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26/10/2021 | FRANCE | N°20NT02502

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 26 octobre 2021, 20NT02502


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 24 février 2017 par laquelle le ministre de l'intérieur a ajourné à deux ans sa demande de naturalisation.

Par un jugement n° 1711015 du 6 novembre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 août 2020, M. B... C..., représenté par Me Renard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d

e Nantes ;

2°) d'annuler la décision du 24 février 2017 par laquelle le ministre de l'intérieur a ajo...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 24 février 2017 par laquelle le ministre de l'intérieur a ajourné à deux ans sa demande de naturalisation.

Par un jugement n° 1711015 du 6 novembre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 août 2020, M. B... C..., représenté par Me Renard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision du 24 février 2017 par laquelle le ministre de l'intérieur a ajourné à deux ans sa demande de naturalisation ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de procéder à un nouvel examen de sa demande de naturalisation dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Renard, son avocat, de la somme de 1 800 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la substitution de motifs admise par les premiers juges est entachée d'erreur d'appréciation ; par une exemption prévue par les dispositions de l'article L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'aide au séjour irrégulier d'un étranger par son conjoint ne constitue pas une infraction pénale ; il ne pouvait contraindre son épouse à quitter le territoire français et ne pouvait refuser de lui offrir un logement et de pourvoir à ses besoins ; l'aide apportée à son épouse est la conséquence de son droit de mener une vie privée et familiale normale ; il n'a pas méconnu lui-même la législation française ; la situation irrégulière de son épouse n'a duré que de décembre 2013 à avril 2014, une demande de regroupement familial sur place ayant été déposée en avril 2014 ;

- la décision ministérielle du 24 février 2017 contestée est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ; il a fixé le centre de ses attaches familiales sur le territoire français.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 octobre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par le requérant n'est fondé.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 juin 2020 du bureau d'aide juridictionnelle (section administrative) du tribunal judiciaire de Nantes.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Ody a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 6 novembre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. C... tendant à l'annulation de la décision du 24 février 2017 par laquelle le ministre de l'intérieur a ajourné à deux ans sa demande de naturalisation. M. C... relève appel de ce jugement.

2. En premier lieu, aux termes de l'article 27 du code civil : " Toute décision déclarant irrecevable, ajournant ou rejetant une demande d'acquisition, de naturalisation ou de réintégration par décret ainsi qu'une autorisation de perdre la nationalité française doit être motivée. ".

3. La décision contestée vise l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 et mentionne que M. C... ne peut être regardé comme ayant fixé durablement le centre de ses intérêts familiaux en D... dès lors que Mme A... E..., sa conjointe, réside sur le territoire français depuis 2014 alors qu'elle ne justifie d'aucun droit à s'y maintenir suite à la décision de refus de regroupement familial sur place prise par le préfet de la Loire-Atlantique le 7 février 2017. Dans ces conditions, la décision en cause comporte, avec suffisamment de précision, l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde et, contrairement à ce que soutient le requérant, le ministre de l'intérieur n'avait pas à préciser que la décision préfectorale du 7 février 2017, présumée légale, faisait l'objet d'une contestation devant le tribunal administratif, une telle procédure n'étant pas suspensive. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation manque en fait et doit, dès lors, être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 21-15 du code civil : " (...) l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger ". Aux termes de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 susvisé : " (...) Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. Ce délai une fois expiré ou ces conditions réalisées, il appartient à l'intéressé, s'il le juge opportun, de déposer une nouvelle demande ". L'autorité administrative dispose, en matière de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française, d'un large pouvoir d'appréciation sur l'intérêt d'accorder la naturalisation à l'étranger qui la sollicite.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. C... réside régulièrement en D... depuis 2000. Il a épousé en Turquie, le 29 août 2012, une compatriote, Mme E..., laquelle l'a rejoint en D... en septembre 2013 sous couvert d'un visa de court séjour. Le couple a donné naissance à deux enfants, en D..., le 16 septembre 2014 et le 15 novembre 2015. Une procédure de regroupement familial sur place au profit de Mme C... a été engagée en avril 2014. Dans ces conditions, le ministre de l'intérieur a commis une erreur manifeste d'appréciation en retenant que M. C... n'avait pas fixé en D... le centre de ses intérêts familiaux et ce alors même que le préfet de la Loire-Atlantique a rejeté la demande de regroupement familial par deux décisions du 20 avril 2014 et du 7 février 2017.

6. Toutefois l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

7. Le ministre de l'intérieur soutient qu'à la date de la décision attaquée, le comportement de M. C... était sujet à critique puisqu'il méconnaissait la législation relative à l'entrée et au séjour des étrangers en D... depuis plusieurs années en aidant au séjour irrégulier de son épouse.

8. Mme C... est entrée en D... en septembre 2013 sous couvert d'un visa de court séjour et s'est maintenue irrégulièrement sur le territoire français à l'expiration de ce visa. Si une demande de regroupement familial sur place a été déposée pour Mme C... en avril 2014, le préfet de la Loire-Atlantique l'a rejetée à deux reprises, le 20 avril 2014 et le 7 février 2017. Par suite, à la date de la décision attaquée, Mme C... se maintenait irrégulièrement sur le territoire français depuis décembre 2013 et le requérant l'y aidait. La circonstance que, conformément aux dispositions du 1° de l'article L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'aide au séjour irrégulier ne peut donner lieu à poursuites pénales lorsqu'elle émane du conjoint, ne faisait pas obstacle à ce que le ministre chargé des naturalisations prît en compte cette situation lors de l'examen de l'opportunité d'accorder à un étranger la nationalité française. De même, le droit au respect de la vie privée et familiale ne peut être utilement invoqué, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée M. et Mme C... étaient dans l'impossibilité de poursuivre leur vie commune dans leur pays d'origine. Dans ces conditions et eu égard au large pouvoir d'appréciation dont il dispose pour accorder la nationalité française à l'étranger qui la sollicite, le ministre chargé des naturalisations a pu, sans entacher sa décision d'erreur manifeste d'appréciation, ajourner à deux ans la demande de naturalisation de M. C.... Il résulte de l'instruction que le ministre de l'intérieur aurait pris la même décision s'il avait entendu se fonder initialement sur ce motif. Par suite, il y a lieu de procéder à la substitution de motifs demandée par le ministre, qui n'a pas pour effet de priver M. C... d'une garantie de procédure.

9. En troisième lieu, eu égard au motif de la décision contestée, le requérant ne peut utilement se prévaloir de ce qu'il satisfait toutes les conditions tenant à la recevabilité de sa demande de naturalisation prévues par les dispositions des articles 21-14-1 à 21-25-1 du code civil.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Il suit de là que ses conclusions à fin d'annulation doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 8 octobre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président de chambre,

- Mme Buffet, présidente assesseure,

- Mme Ody, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 octobre 2021.

La rapporteure,

C. ODY

Le président,

J. FRANCFORT Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT02502


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT02502
Date de la décision : 26/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. FRANCFORT
Rapporteur ?: Mme Cécile ODY
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : SELARL R et P AVOCATS OLIVIER RENARD ET CINDIE PAPINEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 02/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-10-26;20nt02502 ?
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