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17/09/2021 | FRANCE | N°20NT02715

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 17 septembre 2021, 20NT02715


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C... et D... F... ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision implicite par laquelle le maire de Caen a rejeté leur demande tendant à ce que la commune procède aux travaux de protection du flanc de la falaise et de réfection du mur de soutènement de la rue du Belvédère, au droit de leur propriété située au 25 rue du Gros Orme à Caen, et d'enjoindre à la commune de réaliser les travaux préconisés par le rapport d'expertise judiciaire de M. E..., dans un délai de tr

ois mois à compter du jugement à intervenir et sous astreinte de 150 euros par j...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C... et D... F... ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision implicite par laquelle le maire de Caen a rejeté leur demande tendant à ce que la commune procède aux travaux de protection du flanc de la falaise et de réfection du mur de soutènement de la rue du Belvédère, au droit de leur propriété située au 25 rue du Gros Orme à Caen, et d'enjoindre à la commune de réaliser les travaux préconisés par le rapport d'expertise judiciaire de M. E..., dans un délai de trois mois à compter du jugement à intervenir et sous astreinte de 150 euros par jour de retard, ou, subsidiairement, de statuer à nouveau sur la demande dans un délai de 15 jours sous la même astreinte.

Par un jugement n° 1700024 avant dire-droit du 28 décembre 2018, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision par laquelle le maire de Caen a implicitement rejeté la demande formulée le 4 août 2016 par M. et Mme F... tendant à ce qu'il soit procédé aux travaux de protection du flanc de la falaise et de réfection du mur de soutènement de la rue du Belvédère à Caen, en tant uniquement qu'elle concerne les travaux portant sur le mur.

Par un jugement n° 1700024 du 25 juin 2020 le tribunal administratif de Caen, d'une part, a enjoint à la commune de Caen de prendre les mesures nécessaires au lancement des travaux de protection du flanc de la falaise et du mur de la rue du Belvédère avec l'accord de l'ensemble des propriétaires privés concernés et selon les modalités de financement déterminées par l'expert judiciaire, en précisant qu'en cas d'impossibilité avérée de réaliser le programme de travaux il incombera au maire de Caen de mettre en œuvre, le cas échéant, les pouvoirs qu'il tient du code général des collectivités territoriales ou du code de la construction et de l'habitation en matière de péril imminent ou d'atteinte à la sécurité publique, et d'autre part, a mis à la charge de M. et Mme F... et A... la commune de Caen, pour moitié chacun, les frais d'expertise s'élevant au montant total de 16 167,19 euros TTC.

Procédure devant la cour :

I/ Par une requête n° 20NT02715 et un mémoire, enregistrés les 28 août 2020 et 17 mai 2021, M. et Mme C... et D... F..., représentés par Me Launay, demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement du 28 décembre 2018 du tribunal administratif de Caen en tant qu'il n'a annulé la décision implicite du maire de Caen que pour ce qui concerne les travaux portant sur le mur situé rue du Belvédère et en tant qu'il a ordonné un complément d'expertise ;

2°) d'annuler le jugement du 25 juin 2020 du tribunal administratif de Caen ;

3°) d'annuler la décision du maire de Caen rejetant implicitement leur demande présentée le 4 août 2016 ;

4°) d'enjoindre à la commune de Caen de réaliser les travaux préconisés par le rapport d'expertise de M. E..., dans le délai de trois mois à compter de la mise à disposition de l'arrêt à intervenir, et sous astreinte de 150 euros par jour de retard passé ce délai, ou subsidiairement de statuer à nouveau sur leur demande dans le délai de quinze jours à compter de la mise à disposition de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 150 euros par jour de retard passé ce délai ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Caen les entiers dépens, dont 14 661,95 euros TTC, avec intérêts au taux légal à compter du 4 août 2016 et anatocisme, au titre des frais de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif et 1 505,24 euros TTC au titre des frais de l'expertise complémentaire de M. E... ;

6°) de mettre à la charge de la commune de Caen la somme de 8 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais d'instance de première instance et d'appel.

Ils soutiennent que :

en ce qui concerne le jugement du 28 décembre 2018 :

- les travaux de protection de la falaise de calcaire incombent à la commune de Caen dans la mesure où le front de taille de la falaise supportant le mur ne leur appartient pas par application de l'article 552 du code civil et que, dès lors que ce front de taille sépare leur fonds de celui de la commune, il fait partie du fonds supérieur qui appartient à la commune ; la paroi rocheuse fait partie du domaine public communal par application de l'article L. 2111-2 du code général de la propriété des personnes publiques ; la commune n'a entretenu ni le mur ni le flanc de la falaise le supportant ;

- subsidiairement, si la cour considérait que la question de la propriété de la paroi rocheuse pose une difficulté sérieuse, il y aurait lieu de surseoir à statuer pour poser une question préjudicielle au juge judiciaire ;

- par voie de conséquence, il n'y avait pas lieu à ordonner un complément d'expertise ;

en ce qui concerne le jugement du 25 juin 2020 :

- la commune de Caen étant propriétaire du front de taille de la falaise supportant le mur, et dès lors que les travaux de sécurisation requis présentent un caractère collectif, sur le fondement de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, ceux-ci, comme ceux relatifs au mur garde-corps de la rue du Belvédère incombent totalement à cette collectivité ;

en ce qui concerne les frais exposés :

- dès lors que leur action devant le tribunal était fondée, la somme de 16 167,19 euros au titre des dépens sera mise à la charge de la commune et il se verront allouer 5 000 euros au titre des frais d'instance devant le tribunal.

Par des mémoires, enregistrés les 15 avril et 7 juin 2021, la commune de Caen, représentée par Me Gorand, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de M. et Mme F... ;

2°) de mettre à la charge de M. et Mme F... une somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par M. et Mme F... ne sont pas fondés ;

- le jugement du 28 décembre 2018 sera réformé en ce qu'il censure la décision implicite du maire de Caen pour ce qui concerne les travaux à réaliser sur le mur de soutènement situé rue du Belvédere ; le mur, ouvrage public, a été déstabilisé le 19 mars 2013 du fait de la chute d'une écaille rocheuse du front de taille qui trouve sa seule origine dans le défaut d'entretien par les époux F... de leur propriété incluant le front de taille ; les dispositions de l'article L. 2321-2 du code général des collectivités territoriales ne trouvent donc pas à s'appliquer.

II/ Par une requête n° 20NT02716 et un mémoire, enregistrés les 31 août 2020 et 3 mai 2021, la commune de Caen, représentée par Me Gorand, demande à la cour :

1°) d'annuler les jugements des 28 décembre 2018 et 25 juin 2020 du tribunal administratif de Caen ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. et Mme F... devant le tribunal administratif de Caen ;

3°) de mettre à la charge de M. et Mme F... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les jugements attaqués sont irréguliers ; la mesure d'injonction portant sur le mur dépasse la demande des requérants qui ne concernait que leur propriété ; elle oblige à la réalisation de travaux pour des parties voisines du mur qui n'ont pas été associées à l'expertise et à la procédure devant la juridiction en leur imposant des obligations financières ; elle implique la réalisation de travaux sur un front de taille qui n'appartient pas à la commune, sur le fondement de pouvoirs de police qui n'ont pas été sollicités par les requérants ;

- sur le jugement du 28 décembre 2018 : les dispositions de l'article L. 2321-2 du code général des collectivités territoriales ne trouvent pas à s'appliquer ; le mur, ouvrage public, a été déstabilisé le 19 mars 2013 du fait de la chute de l'écaille rocheuse du front de taille qui trouve sa seule origine dans le défaut d'entretien par les époux F... de leur propriété incluant le front de taille, lui-même distinct du mur ;

- sur le jugement du 25 juin 2020 : il ne peut être enjoint à la commune de réaliser des travaux sur des propriétés privées, pour un motif né de la défaillance des propriétaires concernés dans l'entretien de leur bien ; les dispositions des articles L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales ne trouvent pas à s'appliquer ; les dispositions des articles L. 511-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation ne s'appliquent pas à des propriétés non bâties ; seule la responsabilité de M. et Mme F... est engagée en leur qualité de propriétaires du front de taille.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 décembre 2020, et un mémoire enregistré le 5 mai 2021 qui n'a pas été communiqué, M. et Mme F..., représentés par Me Launay, demandent à la cour :

1°) de rejeter la requête de la commune de Caen et, subsidiairement, de saisir le tribunal judiciaire de la question de la propriété de la paroi rocheuse située au fond de leur propriété et, dans l'attente de surseoir à statuer sur la requête de la commune ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Caen, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 2 000 euros.

Ils soutiennent que :

- les moyens soulevés par la commune de Caen ne sont pas fondés ;

- les jugement du 28 décembre 2018 sera réformé ; les travaux de protection de la falaise de calcaire incombent à la commune de Caen par application de l'article 552 du code civil dès lors que le front de taille de la falaise supportant le mur ne leur appartient pas et que, dès lors que ce front de taille sépare leur fonds de celui de la commune, il fait partie du fonds supérieur qui appartient à la commune ; à tout le moins le juge judiciaire devrait être saisi de la question de la propriété de ce flanc de falaise ; le jugement du 25 juin 2020 sera réformé ; la commune de Caen étant propriétaire du front de taille de la falaise supportant le mur, et dès lors que les travaux de sécurisation requis présentent un caractère collectif, sur le fondement de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, ceux-ci incombent totalement à cette collectivité.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de la voirie routière ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,

- et les observations de Me Launay, représentant M. et Mme F..., et A... G..., représentant la commune de Caen.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme C... et D... F... ont exposé au tribunal administratif de Caen qu'une partie du mur surplombant le fond de leur propriété, située 25 rue du Gros Orme à Caen, est déstabilisée et menace de s'effondrer depuis que, le 19 mars 2013, une partie de la falaise située à la base de ce mur s'est éboulée. Après avoir provisoirement mis en sécurité la partie basse de ce mur, le long de la rue du Belvédère, la commune de Caen y a placé des balisettes inamovibles. À la demande de M. et Mme F..., tendant notamment à déterminer les causes des dommages affectant ce mur, l'expert judiciaire désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Caen a déposé son rapport le 23 juin 2015. Les requérants ont, par courrier du 4 août 2016 reçu le 7 août suivant, adressé au maire de Caen une demande tendant à la réalisation de travaux de protection du flanc de la falaise et de réfection du mur, constituant selon eux une dépendance du domaine public communal. Cette demande a été implicitement rejetée par le maire de Caen. Par un jugement avant dire droit du 28 décembre 2018, le tribunal administratif de Caen a annulé cette décision en tant uniquement qu'elle refusait de procéder aux travaux portant sur le mur implanté en bordure de la rue du Belvédère et a ordonné, avant de statuer sur les conclusions à fin d'injonction, un complément d'expertise en vue, d'une part, de procéder à l'estimation actualisée de l'ensemble des travaux à réaliser pour la consolidation de la falaise et la réfection du mur implanté en bordure de la rue du Belvédère et, d'autre part, de prévoir un partage du coût de ces travaux. L'expert désigné par une ordonnance du 2 janvier 2019 du président du tribunal administratif de Caen a déposé son rapport le 2 décembre 2019. Dans cette même instance, par un jugement du 25 juin 2020, le tribunal administratif de Caen a, d'une part, enjoint à la commune de Caen de prendre les mesures nécessaires au lancement des travaux de protection du flanc de la falaise et du mur de la rue du Belvédère avec l'accord de l'ensemble des propriétaires privés concernés et selon les modalités de financement déterminées par l'expert judiciaire, en précisant qu'en cas d'impossibilité avérée de réaliser ce programme de travaux, il incomberait au maire de mettre en œuvre, le cas échéant, les pouvoirs qu'il tient du code général des collectivités territoriales ou du code de la construction et de l'habitation en matière de péril imminent ou d'atteinte à la sécurité publique. Il a d'autre part mis à la charge de M. et Mme F... et A... la commune de Caen, pour moitié chacun, les frais d'expertise s'élevant au montant total de 16 167,19 euros TTC.

2. Par la requête n° 20NT02715 M. et Mme F... demandent à la cour de réformer le jugement du 28 décembre 2018 du tribunal administratif de Caen en tant qu'il n'a annulé la décision implicite du maire de Caen que pour ce qui concerne les travaux portant sur le mur situé rue du Belvédère et qu'il a ordonné un complément d'expertise, d'annuler le jugement du 25 juin 2020 ainsi que la décision du maire de Caen rejetant implicitement leur demande présentée le 4 août 2016, d'enjoindre à la commune de Caen de réaliser les travaux préconisés par le rapport d'expertise de M. E..., dans le délai de trois mois à compter de la mise à disposition de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 150 euros par jour de retard passé ce délai, ou subsidiairement de statuer à nouveau sur leur demande dans le même délai et sous la même astreinte, de mettre à la charge de la commune les entiers dépens, dont 14 661,95 euros TTC, avec intérêts au taux légal à compter du 4 août 2016 et anatocisme, au titre des frais de la première expertise ordonnée par le tribunal administratif et 1 505,24 euros TTC au titre des frais de l'expertise complémentaire de M. E.... Sous le n° 20NT02716, la commune de Caen demande à la cour d'annuler les jugements des 28 décembre 2018 et 25 juin 2020 du tribunal administratif de Caen et de rejeter la demande présentée par M. et Mme F... devant le tribunal administratif de Caen. Dans cette même instance M. et Mme F... demandent à la cour, subsidiairement, en tant que de besoin, de saisir le tribunal judiciaire de la question de la propriété de la paroi rocheuse située au fond de leur propriété et, dans l'attente de surseoir à statuer sur la requête de la commune.

3. Les requêtes n° 20NT02715 et n° 20NT02716 présentent à juger des questions connexes, sont dirigées contre les mêmes jugements et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.

Sur la requête n° 20NT02715 de M. et Mme F... :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Le présent code s'applique aux biens et aux droits, à caractère mobilier ou immobilier, appartenant à l'État, aux collectivités territoriales et à leurs groupements, ainsi qu'aux établissements publics. " et aux termes de l'article L. 2111-2 du même code : " Font également partie du domaine public les biens des personnes publiques mentionnées à l'article L. 1 qui, concourant à l'utilisation d'un bien appartenant au domaine public, en constituent un accessoire indissociable. ".

5. La propriété de M. et Mme F..., située 25 rue du Gros Orme, à Caen est surplombée à son arrière par la rue du Belvédère, laquelle est bordée d'un mur en pierres d'une hauteur d'environ 2,60 mètres reposant sur une falaise de calcaire et constituant un mur de soutènement de la voie publique, dont il est indissociable, et un garde-corps pour les usagers de cette rue. Ce flanc de falaise se prolonge sous le mur de soutènement et repose sur le terrain où se trouve, côté rue du Gros Orme, l'habitation de M. et Mme F... dont le terrain d'assiette est ainsi situé en contrebas du front de taille de la falaise. Il est par ailleurs constant que ce front de taille a connu un éboulement le 19 mars 2013 expliquant la saisine du maire de Caen par les requérants afin que la commune sécurise tant le flanc de cette falaise que le mur de soutènement, qu'ils ont présentés comme des dépendances du domaine public. Saisi par M. et Mme F... d'une demande tendant notamment à censurer le refus implicite alors opposé par le maire de Caen à leur demande de travaux de protection, le tribunal administratif de Caen, par le jugement attaqué du 28 décembre 2018, a jugé que si le mur de soutien situé en surplomb de la propriété des requérants constituait une dépendance de la voie publique, devant être regardée comme faisant partie du domaine public communal dont l'entretien incombait à la commune, le front de taille de la falaise pour sa partie située immédiatement après celle présente sous l'assise du mur de soutènement, reposant sur le terrain d'assiette de l'habitation de M. et Mme F..., n'appartenait pas au domaine public et que, dès lors, les travaux préventifs requis en ce qui concerne ce flanc de falaise incombaient à M. et Mme F....

6. M. et Mme F... contestent l'appréciation ainsi portée par le jugement attaqué sur la propriété du front de taille de la falaise. A l'appui de leur contestation ils ne présentent toutefois qu'un extrait de leur acte de propriété mentionnant la contenance de leur bien immobilier et renvoyant à un plan cadastral qu'ils ne produisent pas. Or les documents présents au dossier, en particulier le rapport d'expertise déposé le 23 juin 2015 et le relevé topographique d'un profil horizontal du lieu établi par un géomètre expert et figurant dans le rapport de la société de géotechnique Technosol, mentionnent comme limite de propriété du fond de leur parcelle le mur de soutènement, non mitoyen, situé au sommet de la falaise et montrent que le flanc de falaise se trouve situé à l'intérieur des limites cadastrales des 644 mètres carrés de la superficie du terrain des époux F.... Par ailleurs, à supposer même que, comme le soutiennent M. et Mme F..., le front de taille de la falaise constituerait un accessoire indissociable de la voie publique et du mur de soutènement de la rue du Belvédère, une telle circonstance ne peut conférer à la falaise le caractère d'une dépendance du domaine public dès lors que la propriété de la commune de Caen sur ce substrat rocheux n'est pas établie et ne résulte pas de la situation matérielle des lieux. Dans ces conditions, la question de la propriété du flanc de falaise ne présente pas une difficulté sérieuse de nature à justifier la saisine de l'autorité judiciaire et les époux F... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le jugement attaqué ne met pas à la charge de la commune de Caen les travaux de protection de la paroi rocheuse.

7. En deuxième lieu, par le même jugement du 28 décembre 2018, le tribunal administratif de Caen a décidé, avant dire-droit sur les mesures d'injonctions sollicitées, une mesure d'expertise complémentaire afin de déterminer la charge financière actualisée des travaux devant concerner tant le front de taille que le mur de soutènement et prévoir sa répartition entre les requérants et la commune de Caen. Pour le motif exposé au point précédent, M. et Mme F... ne sont pas fondés à soutenir qu'une telle mesure d'expertise était inutile en ce qu'elle envisageait leur contribution financière aux futurs travaux.

8. En troisième lieu, au titre des mesures d'injonction, le jugement du 15 juin 2020 ne met pas à la charge de M. et Mme F... le coût des travaux de sécurisation de la falaise et des travaux décrits et évalués dans le rapport d'expertise faisant suite à son jugement avant dire-droit mais se borne à mentionner les conclusions de l'expert désigné. S'il enjoint à la commune de Caen de prendre les mesures nécessaires au lancement des travaux de protection du flanc de la falaise et de réfection du mur de la rue du Belvédère selon les modalités de financement déterminées par l'expert, ces mesures sont subordonnées à l'accord des propriétaires privés concernés, dont celui de M. et Mme F.... Enfin ce même jugement se borne à indiquer qu'en cas d'impossibilité avérée de réaliser ce programme de travaux, il appartiendra au maire de mettre en œuvre, le cas échéant, les pouvoirs qu'il tient du code général des collectivités territoriales, faisant ainsi implicitement mais nécessairement référence aux pouvoirs de police prévus par l'article L. 2212-4 de ce code, ou ceux issus du code de la construction et de l'habitation en matière de péril imminent, ces derniers ne pouvant viser que l'ouvrage construit que constitue le mur servant de soutènement et de garde-corps. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'injonction prononcée par l'article 1er du jugement du 25 juin 2020 mettrait irrégulièrement à leur charge le montant des travaux de protection du flanc de falaise se trouvant sur leur propriété.

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment: (...) 5o Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires (...) les éboulements de terre ou de rochers ... " et l'article L. 2212-4 du même code dispose que " En cas de danger grave ou imminent, tel que les accidents naturels prévus au 5o de l'article L. 2212-2, le maire prescrit l'exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances. ". Les époux F... ne peuvent par ailleurs se prévaloir de ces dispositions pour soutenir que les travaux en cause auraient un caractère d'intérêt collectif et contester que puisse être mis à leur charge le coût des travaux de protection du flanc de falaise, dès lors qu'ils n'établissent pas, et n'allèguent même pas, qu'à la date à laquelle le tribunal administratif s'est prononcé la situation de dégradation de la paroi rocheuse serait telle qu'elle constituerait une situation de " danger grave ou imminent " nécessitant que le maire prenne les " mesures de sûreté " prévues par l'article L. 2212-4 précité.

10. En cinquième et dernier lieu, le jugement attaqué du 25 juin 2020 taxe et liquide les frais et honoraires d'expertise à la somme de 16 167,19 euros et les met à la charge, pour moitié chacun, de la commune de Caen et des époux F.... Par ailleurs, les premiers juges rejettent les demandes présentées par ces derniers au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Au regard de l'instance que les requérants ont engagée devant le tribunal administratif de Caen, et compte tenu de ce qui est jugé par le présent arrêt, M. et Mme F... n'ont obtenu que partiellement satisfaction. Par suite, alors que les rapports d'expertise ont été utiles à la solution du lige, et dans les circonstances de l'espèce, les conclusions de M. et Mme F... tendant, d'une part, à ce que les frais d'expertise, soient mis intégralement à la charge de la commune de Caen et d'autre part à obtenir une somme au titre des frais qu'ils ont exposés devant le tribunal administratif de Caen ne peuvent qu'être rejetées.

Sur la requête n° 20NT02716 de la commune de Caen :

En ce qui concerne la régularité du jugement du 25 juin 2020 :

11. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. " et aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision. ".

12. En premier lieu, les premiers juges ont décidé à titre principal " d'enjoindre à la commune de Caen de prendre les mesures nécessaires au lancement du programme des travaux de protection du flanc de la falaise et du mur de la rue du Belvédère, avec l'accord de l'ensemble des propriétaires privés concernés et selon les modalités de financement déterminées par l'expert judiciaire ". Il ressort du rapport d'expertise que, eu égard à la configuration des lieux et pour des motifs techniques tenant à la solidité de l'ensemble, les travaux portant sur le mur sont indissociables de ceux portant sur le front de taille de la falaise et que ces derniers ne peuvent concerner uniquement les éléments qui appartiennent à M. et Mme F... mais doivent porter également sur ceux de leurs deux voisins immédiats. Il ressort par ailleurs de la saisine du maire de Caen du 4 août 2016 par M. et Mme F... que ceux-ci demandaient bien la réalisation de travaux sur l'ensemble du mur de soutènement en référence au rapport d'expertise. La mise en œuvre de cette mesure d'injonction contestée étant par ailleurs subordonnée à l'acceptation des personnes privées concernées, dont les voisins de M. et Mme F..., les droits de ces parties sont également préservés. Enfin, comme il a été exposé précédemment, les travaux ainsi envisagés mis à la charge de la commune de Caen ne portent pas sur la propriété privée de M. et Mme F... mais sur le mur de soutènement partie du domaine public communal.

13. En second lieu, l'article 1er du jugement du 25 juin 2020 prévoit, subsidiairement, que : " En cas d'impossibilité avérée de réaliser ce programme de travaux, il incombera au maire de Caen de mettre en œuvre, le cas échéant, les pouvoirs qu'il tient du code général des collectivités territoriales ou du code de la construction et de l'habitation en matière de péril imminent ou d'atteinte à la sécurité publique. ". Si M. et Mme F... n'avaient pas sollicité la mise en œuvre de tels pouvoirs par le maire, les premiers juges disposaient d'une telle faculté, par application du deuxième alinéa de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, et ne peuvent être regardés comme ayant statué au-delà de ce qui leur était demandé dès lors que, par cette précision, ils se sont bornés à anticiper sur une évolution possible de la paroi rocheuse et du mur, compte tenu de l'éboulement survenu en 2013 et du contenu du rapport d'expertise.

14. Il résulte de ce qui précède que la commune de Caen n'est pas fondée à soutenir que le jugement du 25 juin 2020 serait irrégulier en ce que les premiers juges auraient excédé leur office au regard des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative.

En ce qui concerne le bien-fondé des jugements attaqués :

15. En premier lieu, la commune de Caen ne conteste plus la domanialité publique du mur, résultant de son indissociabilité de la voie publique rue du Belvédère rappelée au point 5 du présent arrêt, mais soutient que le tribunal administratif a annulé à tort sa décision implicite de rejet de la demande de travaux présentée le 4 août 2016 par les époux F... en tant qu'elle concerne les travaux portant sur le mur, au motif que c'est la chute d'une écaille rocheuse du flanc de falaise qui a déstabilisé le mur le 19 mars 2013 et que cette chute est imputable à l'absence d'entretien du front de taille par les époux F... qui y ont laissé se développer une végétation anarchique. Une telle argumentation est sans influence sur l'appartenance du mur au domaine public communal, d'où résulte l'obligation pour la ville de Caen de prendre en charge les frais d'entretien et de réfection de cet élément. La circonstance que l'endommagement du mur serait imputable éventuellement à un défaut d'entretien du flanc de falaise ne dispense pas la commune de son obligation d'entretenir ou de réparer les éléments de son domaine public dont l'état serait susceptible de nuire à la sécurité des usagers mais lui permettrait seulement, si elle s'y croit fondée, d'exercer une action récursoire contre les époux F... en leur qualité de propriétaire du flanc de falaise non entretenu d'où sont issus les morceaux de roche dont la chute aurait déstabilisé le mur.

16. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient la commune de Caen, il ne résulte pas de l'instruction que la dégradation du mur serait imputable uniquement au défaut d'entretien de la falaise qu'elle impute aux époux F..., dès lors notamment que, comme le mentionne le rapport d'expertise déposé le 23 juin 2015, le sous-sol de la rue est constitué par " une forme en tout-venant, fortement humide, (...) peu compactée ". Par ailleurs, compte tenu de l'étroite imbrication des travaux de réfection portant sur le mur de la rue du Belvédère et des travaux de protection à réaliser sur le flanc de falaise, le tribunal a pu régulièrement enjoindre à la commune, sous réserve de l'accord des propriétaires privés concernés, de prendre les mesures nécessaires à l'engagement de l'ensemble de ces travaux qui requièrent pour des raisons techniques évidentes, comme le suggérait l'expert, une maîtrise d'œuvre unique. Dans ces conditions, il n'en résulte pas pour autant que la commune devrait prendre en charge des dépenses ne lui incombant pas dès lors qu'il ressort du rapport complémentaire de l'expert, déposé le 9 décembre 2019 à la suite du jugement avant dire droit du 28 décembre 2018, qu'est possible une ventilation précise des dépenses entre les propriétaires privés, pour les travaux de sécurisation des éléments du flanc de falaise inclus dans leurs propriétés respectives, et la collectivité publique, pour les travaux de réfection et de protection du mur constituant une dépendance de son domaine public.

17. Enfin, à supposer, comme le fait valoir la ville de Caen, que l'accord de l'ensemble des propriétaires serait " impossible ", le tribunal administratif a régulièrement prévu une telle hypothèse, pour définir l'injonction prononcée dans l'article 1er du jugement du 25 juin 2020, en précisant, comme il a déjà été dit, que " En cas d'impossibilité avérée de réaliser le programme de travaux, il incombera au maire de Caen de mettre en œuvre, le cas échéant, les pouvoirs qu'il tient du code général des collectivités territoriales ou du code de la construction et de l'habitation en matière de péril imminent ou d'atteinte à la sécurité publique. ". En apportant une telle précision, le tribunal administratif a nécessairement entendu, comme il le pouvait dans le cadre de la définition des mesures d'exécution possibles de son jugement, non pas appliquer la procédure de péril imminent aux travaux sur le flanc de falaise, qui ne constitue évidemment pas un ouvrage immobilier en relevant, mais préciser simplement que si le mur bordant la rue du Belvédère venait à se trouver en situation de péril il incomberait au maire d'utiliser les pouvoirs qu'il tient en la matière du code de la construction et de l'habitation, et si le danger que peut représenter le flanc de falaise devenait " grave ou imminent " au sens de l'article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales il devrait utiliser les pouvoirs de police issus de cet article.

18. Toutefois, aux termes de l'article L. 511-1 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction alors applicable : " Le maire peut prescrire la réparation ou la démolition des murs, bâtiments ou édifices quelconques lorsqu'ils menacent ruine et qu'ils pourraient, par leur effondrement, compromettre la sécurité ou lorsque, d'une façon générale, ils n'offrent pas les garanties de solidité nécessaires au maintien de la sécurité publique, dans les conditions prévues à l'article L. 511-2. Toutefois, si leur état fait courir un péril imminent, le maire ordonne préalablement les mesures provisoires indispensables pour écarter ce péril, dans les conditions prévues à l'article L. 511-3. " et aux termes de l'article L. 511-2 du même code, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : " I. - Le maire, par un arrêté de péril pris à l'issue d'une procédure contradictoire dont les modalités sont définies par décret en Conseil d'État, met le propriétaire de l'immeuble menaçant ruine, et le cas échéant les personnes mentionnées au premier alinéa de l'article L. 511-1-1, en demeure de faire dans un délai déterminé, selon le cas, les réparations nécessaires pour mettre fin durablement au péril ou les travaux de démolition, ainsi que, s'il y a lieu, de prendre les mesures indispensables pour préserver les bâtiments contigus. ". Enfin, l'article L. 511-3 du même code dispose que : " En cas de péril imminent, le maire, après avertissement adressé au propriétaire, demande à la juridiction administrative compétente la nomination d'un expert qui, dans les vingt-quatre heures qui suivent sa nomination, examine les bâtiments, dresse constat de l'état des bâtiments mitoyens et propose des mesures de nature à mettre fin à l'imminence du péril s'il la constate. / Si le rapport de l'expert conclut à l'existence d'un péril grave et imminent, le maire ordonne les mesures provisoires nécessaires pour garantir la sécurité (...) ".

19. Il résulte de ce qui a été dit plus haut que le mur en cause bordant la rue du Belvédère a le caractère d'une dépendance de la voie publique dont il est un accessoire indispensable. Par suite, la procédure des articles L. 511-1 et L. 511-3 du code de la construction et de l'habitation, laquelle par sa nature même se déroule entre le maire chargé de veiller à la sécurité publique et le propriétaire d'un immeuble menaçant ruine, ne pouvait légalement être appliquée en l'espèce. Dès lors, la commune de Caen est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Caen, par la deuxième phrase de l'article 1er du jugement du 25 juin 2020, a prévu qu'il incombera au maire, le cas échéant, de mettre en œuvre la procédure de péril issue des anciens articles L. 511-1 à L. 511-3 du code de la construction et de l'habitation. Il y lieu en conséquence d'annuler dans cette mesure l'article 1er du jugement du 25 juin 2020 attaqué.

20. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que M. et Mme F... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Caen a rejeté le surplus de leur demande. D'autre part, la commune de Caen est uniquement fondée à soutenir que c'est à tort qu'au titre des mesures d'exécution de l'injonction prononcée par l'article 1er du jugement du 25 juin 2020 le tribunal a prévu que le maire puisse recourir, le cas échéant aux dispositions du code de la construction et de l'habitation applicables en matière de péril imminent.

Sur les frais d'instance :

21. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative tant par les époux F... que par la commune de Caen.

D E C I D E :

Article 1er : La requête n° 20NT02715 de M. et Mme F... est rejetée.

Article 2 : La deuxième phrase de l'article 1er du jugement n° 1700024 du 25 juin 2020 du tribunal administratif de Caen est annulée en tant qu'elle prévoit la possibilité pour le maire de Caen de mettre en œuvre, le cas échéant, les pouvoirs qu'il tient du code de la construction et de l'habitation en matière de péril imminent.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête n° 20NT02716 de la commune de Caen est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C... et D... F... et à la commune de Caen.

Délibéré après l'audience du 31 août 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. B..., président assesseur,

- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 septembre 2021.

Le rapporteur,

C. B...

Le président,

L. Lainé

La greffière,

V. Desbouillons

La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

11

N°s 20NT02715, 20NT02716


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT02715
Date de la décision : 17/09/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : SELARL CHRISTOPHE LAUNAY

Origine de la décision
Date de l'import : 28/09/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-09-17;20nt02715 ?
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