Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... J... Q... et Mme Marie O... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 17 octobre 2019 par laquelle les autorités diplomatiques françaises en poste en République démocratique du Congo ont refusé de délivrer les visas de long séjour demandés au titre de la réunification familiale par Mme O... et les enfants Marie-Louise J..., Sabine J... et Gaspard J... ainsi que la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours préalable formé contre cette décision.
Par un jugement n° 2004363 du 28 octobre 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 décembre 2020, M. J... Q... et Mme O..., représentés par Me Zoro, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler les décisions contestées ;
3°) d'enjoindre à l'administration de délivrer les visas sollicités ou, à défaut, lui enjoindre de réexaminer les demandes de visa, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les refus de visa méconnaissent les dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- ils sont contraires au droit européen.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juin 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il indique se référer à ses écritures de première instance.
M. J... Q... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 février 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Bougrine a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... J... Q..., ressortissant de la République démocratique du Congo, est entré en France le 27 mars 2013 et a obtenu le statut de réfugié le 14 août 2014. Des demandes de visa ont été introduites, au titre de la réunification familiale, par Mme Marie O... et les jeunes Marie-V... J..., Sabine J... et R... J..., ressortissants congolais présentés comme, respectivement, la conjointe et les enfants de M. J... Q.... L'ambassadeur de France en République démocratique du Congo a, le 17 octobre 2019, opposé un refus à ces demandes. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours préalable obligatoire enregistré le 9 décembre 2019 et confirmé ces refus de visa. M. J... Q... et Mme O... relèvent appel du jugement du 28 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 17 octobre 2019 de l'ambassadeur de France en République démocratique du Congo et de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur la régularité du jugement attaqué en tant qu'il rejette les conclusions à fin d'annulation de la décision de l'ambassadeur de France en République démocratique du Congo du 17 octobre 2019 :
2. Les requérants ne contestent pas l'irrecevabilité opposée par le tribunal administratif de Nantes aux conclusions dirigées contre la décision de l'ambassadeur de France en République démocratique du Congo du 17 octobre 2019. Par suite, les conclusions tendant à l'annulation de cette décision ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France :
3. Il ressort des écritures du ministre de l'intérieur présentées devant le tribunal administratif de Nantes que la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est fondée, d'une part, sur le motif tiré de ce que l'état civil des demandeurs n'est pas établi et, d'autre part, sur le motif tiré de l'absence de maintien d'une relation de concubinage entre M. J... Q... et Mme O... entre février 2013 et 2020.
4. Aux termes de l'article L. 752-1, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié (...) peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...). / II. - (...) / Les membres de la famille d'un réfugié (...) sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié (...). En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. / (...). ".
5. En premier lieu, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
6. Mme O... a produit, au soutien de sa demande de visa, le jugement supplétif d'acte de naissance RC 145 du tribunal de paix de Shabunda du 9 août 2017 dont il ressort qu'elle est née le 2 décembre 1988 à Mungembe de l'union libre de M. N... et de Mme L.... S'agissant de la jeune Marie-Louise J..., le jugement RC / E 1660 rendu le 10 août 2017 par le tribunal pour enfants de Bukavu établit que cette enfant est née le 31 août 2007 de l'union de M. J... Q... et de Mme M.... S'agissant, enfin, des jeunes Sabine J... et R... J..., le tribunal pour enfants de Kinshasa/Kalamu a, par un jugement RC 2139/I du 31 octobre 2016 dit pour droit que " les enfants J... Sabine de sexe féminin, et J... R... de sexe masculin, sont tous nés à Kinshasa, respectivement le 19/05/2010 et le 05/04/2013 de l'union de Monsieur J... Q... B... avec Mme O... Marie ".
7. D'abord, la circonstance que ces jugements supplétifs ont été rendus plusieurs années après les événements qu'ils relatent, postérieurement à l'obtention par M. J... Q... du statut de réfugié et peu de temps avant l'introduction des demandes de visa, n'est pas, en elle-même, de nature à en démontrer le caractère frauduleux. Ensuite, si le ministre de l'intérieur soutient que ces jugements ont été rendus sur le seul fondement de déclarations sans qu'aucune justification ne soit produite, cette circonstance, dont il n'est, au surplus, pas démontré qu'elle serait constitutive d'une irrégularité au regard du droit congolais, ne permet pas davantage d'établir l'existence d'une fraude. Enfin, si le lieu de naissance des jeunes Sabine et R... mentionné dans le jugement supplétif du 31 octobre 2016 diffère de celui que M. J... Q... a indiqué dans des formulaires administratifs, cette seule circonstance ne permet pas de regarder ce jugement comme frauduleux. Dans ces conditions, l'identité et la filiation des demandeurs de visa doivent être tenues pour établies par ces jugements. Par suite, le ministre de l'intérieur ne saurait utilement soutenir que les actes de naissances dressés sur le fondement de ces jugements seraient entachés d'anomalies remettant en cause leur valeur probante. Dès lors, le motif tiré de ce que l'état civil des demandeurs n'est pas établi est entaché d'illégalité.
8. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme O... a sollicité la délivrance d'un visa de long séjour en sa qualité de conjointe de M. J... Q.... Si les actes établis par le directeur général de l'Office français des réfugiés et des apatrides sur le fondement des dispositions de l'article L. 721-3, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ont, en cas d'absence d'acte d'état civil ou de doute sur leur authenticité dans le cadre d'une demande de visa au titre de la réunification familiale, valeur d'actes authentiques, la circonstance que le directeur général de l'Office n'a pas délivré à M. J... Q... un certificat tenant lieu d'acte de mariage ne saurait faire obstacle à ce que les intéressés se prévalent de leur lien conjugal à l'appui de la demande de visa de long séjour.
9. Il ressort des pièces du dossier, en particulier de l'extrait de registre de déclaration de mariage et de l'attestation de mariage, établis le 29 janvier 2009 et émanant du bureau d'état civil de Shabunda, que le mariage dit coutumier unissant M. J... Q... et Mme O... a été constaté à cette date et enregistré par l'officier d'état civil. Il s'ensuit que le lien conjugal étant établi, Mme O... a, en principe, droit à la délivrance d'un visa de long séjour sur le fondement des dispositions du 1° du I de l'article L. 752-1, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, le motif tiré de ce que les requérants ne démontrent pas le maintien d'une relation de concubinage entre février 2013 et 2020 ne saurait légalement justifier le refus de de visa opposé à Mme O....
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de la requête, que M. J... Q... et Mme O... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard aux motifs sur lesquels il se fonde, que le ministre de l'intérieur délivre un visa de long séjour à Mme Marie O... et aux jeunes Sabine J... et R... J.... Il implique également, compte tenu du jugement du 18 juillet 2018 par lequel le tribunal pour enfants de Kinshasa / Matete a confié à M. B... J... Q... et Mme Marie O... la garde et l'autorité parentale sur l'enfant U...-V... J... ainsi que l'autorisation de sortie du territoire consentie par la mère de cette dernière, la délivrance à cette enfant d'un visa de long séjour. Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'y procéder dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, et alors que M. J... Q... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, de mettre à la charge de l'Etat le versement aux requérants d'une somme qu'ils demandent sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et le jugement du tribunal administratif de Nantes du 28 octobre 2020 en tant qu'il rejette les conclusions de la demande dirigées contre cette décision sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme S... O... et aux jeunes U...-V... J..., Sabine J... et R... J... un visa de long séjour, dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... J... Q... et Mme Marie O... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 7 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Douet, présidente-assesseure,
- Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 septembre 2021.
La rapporteure,
K. BOUGRINE
Le président,
A. PEREZLa greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT04052