... B..., au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 10 décembre 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de la formation de jugement,
- M. Frank, premier conseiller,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 janvier 2022.
Le rapporteur,
A. FRANKLa présidente de la formation de jugement,
C. BUFFET
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 20NT03601