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14/12/2021 | FRANCE | N°20NT03804

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 14 décembre 2021, 20NT03804


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 11 décembre 2019 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 26 août 2019 des autorités consulaires françaises à Rabat (Maroc) refusant de délivrer à Mme A... B... un visa de long séjour.

Par un jugement n° 2001795 du 5 octobre 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.

Procédure dev

ant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 décembre 2020, M. D... C... et Mme A... B.....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 11 décembre 2019 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 26 août 2019 des autorités consulaires françaises à Rabat (Maroc) refusant de délivrer à Mme A... B... un visa de long séjour.

Par un jugement n° 2001795 du 5 octobre 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 décembre 2020, M. D... C... et Mme A... B..., représentés par Me Marie, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 5 octobre 2020 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision du 11 décembre 2019 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité, à défaut, de procéder au réexamen de la demande, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la décision contestée ne pouvait être prise au motif de l'absence de production d'un justificatif d'assurance maladie dès lors que l'administration n'a pas invité la demanderesse à produire un tel document ; en tout état de cause ils produisent une attestation de souscription d'un contrat d'assurance ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur d'appréciation s'agissant des conditions de ressources et de logement du titulaire du droit de recueil légal et du projet d'études en France.

La requête a été communiquée au ministre de l'intérieur, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Frank a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... C..., ressortissant marocain né le 26 mai 1967 à Kenitra (Maroc), s'est vu confier l'enfant Aicha B..., ressortissante marocaine née le 14 mars 2002, dont il est l'oncle, par un acte de recueil légal (Kafala) du 13 mai 2019 du tribunal de première instance de Kenitra. Les autorités consulaires françaises à Rabat (Maroc) ayant refusé de délivrer à l'enfant un visa de long séjour par une décision du 26 août 2019, M. C... a formé un recours devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Ce recours a été rejeté par la commission par une décision du 11 décembre 2019. M. C... et Mme B... relèvent appel du jugement du 5 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande d'annulation de cette décision de la commission de recours.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser le visa sollicité, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur les motifs tirés, d'une part, de ce que le dossier était incomplet, Mme B... ne justifiant pas d'un contrat d'assurance-maladie, d'autre part, de ce que M. C... ne justifiait pas de moyens suffisants pour prendre en charge sa nièce, âgée de 17 ans.

3. En premier lieu, et d'une part, il résulte des dispositions des articles D. 211-5 et D. 211-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, que la saisine de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France constitue un recours administratif préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux et qu'ainsi la décision administrative que rend la commission se substitue à celle qui a été prise par les autorités diplomatiques ou consulaires. L'article L. 110-1 du code des relations entre le public et l'administration dispose : " Sont considérées comme des demandes au sens du présent code les demandes et les réclamations, y compris les recours gracieux ou hiérarchiques, adressés à l'administration ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 114-5 du même code : " Lorsqu'une demande adressée à l'administration est incomplète, celle-ci indique au demandeur les pièces et informations manquantes exigées par les textes législatifs et réglementaires en vigueur. Elle fixe un délai pour la réception de ces pièces et informations. ". Il résulte de ces dispositions que les recours administratifs préalables obligatoires formés, sur le fondement de l'article D. 211-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France constituent des demandes au sens des dispositions de l'article L. 110-1 du code des relations entre le public et l'administration. Dès lors, en l'absence de dispositions spéciales contraires, les dispositions de l'article L. 114-5 de ce code sont applicables à ces recours administratifs. La circonstance que les dispositions du chapitre 2 du titre Ier du quatrième livre du code des relations entre le public et l'administration, lequel chapitre porte sur les recours administratifs préalables obligatoires, ne renvoient pas à celles de l'article L. 114-5 ne saurait avoir pour effet, sous réserve de dispositions spéciales, d'écarter l'application à ces recours des garanties prévues par le livre Ier de ce code.

4. D'autre part, aux termes des dispositions de l'article L. 211-1, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour entrer en France, tout étranger doit être muni : / (...) / 2° Sous réserve des conventions internationales, (...) des autres documents prévus par décret en Conseil d'Etat relatifs, (...), à la prise en charge par un opérateur d'assurance agréé des dépenses médicales et hospitalières, y compris d'aide sociale, résultant de soins qu'il pourrait engager en France, ainsi qu'aux garanties de son rapatriement ; / (...). ". Aux termes de l'article R. 211-29, alors en vigueur, du même code : " Les entreprises d'assurances, les mutuelles et les institutions de prévoyance habilitées à exercer en France une activité d'assurance ainsi que les organismes d'assurance ayant reçu les agréments des autorités de leur Etat d'origine pour l'exercice des opérations d'assurance concernées sont considérés comme agréés pour l'application des dispositions du 2° de l'article L. 211-1. / Le contrat d'assurance souscrit par l'étranger ou par l'hébergeant pour le compte de celui-ci doit couvrir, à hauteur d'un montant minimum fixé à 30 000 euros, l'ensemble des dépenses médicales et hospitalières, y compris d'aide sociale, susceptibles d'être engagées pendant toute la durée du séjour en France. ".

5. En application des dispositions de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France est tenue d'inviter les demandeurs à régulariser, soit les recours qui ne comporteraient pas les pièces et informations exigées, le cas échéant, par les textes relatifs au recours préalable obligatoire devant cette commission, soit ceux que la commission envisage de rejeter en se fondant sur l'incomplétude du dossier de la demande de visa alors que les autorités diplomatiques ou consulaires n'ont pas préalablement invité le demandeur de visa à compléter sa demande dans un délai déterminé.

6. Il résulte de ce qui précède qu'en se fondant sur le motif tiré de ce que le dossier de demande de visa était incomplet, et alors qu'il n'est pas contesté que M. C... n'avait pas été préalablement invité à produire le justificatif du contrat d'assurance prévu à l'article R. 211-29, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration.

7. En second lieu, l'intérêt d'un enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui, en vertu d'une décision de justice qui produit des effets juridiques en France, est titulaire à son égard de l'autorité parentale. Ainsi, dans le cas où un visa d'entrée et de long séjour en France est sollicité en vue de permettre à un enfant de rejoindre un ressortissant français ou étranger qui a reçu délégation de l'autorité parentale dans les conditions qui viennent d'être indiquées, ce visa ne peut en règle générale, eu égard notamment aux stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, être refusé pour un motif tiré de ce que l'intérêt de l'enfant serait au contraire de demeurer auprès de ses parents ou d'autres membres de sa famille. En revanche et sous réserve de ne pas porter une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale, l'autorité chargée de la délivrance des visas peut se fonder, pour rejeter la demande dont elle est saisie, non seulement sur l'atteinte à l'ordre public qui pourrait résulter de l'accès de l'enfant au territoire national, mais aussi sur le motif tiré de ce que les conditions d'accueil de celui-ci en France seraient, compte tenu notamment des ressources et des conditions de logement du titulaire de l'autorité parentale, contraires à son intérêt.

8. Il ressort des pièces du dossier que l'acte de recueil légal, édicté par le tribunal de première instance de Kenitra du 13 mai 2019, a délégué à M. C... l'autorité parentale sur l'enfant abandonné Aicha B..., notamment pour prendre à son égard toutes mesures de tutelle et de prise en charge. M. C..., célibataire sans enfant, justifie, par des pièces produites pour la première fois en appel, qu'il exerçait à la date de la décision contestée un emploi dans le bâtiment, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, et qu'il percevait des revenus d'environ 1 600 euros nets par mois. Dans ces conditions, les requérants sont fondés à soutenir que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'a pu légalement estimer que l'intérêt de l'enfant était de demeurer dans son pays d'origine, eu égard aux ressources de M. C....

9. Il résulte de tout ce qui précède, que M. C... et Mme B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

10. Il résulte de l'instruction que Mme A... B..., née le 14 mars 2002, est âgé de plus de dix-huit ans à la date de la présente décision. Aucune disposition applicable à l'intéressée n'impose au juge de l'exécution de tenir compte d'un âge autre que celui atteint à la date de la présente décision. Dans ces conditions, et eu égard aux motifs d'annulation sur lequel repose le présent arrêt, l'exécution de celui-ci n'implique plus nécessairement que le ministre de l'intérieur délivre à l'intéressée un visa de long séjour. Par suite, il y a seulement lieu de prescrire le réexamen par l'autorité administrative, à l'issue d'une nouvelle instruction, de la demande de visa présentée par Mme A... B..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme globale de 1 200 euros à verser à M. C... et à Mme B... au titre des frais liés à l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 5 octobre 2020 et la décision du 11 décembre 2019 par laquelle la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a refusé d'accorder un visa de long séjour à Mme A... B..., sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de la demande de Mme A... B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. C... et à Mme B... une somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 26 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président de chambre,

- Mme Buffet, présidente-assesseure,

- M. Frank, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 décembre 2021.

Le rapporteur,

A. FRANKLe président,

J. FRANCFORT

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

4

N° 20NT03804


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT03804
Date de la décision : 14/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. FRANCFORT
Rapporteur ?: M. Alexis FRANK
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : MARIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-12-14;20nt03804 ?
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