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14/12/2021 | FRANCE | N°20NT02752

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 14 décembre 2021, 20NT02752


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société centrale éolienne Tureau à la Dame a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 28 décembre 2017 par laquelle la préfète du Cher a refusé de lui délivrer l'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent, sur le territoire des communes de Jalognes et Montigny (Cher).

Par un jugement n° 1800698 du 3 juillet 2020, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté la demande.

Procédure devant

la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 3 septembre 2020 et 3 mars 2021, la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société centrale éolienne Tureau à la Dame a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 28 décembre 2017 par laquelle la préfète du Cher a refusé de lui délivrer l'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent, sur le territoire des communes de Jalognes et Montigny (Cher).

Par un jugement n° 1800698 du 3 juillet 2020, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 3 septembre 2020 et 3 mars 2021, la société centrale éolienne Tureau à la Dame, représentée par Me Gélas, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 3 juillet 2020 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision du 28 décembre 2017 de la préfète du Cher ;

3°) à titre principal, d'accorder l'autorisation sollicitée en l'assortissant, en tant que de besoin, de prescriptions nécessaires à la préservation des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement ;

4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet du Cher, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de délivrer l'autorisation sollicitée dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'intervention de l'association de sauvegarde du Pays de Jalognes et autres est irrecevable, et ne pourra être admise ;

- le jugement attaqué est irrégulier, en ce qu'il a admis l'intervention de l'association de sauvegarde du Pays de Jalognes et autres, dont l'intérêt à intervenir n'est pas établi, intervention qui a eu pour effet, par ailleurs, de retarder le traitement de l'affaire, en méconnaissance de l'article R. 632-1 du code de justice administrative ;

- le jugement attaqué est irrégulier, en ce qu'il estime que la compatibilité entre le projet et la procédure de classement au titre des Monuments historiques et au titre du patrimoine mondial de l'UNESCO, ne serait pas avérée, et en ce qu'il accorde une protection à une hypothétique candidature du site d'accueil ;

- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il a accordé une valeur probante à de simples photographies et simulations, lesquelles ne présentaient pas les garanties de fiabilité nécessaires ;

- les décisions contestées sont entachées d'erreur d'appréciation et d'erreur de droit, au regard de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme et L. 511-1 du code de l'environnement ; le site d'implantation du projet ne présente aucun intérêt particulier ; le projet s'inscrit dans une zone favorable à l'éolien définie par le schéma régional éolien et la zone de développement éolien ; le projet n'est de nature à porter atteinte, ni au paysage emblématique du Cher, ni au patrimoine bâti ; le projet n'est pas incompatible avec le classement en cours du Sancerrois au titre de la loi du 2 mai 1930 et la candidature en cours auprès de l'Unesco ; le projet n'aura aucun impact sur le tourisme ;

Par un mémoire en intervention, enregistré le 2 février 2021, l'association de sauvegarde du Pays de Jalognes, l'association "Comité sancerrois patrimoine mondial", M. B..., et M. A..., représentés par Me de Bailliencourt, demandent au tribunal de prendre acte de ce qu'ils s'associent aux conclusions de la ministre de la transition écologique.

Ils soutiennent que :

- ils justifient d'un intérêt suffisant à intervenir dans la procédure ;

- leur intervention n'a pas retardé le jugement attaqué ;

- aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 février 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par une lettre enregistrée le 8 octobre 2020, l'association de sauvegarde du Pays de Jalognes a été désignée par leur avocat en qualité de représentant unique, destinataire de la notification de la décision à venir.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ;

- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;

- le décret n° 2014-450 du 2 mai 2014 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frank,

- les conclusions de M. Mas, rapporteur public,

- et les observations de Me Bressant substituant Me Gélas, représentant la société centrale éolienne Tureau à la Dame, et de Me de Bailliencourt, représentant l'association de sauvegarde du Pays de Jalognes et autres.

Une note en délibéré, présentée pour la société centrale éolienne Tureau à la Dame, a été enregistrée le 30 novembre 2021.

Considérant ce qui suit :

1. Le 30 novembre 2014, la société centrale éolienne Tureau à la Dame (CETAD) a déposé auprès du préfet du Cher une demande portant sur l'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent sur le territoire des communes de Jalognes et Montigny (Cher), composée de quatre éoliennes d'une puissance maximale unitaire de 2 MW et d'une hauteur en bout de pale de 150 mètres, ainsi que d'un poste de livraison. Cette demande a été complétée les 23 juin 2016 et 16 mars 2017. Par un arrêté du 28 décembre 2017, la préfète du Cher a rejeté sa demande. La société CETAD relève appel du jugement du 3 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur l'intervention de l'association de sauvegarde du Pays de Jalognes et autres :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 632-1 du code de justice administrative : " L'intervention est formée par mémoire distinct. / (...) / Le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction ordonne, s'il y a lieu, que ce mémoire en intervention soit communiqué aux parties et fixe le délai imparti à celles-ci pour y répondre. / Néanmoins, le jugement de l'affaire principale qui est instruite ne peut être retardé par une intervention ". Toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige est recevable à former une intervention.

3. Il ressort des pièces du dossier que l'association de sauvegarde du Pays de Jalognes, dont le champ d'action géographique couvre le territoire des communes de Jalognes et de Montigny, a pour objet " de protéger l'environnement de la commune de Jalognes et des communes limitrophes ; de préserver les espaces naturels et les paysages du Sancerrois ; de défendre l'identité culturelle des paysages et de lutter contre les atteintes qui pourraient être portées à cet environnement ". Eu égard, d'une part, à son objet statutaire, à son champ d'intervention géographique et aux missions qu'elle s'est assignée et, d'autre part, à la nature et à la localisation du projet, l'association de sauvegarde du Pays de Jalognes justifie d'un intérêt à intervenir au soutien des conclusions de la ministre de la transition écologique tendant au rejet de la requête dirigée contre l'arrêtés préfectoral du 28 décembre 2017. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'intérêt des autres intervenants, son intervention est recevable. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la société CETAD doit être écartée.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces de la procédure de première instance que l'intervention de l'association de sauvegarde du Pays de Jalognes et autres aurait retardé l'instruction et le jugement de l'affaire devant le tribunal administratif, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 632-1 du code de justice administrative. Par suite, et à supposer qu'une telle circonstance puisse entacher d'irrégularité le jugement attaqué, le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait méconnu son office en admettant l'intervention prétendument dilatoire de l'association de sauvegarde du Pays de Jalognes et autres doit être écarté.

5. En second lieu la requérante soutient que les premiers juges, en ce qu'ils ont estimé que la compatibilité entre le projet contesté et la procédure de classement au titre des monuments historiques et au titre du patrimoine mondial de l'UNESCO ne serait pas avérée, auraient entaché leur jugement d'irrégularité pour avoir accordé une protection à des candidatures hypothétiques ainsi qu'une valeur probante à de simples photographies et simulations. Toutefois de tels moyens, qui se rattachent au bien-fondé du jugement attaqué, sont en tout état de cause sans incidence sur sa régularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la recevabilité de l'intervention en première instance :

6. Il résulte de ce qui a été dit au point 2 que l'association de sauvegarde du Pays de Jalognes justifie d'un intérêt à intervenir au soutien des conclusions tendant au maintien de l'arrêté contesté. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'intérêt des autres intervenants, la société CETAD n'est pas fondée à soutenir que l'intervention formé par cette association devant les premiers juges n'était pas recevable.

En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du 28 décembre 2017 :

7. Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 (...) ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...), les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. (...) ". Il résulte de ces dispositions que lorsqu'il statue sur une demande d'autorisation d'exploitation d'une installation classée pour la protection de l'environnement, il appartient au préfet de s'assurer que le projet ne méconnaît pas, notamment, l'exigence de conservation des sites, des monuments ainsi que de protection des paysages, prévue par l'article L. 511-1 du code de l'environnement.

8. Pour refuser de délivrer l'autorisation sollicitée, la préfète du Cher s'est fondée sur la circonstance que les impacts visuels du projet étaient de nature à porter atteinte à la protection des paysages environnants et à la conservation de plusieurs monuments historiques proches.

9. D'une part, le projet prévoit l'implantation du parc éolien sur le territoire des communes de Jalognes et de Montigny, à quelques kilomètres au sud-ouest de Sancerre, au sein d'une zone identifiée comme favorable au développement éolien dans le schéma régional éolien. L'aire d'implantation, constituée de vastes plaines agricoles cultivées mollement vallonnées, est localisée dans la Champagne berrichonne, au carrefour du Sancerrois, du Pays Fort et du Val de Loire, dont l'identité paysagère est marquée. L'atlas des paysages du Cher souligne le caractère exceptionnel de la transition du Piémont du pays fort, au sein de laquelle se situe l'aire d'étude rapprochée du projet, et précise qu'il s'agit d'un territoire d'entrelacements entre l'espace ouvert et l'espace fermé, lesquels représentent " un moment privilégié dans l'organisation paysagère du département offrant le spectacle de la majeure partie de la plaine dont il fait comprendre les nuances et les subtilités ". L'aire intermédiaire d'implantation s'inscrit dans une zone de transition s'inclinant vers la Loire et le Piémont du pays fort, et comprend les collines viticoles du Sancerrois, de Montigny et de Menetou-Ratel. Plusieurs immeubles inscrits ou classés au titre des monuments historiques sont situés au sein du périmètre rapproché, intermédiaire, et éloigné du projet. Le paysage naturel et bâti de l'aire d'implantation présente, dès lors, un intérêt significatif.

10. D'autre part le projet prévoit l'installation de quatre éoliennes et d'un poste de livraison, dont les pales atteindront une hauteur totale de 150 mètres. Il résulte de l'instruction, et notamment des photomontages produits par le pétitionnaire au sein du volet paysager de l'étude d'impact, et des photographies produites par les intervenants, que les éoliennes seront d'abord visibles depuis le sentier de grande randonnée n° 31 qui traverse le pays Fort en direction de Sancerre, lequel offre un panorama vers la Champagne Berrichonne. Les éoliennes se détacheront nettement du relief et des massifs boisés dans le paysage offert par ce chemin, et créeront une accroche visuelle franche. Elles pourront également être vues avec netteté depuis les hauteurs de la ville de Sancerre, ainsi que depuis la tour des Fiefs, dernier vestige du château féodal de Sancerre de la fin du 14ème, inscrit au titre des monuments historiques. Depuis l'entrée du bourg de Montigny, sur la route départementale 44, l'église de Montigny, classée au titre des monuments historiques, entre dans le même champ de vision que plusieurs éoliennes, lesquelles se situent à environ 4 km du monument protégé. Le parc éolien sera encore implanté à 3 km environ du château de Pesselières, inscrit au titre des monuments historiques et dont le parc a reçu le label de " jardin remarquable ". Il sera visible depuis la cour de ce château, notamment en hiver, et depuis le haut de sa tour qui offre de larges vues sur les toitures protégées du bâtiment et sur les cultures et boisements environnants. La tour de Vesvres, classée au titre des monuments historiques, distante d'environ 6 km, entre également en co-visibilité avec les ouvrages projetés, notamment depuis le long de la RD 22. Depuis les hameaux de la Reculée, de la Charnaye et des Ferrands, situés entre 1 km et 2 km du projet, la présence des éoliennes marquera fortement le paysage et génèrera un effet de surplomb. L'ensemble de ces vues impactera significativement la perception visuelle des paysages remarquables environnants, ainsi que des monuments ou les perspectives offertes depuis ces sites appartenant au patrimoine culturel et historique de la région. Par suite, eu égard à la consistance du projet, à son implantation et aux éléments naturels qui ne dissimulent que très partiellement la visibilité des machines, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la préfète du Cher aurait fait une inexacte application des dispositions précitées des articles du code de l'urbanisme en refusant de délivrer l'autorisation d'exploitation sollicitée.

11. Il résulte de ce qui précède que la société CETAD n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la requête de la société CETAD, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par la requérante doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la société CETAD d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention de l'association de sauvegarde du Pays de Jalognes et autres est admise.

Article 2 : La requête de la société centrale éolienne Tureau à la Dame est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société centrale éolienne Tureau à la Dame, à la ministre de la transition écologique et à l'association de sauvegarde du Pays de Jalognes, représentant unique désigné par Me de Bailliencourt mandataire.

Copie en sera adressée, pour information, à la préfète du Cher.

Délibéré après l'audience du 26 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président de chambre,

- Mme Buffet, présidente-assesseure,

- M. Frank, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 décembre 2021.

Le rapporteur,

A. FRANKLe président,

J. FRANCFORT

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

4

N° 20NT02752


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT02752
Date de la décision : 14/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. FRANCFORT
Rapporteur ?: M. Alexis FRANK
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : LPA CGR

Origine de la décision
Date de l'import : 21/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-12-14;20nt02752 ?
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