Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Aviagen France a demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013.
Par un jugement n° 1703231 du 12 juin 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 27 juillet 2020, 15 juillet et 17 et 20 septembre 2021 la société Aviagen France, représentée par Me Guérin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge sollicitée ;
3°) dans le dernier état de ses écritures de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le taux du marché peut être démontré par tout moyen, y compris par des moyens a posteriori ;
- le taux d'intérêt de 7 % pratiqué sur ses emprunts est conforme au principe de pleine concurrence, comme le démontrent l'étude argumentée du cabinet KPMG ainsi que l'étude du cabinet Ernst et Young, qui se fondent sur des arguments économiques sérieux.
Par des mémoires en défense enregistrés les 28 décembre 2020, 30 août et 15 octobre 2021 le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour de rejeter la requête.
Il soutient que le moyen soulevé par la société Aviagen France n'est pas fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Picquet,
- les conclusions de Mme Chollet, rapporteure publique,
- et les observations de Me Creusat, représentant la société Aviagen.
Considérant ce qui suit :
1. Dans le cadre de l'acquisition de la société Grelier France Accouveur, la société Aviagen France, créée en octobre 2010, a contracté au cours de l'année 2011 cinq emprunts au taux de 7 %, pour une durée de cinq ans chacun et d'un montant total de 6 980 000 euros, auprès des sociétés Aviagen Limited et Aviagen International Holdings, appartenant au même groupe qu'elle. A l'issue d'une vérification de sa comptabilité portant sur la période du 5 octobre 2010 au 30 juin 2013, l'administration fiscale a remis en cause la déduction par cette société d'une fraction des intérêts afférents à ces emprunts au motif que leur taux excédait le taux de référence utilisé pour le plafonnement de la déductibilité des intérêts défini au 3° du 1 de l'article 39 et à l'article 212 du code général des impôts, à savoir respectivement 3,82 %, 3,93 % et 2,90 % pour les exercices concernés. L'administration a, en conséquence, réintégré dans les résultats des exercices contrôlés les sommes correspondant à cette différence de taux d'intérêt. La société Aviagen France a demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013. Par un jugement du 12 juin 2020, le tribunal a rejeté sa demande. La société Aviagen France fait appel de ce jugement.
2. D'une part, aux termes de l'article 39 du code général des impôts dans sa rédaction applicable aux années en litige : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : / (...) 3° Les intérêts servis aux associés à raison des sommes qu'ils laissent ou mettent à la disposition de la société, en sus de leur part du capital, quelle que soit la forme de la société, dans la limite de ceux calculés à un taux égal à la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit pour des prêts à taux variable aux entreprises, d'une durée initiale supérieure à deux ans. (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 212 du même code : " I.- Les intérêts afférents aux sommes laissées ou mises à disposition d'une entreprise par une entreprise liée directement ou indirectement au sens du 12 de l'article 39, sont déductibles dans la limite de ceux calculés d'après le taux prévu au premier alinéa du 3° du 1 de l'article 39 ou, s'ils sont supérieurs, d'après le taux que cette entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues. ". Le taux que l'entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues s'entend, pour l'application de ces dispositions, du taux que de tels établissements ou organismes auraient été susceptibles, compte tenu de ses caractéristiques propres, notamment de son profil de risque, de lui consentir pour un prêt présentant les mêmes caractéristiques dans des conditions de pleine concurrence. L'entreprise emprunteuse, à qui incombe la charge de justifier du taux qu'elle aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants pour un prêt consenti dans des conditions analogues, a la faculté d'apporter cette preuve par tout moyen.
4. Au travers de sa société française, Aviagen France, détenue par sa société mère Aviagen International Holding Limited, le groupe a acquis auprès du groupe Grelier une unité de production de poulets reproducteurs grand-parentaux et parentaux de race GP Ross permettant la production in fine de poulets de chair. Afin de financer cette opération, la société Aviagen France a bénéficié de cinq financements intragroupe entre le 16 février 2011 et le 27 juillet 2011, pour un montant global de 6 980 000 euros. Ces financements intragroupe ont été octroyés pour une durée de cinq ans et portaient un taux d'intérêt de 7%. L'administration lui a substitué le taux d'intérêt légal prévu à l'article 39 du code général des impôts, soit respectivement 3,82 %, 3,93 % et 2,90 % pour les exercices concernés.
5. Pour justifier que le taux de 7 % supérieur aux taux mentionnés au point 4 auquel elle a rémunéré les différentes avances qui lui ont été consenties n'était pas supérieur à celui qu'elle aurait obtenu d'un établissement financier indépendant dans des conditions analogues, la société Aviagen France a produit d'abord une analyse comparative des taux d'intérêts réalisée par le cabinet KPMG le 21 novembre 2013, complétée en 2015 par une recherche élargie aux années 2009 et 2010, ensuite une étude du cabinet Ernst et Young réalisée en juillet 2021.
6. Si l'étude du cabinet KPMG attribue à la société Aviagen France une note de crédit de Ba2 - " caractéristiques spéculatives et risque d'insolvabilité important " - sur la base de l'outil RiskCalc, modèle d'analyse des risques d'entreprises privées développé par l'agence de notation Moody's, cette notation a été déterminée à partir de la situation financière de l'entreprise au cours de l'année 2013, alors que les prêts en cause ont été consentis en 2011. Au demeurant, si l'étude produite fait état de vingt-sept transactions comparables à partir desquelles a été calculé un intervalle de taux d'intérêts de pleine concurrence, et a été complétée en 2015 par dix-huit autres transactions, les critères retenus ne permettent pas d'exercer un contrôle pertinent dès lors que les montants des prêts de comparaison, allant de 22 à 460 millions d'euros, diffèrent sensiblement des montants des cinq prêts litigieux variant de 30 000 euros à 4 millions d'euros, que les secteurs d'activité des sociétés ne sont pas comparables, que les taux d'intérêts consentis par ces sociétés ne sont pas précisés, que seules quatre sociétés sont françaises et, enfin, sur ces références, que seuls cinq prêts ont été consentis la même année que les prêts litigieux, soit en 2011.
7. Par ailleurs, l'étude du cabinet Ernst et Young réalisée en juillet 2021 expose, dans un premier temps, une analyse du risque de crédit de la société Aviagen France en utilisant l'agence de notation Moody's spécifique aux entreprises exerçant dans l'industrie alimentaire et la production agricole. Les caractéristiques propres de la société requérante ont été prises en compte, notamment la taille et la diversité de la société, son potentiel de croissance, la force liée à la réputation de sa marque, la stratégie financière ainsi que des indicateurs financiers. Pour appliquer cette méthodologie Moody's, le cabinet Ernst et Young s'est appuyé sur des études sectorielles et sur les états financiers budgétés par la requérante pour les exercices 2011, 2012 et 2013 et relatifs à l'activité projetée. L'analyse du risque de crédit de la société par le cabinet Ernst et Young a permis d'obtenir une note de crédit estimée à B2/B. Dans un second temps, à partir de la note de crédit obtenue, le cabinet Ernst et Young a utilisé la méthode dite du prix comparable sur le marché libre ou " CUP " externe, qui consiste à comparer le taux d'intérêt appliqué entre entreprises liées aux taux d'intérêt pratiqués pour des prêts ou obligations dans le cadre d'une opération entre entreprises indépendantes dans des circonstances comparables. Cette étude a conclu que les sociétés prises en comptes se sont endettées sur le marché à un taux d'intérêt compris entre 6,91 et 7,29%, avec une médiane à 7,21%. Toutefois, aucune des dix-sept transactions ne porte sur un prêt conclu en 2011. En outre, neuf références portent sur des secteurs d'activité très différents de celui de la société requérante (tabac, brasserie) et quatre références seulement concernent des sociétés françaises. Enfin, les montants des prêts comparés sont notablement plus élevés que ceux en litige et portent sur des sommes allant de 205 millions d'euros à un milliard et demi d'euros. Si des ajustements de comparabilité ont été effectués, ils ne portent pas sur les éléments précités. Au demeurant, l'étude du cabinet Ernst et Young se fonde sur des rendements d'émissions obligataires émanant d'autres entreprises, alors qu'il n'est pas établi que, pour la société Aviagen France, qui n'avait pas plus de deux bilans approuvés, l'émission de ces obligations constituait une alternative réaliste à un prêt intragroupe. La circonstance que la requérante a bénéficié d'une cotation " F5+ " par la Banque de France en 2012 et en 2013 est dénuée de pertinence pour apprécier le taux de prêts consentis en 2011. Enfin, contrairement à ce que soutient la société Aviagen France, l'exemplaire qu'elle produit des conditions et tarifs des principaux services bancaires applicables à la clientèle au
1er janvier 2011 ne saurait s'analyser en une offre de crédit non-ferme de la part de la Caisse d'épargne.
8. Dans ces conditions, dès lors que la comparabilité des conditions économiques n'est pas démontrée, les termes de comparaison proposés par la société Aviagen France ne permettent pas de justifier le taux appliqué aux emprunts en litige. La société Aviagen France ne justifiant pas du taux qu'elle aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants pour un prêt consenti dans des conditions analogues, elle ne justifie pas davantage de la déductibilité des intérêts qu'elle a inscrits en charges pour un taux plus élevé que ceux calculés à un taux égal à la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit pour des prêts à taux variable aux entreprises d'une durée initiale supérieure à deux ans.
9. Il résulte de ce qui précède que la société Aviagen France Invest n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande de décharge. Par voie de conséquence, ses conclusions relatives aux frais liés au litige doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Aviagen France est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Aviagen France et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 25 novembre 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, présidente de chambre,
- M. Geffray, président assesseur,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 décembre 2021.
La rapporteure
P. PicquetLa présidente
I. Perrot
La greffière
A. Marchais
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT02243
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