La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/07/2021 | FRANCE | N°20NT02702

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 20 juillet 2021, 20NT02702


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... Ahmed, M. E... Ali Ahmed, M. Adan Ali Ahmed, M. Mohamed Ali Ahmed, M. I... Ali A... et Mme K... F... A... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 13 juin 2018 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours contre les décisions des autorités consulaires françaises à Djibouti rejetant les demandes de visas de long séjour de E..., N..., O..., P... et K... F... A... au titre de la réunification

familiale.

Par un jugement n°1910057 du 6 avril 2020, le tribunal admini...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... Ahmed, M. E... Ali Ahmed, M. Adan Ali Ahmed, M. Mohamed Ali Ahmed, M. I... Ali A... et Mme K... F... A... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 13 juin 2018 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours contre les décisions des autorités consulaires françaises à Djibouti rejetant les demandes de visas de long séjour de E..., N..., O..., P... et K... F... A... au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n°1910057 du 6 avril 2020, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle rejette les demandes de visas présentées par N..., P..., O... et K... F... A..., a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer aux intéressés les visas sollicité, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais liés à l'instance et a rejeté le surplus des demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 août 2020, Mme C... D... A... et M. E... F... A..., représentés par Me G..., demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n°1910057 du 6 avril 2020 du tribunal administratif de Nantes, en tant qu'il a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours en ce qu'elle se rapporte à la demande de visa présentée pour M. E... F... A... ;

2°) d'annuler la décision du 13 juin 2018 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, en tant qu'elle a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises à Djibouti rejetant la demande de visa de long séjour de M. E..., F... A... au titre de la réunification familiale ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement, sous astreinte de cent euros par jour de retard, ou à titre subsidiaire de réexaminer les demandes dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil d'une somme de 1 800 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridique.

Ils soutiennent que :

- la décision contestée est entachée d'une erreur d'appréciation quant aux liens familiaux allégués ;

- la décision contestée est entachée d'erreur de droit quant à la date d'appréciation de l'âge d'un demandeur de visa au titre de la réunification familiale ; la date de la demande de réunification familiale ne correspond pas nécessairement à la date de demande de visa ; l'âge des enfants d'un bénéficiaire de la protection internationale doit s'apprécier à la date du dépôt de la demande d'asile ; Mme D... Ahmed a engagé des démarches en vue d'initier la procédure de réunification familiale dès 2013 ; en tout état de cause, M. E... F... A... a déposé une demande de visa de long séjour au titre de la réunification familiale dès le mois d'août 2014 ;

- la décision contestée est entachée d'erreur de droit quant à l'âge des demandeurs de visa ; il résulte de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que les enfants d'un bénéficiaire de la protection internationale doivent être âgés au plus de dix-neuf ans, et non pas avoir atteint " au plus leur dix-neuvième anniversaire " ; M. E... F... A... était âgé de 19 ans et 6 mois en janvier 2017, date à laquelle il a demandé le visa refusé ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Un mémoire en défense a été déposé par le ministre de l'intérieur le 24 février 2021, postérieurement à la clôture de l'instruction ordonnée le 12 février 2021, et n'a pas été communiqué.

Mme C... D... A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 juin 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... A..., ressortissante somalienne née le 5 novembre 1955 à Kurtunwarey (Somalie), s'est vu accorder le bénéfice de la protection subsidiaire sur le territoire français par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 28 février 2013. Ses enfants allégués, E... Ali Ahmed, né le 10 juin 1997, N... Ali Ahmed, né le 6 juin 1998, P... et O... F... A..., nés le 2 avril 1999 et K... F... A..., née le 7 août 2001, ressortissants somaliens, ont sollicité la délivrance de visas de long séjour au titre de la réunification familiale. Par des décisions du 2 août 2017 et du 20 novembre 2017, les autorités consulaires françaises à Djibouti ont rejeté leurs demandes. Par une décision du 13 juin 2018, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours contre ces décisions. Par un jugement du 6 avril 2020, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle rejette les demandes de visas présentées par N..., P..., O... et K... Ali Ahmed, et a rejeté la demande en ce qu'elle se rapporte à la demande de visa présentée pour M. E... F... A.... Mme C... D... A... et M. E... Ali Ahmed relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté la demande tendant à l'annulation de la décision refusant un visa d'entrée en France à E... Ali Ahmed.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté la demande tendant à l'annulation de la décision refusant un visa d'entrée en France à E... F... A... :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au litige : " I. Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. (...) ". Aux termes de l'article R. 752-1 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " La demande de réunification familiale est initiée par la demande de visa mentionnée au troisième alinéa du II de l'article L. 752-1 ; elle est déposée auprès de l'autorité diplomatique ou consulaire dans la circonscription de laquelle résident les membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire ". L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit par ailleurs, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

3. Il ressort des pièces du dossier que pour rejeter la demande de visa litigieuse, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur les motifs tirés, d'une part, de ce qu'en l'absence de caractère probant des documents d'état-civil produits et d'éléments suffisants de possession d'état, l'identité du demandeur et son lien familial avec Mme D... Ahmed ne sont pas établis, d'autre part, de ce que E... Ali Ahmed était âgé de plus de dix-neuf ans le jour du dépôt de sa demande de visa.

4. Pour justifier de l'identité de M. E... F... A..., et du lien de filiation à l'égard de Mme D... A..., a été produit à l'appui de la demande de visa un certificat de naissance établi par la municipalité de Mogadiscio. Ce certificat mentionne la date et le lieu de naissance de l'intéressé, ainsi que le nom de la mère, Mme C... D... A.... Le ministre fait valoir dans son mémoire de première instance que ce certificat est dépourvu de valeur probante dès lors qu'il a été établi à la lecture d'un même registre que les certificats de ses frères et sœurs, portant le n°290, et alors que tous les documents portent des numéros de registre différents de l'année 2017. Le ministre indique également que le certificat de naissance litigieux concerne une naissance survenue à Kurtunwarey (Somalie), commune distante de 157 kilomètres de Mogadiscio. Toutefois, l'administration ne précise pas quelles règles relatives à l'état-civil somalien ont été méconnues en l'espèce. Par ailleurs, le requérant a produit la copie de son passeport, lequel fait également apparaître, sous la mention " nom de la mère ", Mme D... Ahmed et dont les mentions concordent avec celles des certificats de naissance. Enfin, les énonciations contenues dans les actes de naissance sont conformes aux différentes déclarations faites par Mme D... A... devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Dès lors, c'est par une inexacte application des dispositions précitées que la commission a rejeté la demande de visa litigieuse au motif que l'identité de l'intéressé et son lien familial allégué avec Mme D... A... n'étaient pas établis.

5. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Si M. E... F... A..., né le 10 juin 1997, était âgé de plus de 18 ans à la date d'introduction de la demande de visa, en janvier 2017, il n'est pas contesté par le ministre de l'intérieur que l'intéressé est célibataire et vit en Somalie, depuis sa naissance, avec ses frères et sœurs cadets, dont il s'est occupé après le départ de sa mère, leur père étant décédé. Dans ces conditions, les requérants sont fondés à soutenir que la décision contestée porte une atteinte disproportionnée au droit de M. E... F... A... de mener une vie privée et familiale normale tel qu'il est garanti à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... D... A... et M. E... F... A... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande tendant à l'annulation de la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises à Djibouti rejetant la demande de visa de long séjour sollicitée pour M. E... Ali Ahmed au titre de la réunification familiale.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à M. E... F... A.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un tel visa à l'intéressé dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin de prononcer une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

8. Mme C... D... A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me G... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 6 avril 2020 du tribunal administratif de Nantes est annulé, en tant qu'il a rejeté la demande tendant à l'annulation de la décision refusant un visa d'entrée en France à M. E... Ali Ahmed.

Article 2 : La décision du 13 juin 2018, par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté la demande de visa d'entrée et de long séjour en France de M. E... F... A..., est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. E... F... A... un visa de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Papineau, avocate des requérants, la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me G... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent jugement sera notifié à Mme C... D... A..., M. E... F... A..., et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 2 juillet 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Célérier, président de chambre,

- Mme Buffet, présidente-assesseure,

- M. B..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juillet 2021.

Le rapporteur,

A. B...Le président,

T. CELERIER

La greffière,

C. POPSE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT02702


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT02702
Date de la décision : 20/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CELERIER
Rapporteur ?: M. Alexis FRANK
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : SELARL R et P AVOCATS OLIVIER RENARD ET CINDIE PAPINEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-07-20;20nt02702 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award