Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 3 novembre 2017 A... laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités diplomatiques françaises en poste au Zimbabwe rejetant les demandes de visa de long séjour présentées, au titre de la réunification familiale, A... les jeunes Dylan D... et Dean D... qu'elle présente comme ses enfants.
A... un jugement n° 1800024 du 1er décembre 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
A... une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 29 janvier 2021 et le 3 mai 2021, Mme E... D... ainsi que MM. Dylan D... et Dean D..., devenus majeurs, représentés A... Me Joory, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 1er décembre 2020 ;
2°) d'annuler la décision contestée ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros A... jour de retard ou, à défaut, lui enjoindre de réexaminer les demandes de visa, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la décision est intervenue au terme d'une procédure irrégulière au regard de l'article R. 752-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle n'a pas été précédé d'un examen sérieux des demandes ;
- en écartant les actes de naissance au motif que l'identité de la mère mentionnée différait de celle portée sur le registre primata, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'erreur de fait ;
- les motifs nouveaux invoqués A... le ministre de l'intérieur devant le tribunal pour critiquer l'authenticité de ces actes ne pouvaient être substitués au motif erroné retenu A... la commission ;
- ils ne sont pas fondés ;
- la filiation est également établie A... possession d'état ;
- les refus de visa méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- ils sont contraires aux stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
A... un mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Bougrine a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... D..., ressortissante zimbabwéenne née le 18 août 1981, a été admise au statut de réfugié A... une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 4 décembre 2013. Des demandes de visa de long séjour ont été présentées pour les jeunes Dylan D... et Dean D..., ressortissants zimbabwéens nés le 15 juin 2000, que Mme D... présente comme ses fils. A... une décision du 3 novembre 2017, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé les refus de visa opposés à ces demandes au motif, notamment, que l'identité des demandeurs et leur lien de filiation avec Mme D... n'étaient pas établis et que les documents produits au soutien des demandes révélaient une intention frauduleuse. Mme D... et MM. D..., devenus majeurs, relèvent appel du jugement du 1er décembre 2020 A... lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande tendant à l'annulation de la décision de la commission du 3 novembre 2017.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 752-1, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou (...) peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° A... son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié A... une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° A... son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° A... les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / Les membres de la famille d'un réfugié (...) sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié (...). En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés A... l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis A... l'office font foi jusqu'à inscription de faux. / (...). ". D'autre part, aux termes de l'article L. 111-6, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies A... l'article 47 du code civil. / Le demandeur d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d'un pays dans lequel l'état civil présente des carences, qui souhaite rejoindre ou accompagner l'un de ses parents mentionné aux articles L. 411-1 et L. 411-2 (...), peut, en cas d'inexistence de l'acte de l'état civil ou lorsqu'il a été informé A... les agents diplomatiques ou consulaires de l'existence d'un doute sérieux sur l'authenticité de celui-ci qui n'a pu être levé A... la possession d'état telle que définie à l'article 311-1 du code civil, demander que l'identification du demandeur de visa A... ses empreintes génétiques soit recherchée afin d'apporter un élément de preuve d'une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. (...) ". L'article 47 du code civil dispose : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Enfin, aux termes de l'article 311-1 du code civil : " La possession d'état s'établit A... une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir. / Les principaux de ces faits sont : / 1° Que cette personne a été traitée A... celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents ; / 2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ; / 3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et A... la famille ; / 4° Qu'elle est considérée comme telle A... l'autorité publique ; / 5° Qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue. ". L'article 311-2 du même code dispose : " La possession d'état doit être continue, paisible, publique et non équivoque. ". Aux termes de l'article 311-14 du même code : " La filiation est régie A... la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; si la mère n'est pas connue, A... la loi personnelle de l'enfant. ".
3. En premier lieu, à l'appui des demandes de visa, ont été produits, pour chacun des deux enfants, un acte intitulé " Certified Copy of an Entry of Birth Registered in the District of Mutoko in Zimbabwe " daté du 5 février 2016. Des documents de même nature avaient été délivrés le 17 décembre 2015. L'ensemble de ces pièces comporte des informations concordantes s'agissant des nom, prénom, date et lieu de naissance et sexe des intéressés ainsi que des nom, lieu de naissance et numéro d'identification unique de la mère. Le prénom de cette dernière, en revanche, est F... s'agissant des premiers et Mandy Clara s'agissant des seconds. Les requérants indiquent que Mme D... a bénéficié d'un changement de prénom et que les documents obtenus en 2016 et produits à l'appui des demandes de visa ont été sollicités en vue de justifier devant les autorités françaises de documents tenant compte de ce changement de prénom. Le rapprochement des informations contenues, d'une part, entre le certificat de naissance de Mme D... tenant lieu d'acte d'état civil délivré A... le Directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et le document intitulé " Certified Copy of an Entry of Birth Registered in the District of Harare in Zimbabwe " daté du 18 décembre 1997 et, d'autre part, entre ce document et les actes concernant les enfants, faisant apparaître le même numéro d'identification unique de la mère, permet de tenir pour avérée l'explication apportée. A... ailleurs, si à la suite d'une levée d'acte, les autorités zimbabwéennes ont indiqué que lors de l'enregistrement de la naissance des jeunes Dean et Dylan, la mère a été désignée comme Mme F... D... née à Chivi, le ministre n'apporte aucun élément de nature à établir l'exactitude de cette affirmation, en ce qui concerne le lieu de naissance, alors que les documents délivrés en 2015 et désignant la mère comme Mme F... D... indiquent, de manière concordante avec toutes les autres pièces de dossier, une naissance à Harare. Ainsi, c'est à tort que la commission s'est fondée sur les discordances relatives à l'identité de la mère des demandeurs pour estimer que les documents produits ne permettaient pas d'établir leur identité ni leur lien de filiation.
4. Toutefois, il ressort des " Certified Copy of an Entry of Birth Registered in the District of Mutoko in Zimbabwe " datées du 17 décembre 2015 que les naissances ont été enregistrées le 4 novembre 2014 sur déclaration de la mère alors qu'à cette date, cette dernière séjournait en France et que les requérants soutiennent que les naissances ont été enregistrées à la suite de diligences entreprises A... les grands-parents. Les " Certified Copy of an Entry of Birth Registered in the District of Mutoko in Zimbabwe " mentionnent, quant à eux, un enregistrement le 5 février 2016, également sur déclaration de la mère. Au surplus, alors que ces enregistrements auraient été réalisés plus de douze mois après les naissances, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une autorisation écrite du " Registrar General " aurait été donnée conformément à l'article 25 du Births and Deaths Registration Act. Dans ces conditions, la valeur probante des documents produits est insuffisante pour regarder comme établi le lien familial des demandeurs avec Mme D....
5. En second lieu, si les requérants produisent des photographies, la copie de quelques échanges A... messagerie et des justificatifs de transferts de devises A... Mme D... entre 2014 et 2017, qui démontre avoir entrepris des démarches pour être rejointe A... Dean et Dylan D... très peu de temps après son arrivée en France, ces éléments ne suffisent pas à établir A... possession d'état la filiation revendiquée.
6. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés A... sa décision. (...) ". Il incombe, en principe, au juge administratif de statuer au vu des pièces du dossier, le cas échéant après avoir demandé aux parties les éléments complémentaires qu'il juge nécessaires à son appréciation. Il ne lui appartient d'ordonner une expertise que lorsqu'il n'est pas en mesure de se prononcer au vu des pièces et éléments qu'il a recueillis et que l'expertise présente ainsi un caractère utile.
7. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 5 du présent arrêt que la filiation des demandeurs de visa n'a pu être établie de manière certaine A... les documents d'état civil produits ni A... les éléments de possession d'état. Toutefois, au vu de l'argumentation des requérants et de l'ensemble des pièces du dossier, lesquels laissent subsister un doute, une expertise permettant à la cour de former sa conviction revêt une utilité. A... suite, il y a lieu d'ordonner une expertise à fin d'examen comparatif des empreintes génétiques entre, d'une part, Mme D... et M. C... D... et, d'autre part, Mme D... et M. B... D..., dans les conditions ci-après définies.
D E C I D E :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de la requête de Mme D... et de MM. D..., procédé à une expertise à fin d'examen comparatif des empreintes génétiques entre d'une part, Mme D... et M. C... D... et, d'autre part, Mme D... et M. B... D...
Article 2 : L'expert aura pour mission :
1°) de recueillir le consentement de Mme E... D..., M. C... D... et M. B... D... ;
2°) de faire procéder à tous prélèvements utiles sur la personne de Mme E... D... ;
3°) de faire procéder à tous prélèvements utiles sur les personnes de M. C... D... et M. B... D... et de déterminer les modalités d'envoi des échantillons en France pour analyse ;
4°) d'analyser ces prélèvements et de procéder à une comparaison des profils génétiques de ces personnes ;
5°) de dire si la maternité de Mme E... D... à l'égard de M. C... D..., d'une part, et de M. B... D..., d'autre part, est exclue ou, au contraire, si elle est probable, en évaluant le pourcentage de probabilité ;
6°) de faire toutes observations utiles à la solution du litige.
Article 3 : L'expert sera désigné A... le président de la cour administrative d'appel. Après avoir prêté serment, il accomplira sa mission dans les conditions prévues A... les articles R. 621-2 à R. 621-4 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable du président de la cour.
Article 4: L'expert déposera son rapport en deux exemplaires au greffe de la cour dans un délai de six mois au plus à compter de sa désignation. Il en notifiera des copies aux parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique. L'expert n'établira un pré-rapport que s'il l'estime indispensable.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué A... le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... D..., M. C... D... et M. B... D... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 7 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Douet, présidente-assesseure,
- Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public A... mise à disposition au greffe, le 24 septembre 2021.
La rapporteure,
K. BOUGRINE
Le président,
A. PEREZLa greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
7
N° 21NT00257