Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat, d'une part, à verser à Mme B... F... veuve E... et à lui-même, en leur qualité d'ayants-droit de M. C... E... une somme de 592 800 euros assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts à compter du 18 novembre 2015 et, d'autre part, à Mme B... F... veuve E... une somme de 58 200 euros assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts à compter du 18 novembre 2015, en réparation des préjudices résultant du décès de M. C... E... qu'ils imputent à une maladie contractée pendant le service.
Mme B... F... veuve E... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat, d'une part, à verser à M. D... E... et à elle-même, en leur qualité d'ayants-droit de M. C... E... une somme de 592 800 euros assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts à compter du 18 novembre 2015, et d'autre part, de verser à son profit une somme de 58 200 euros assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts à compter du 18 novembre 2015.
Par un jugement avant-dire droit n° 1601324, 1601362 du 5 janvier 2018, le tribunal administratif de Rennes a ordonné la tenue d'une expertise confiée à un médecin spécialiste en hématologie.
Le rapport de l'expert a été enregistré le 7 août 2019.
Par un jugement n° 1601324, 1601362 du 18 juin 2020, le tribunal administratif de Rennes a, en premier lieu, rejeté les demandes de Mme E... et M. E..., en deuxième lieu, rejeté les conclusions de la Caisse nationale militaire de sécurité sociale et, en dernier lieu, mis les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 4 200 euros à la charge définitive de l'Etat.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 juillet 2020 et le 24 mars 2021 sous le n° 20NT02276, Mme B... E..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement n° 1601324, 1601362 du tribunal administratif de Rennes du 18 juin 2020 ;
2°) de condamner l'Etat à verser :
- la somme de 592 800 euros à Mme B... E... et M. D... E... en qualité d'ayant-droits de M. C... E..., avec intérêts à compter du 18 novembre 2015 et capitalisation des intérêts ;
- la somme de 58 200 euros à Mme B... E... au titre de ses préjudices propres, avec intérêts à compter du 18 novembre 2015 et capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la responsabilité de l'Etat est engagée du fait de plusieurs fautes :
o M. E... a été exposé directement à des armes chimiques et des émanations et résidus des bombardements et munitions dans les zones de combat, sans aucune protection, consigne ou avertissement ; il n'a pas fait l'objet d'un suivi suffisant compte tenu de son exposition aux risques ;
o sa pathologie n'a été diagnostiquée qu'avec retard alors qu'il a présenté des symptômes dès l'année 1996 ; ses antécédents n'ont pas été suffisamment mentionnés dans son dossier entrainant un retard de diagnostic ; sa pathologie n'a donc été diagnostiquée qu'à un stade très avancé diminuant ses chances de survie (de l'ordre de 90 %) ;
- il existe un lien de causalité avéré entre ces expositions et sa pathologie :
o le lien est établi par la littérature scientifique ;
o le lien est établi par l'arrêt du 1er juillet 2016 de la cour régionale des pensions de Rennes qui est revêtu de l'autorité de la chose jugée ;
o le lien doit être considéré comme établi du fait des omissions entachant son dossier médical militaire ;
- en ce qui concerne les indemnisations :
o le déficit fonctionnel temporaire et l'incapacité temporaire totale justifie l'allocation d'une somme de 592 800 euros, tenant compte de la pension allouée pour ce poste de préjudice ;
o Mme E... justifie d'un préjudice d'affection, du fait d'avoir vu souffrir son fils, à hauteur de 48 000 euros et un préjudice moral spécial de 10 200 euros, en raison des manipulations entachant le dossier médical militaire de M. E....
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 mars 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme E... ne sont pas fondés.
II. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 juillet 2020 et le 24 mai 2021 sous le n° 20NT02279, M. D... E..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement n° 1601324, 1601362 du tribunal administratif de Rennes du 18 juin 2020 ;
2°) de condamner l'Etat à verser :
- la somme de 592 800 euros à Mme B... E... et M. D... E... en qualité d'ayant-droits de M. C... E..., avec intérêts à compter du 18 novembre 2015 et capitalisation des intérêts ;
- la somme de 58 200 euros à M. D... E... au titre de ses préjudices propres, avec intérêts à compter du 18 novembre 2015 et capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la responsabilité de l'Etat est engagée du fait de plusieurs fautes :
o M. E... a été exposé directement à des armes chimiques et des émanations et résidus des bombardements et munitions dans les zones de combat, sans aucune protection, consigne ou avertissement ; il n'a pas fait l'objet d'un suivi suffisant compte tenu de son exposition aux risques ;
o sa pathologie n'a été diagnostiquée qu'avec retard alors qu'il a présenté des symptômes dès l'année 1996 ; ses antécédents n'ont pas été suffisamment mentionnés dans son dossier entrainant un retard de diagnostic ; sa pathologie n'a donc été diagnostiquée qu'à un stade très avancé diminuant ses chances de survie (de l'ordre de 90 %) ;
- il existe un lien de causalité avéré entre ces expositions et sa pathologie :
o le lien est établi par la littérature scientifique ;
o le lien est établi par l'arrêt du 1er juillet 2016 de la cour régionale des pensions de Rennes qui est revêtu de l'autorité de la chose jugée ;
o le lien doit être considéré comme établi du fait des omissions entachant son dossier médical militaire ;
- en ce qui concerne les indemnisations :
o le déficit fonctionnel temporaire et l'incapacité temporaire totale justifie l'allocation d'une somme de 592 800 euros, tenant compte de la pension allouée pour ce poste de préjudice ;
o M. E... justifie d'un préjudice d'affection, du fait d'avoir vu souffrir son frère, à hauteur de 48 000 euros et un préjudice moral spécial de 10 200 euros, en raison des manipulations entachant le dossier médical militaire de M. E....
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 mars 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme G..., première conseillère,
- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., représentant Mme E... et M. E....
Considérant ce qui suit :
1. M. C... E..., né en février 1972, a intégré l'armée de l'air en qualité de contractuel en mai 1993. Il a été admis dans le corps des sous-officiers de carrière en novembre 2001. En janvier 2004, il a été diagnostiqué chez lui une maladie de Hodgkin, pathologie dont il est décédé en avril 2008. Avant son décès, M. E... avait demandé le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité, demande qui a été rejetée par le ministre de la défense par une décision du 14 avril 2008. Le tribunal des pensions militaires de Rennes a rejeté le recours de Mme B... F... veuve E..., mère de M. C... E..., dirigé contre le rejet de la demande de pension militaire d'invalidité. Par un arrêt du 1er juillet 2016, la cour régionale des pensions de Rennes a annulé ce jugement et reconnu le droit de M. E... à une pension militaire d'invalidité à compter du 12 février 2007.
2. Par un courrier du 18 novembre 2015, Mme B... E... et M. D... E..., frère de M. C... E..., ont saisi l'Etat d'une demande préalable tendant à l'indemnisation des préjudices résultant du décès de M. C... E.... Ils relèvent appel du jugement du 18 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes tendant à la condamnation de l'Etat.
3. Les requêtes n° 20NT02276 et 20NT02279, présentées pour Mme B... E... et M. D... E..., présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour y statuer par un seul et même arrêt.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. Les dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un militaire victime d'un accident de service ou atteint d'une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l'atteinte qu'il a subie dans son intégrité physique. Alors même que le régime d'indemnisation des militaires serait plus favorable que celui consenti aux agents civils, ces dispositions ne font cependant pas obstacle à ce que le militaire, qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d'agrément, obtienne de l'Etat qui l'emploie, même en l'absence de faute de celui-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l'atteinte à l'intégrité physique. Il en va de même s'agissant du préjudice moral subi par ses ayants droits. Ces dispositions ne font pas plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre l'Etat, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager sa responsabilité ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.
En ce qui concerne l'imputabilité au service de la maladie de M. E... :
5. Il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a rappelé ci-dessus, que M. C... E... est décédé en avril 2008 des suites d'un lymphome de Hodgkin dont le diagnostic avait été porté en janvier 2004 alors qu'il était affecté à Papeete. Mme B... E..., sa mère, et M. D... E..., son frère, invoquent le lien entre cette pathologie cancéreuse et le fait que le défunt, militaire envoyé à plusieurs reprises en ancienne Yougoslavie, aurait été exposé sans protection suffisante ni information à de l'uranium appauvri ou aux gaz nitrate d'hydroxylamine (HAN) et/ou nitrate de triéthylammonium (TEAN), gaz issus de la combustion d'explosifs. Ils soutiennent que l'exposition de leur fils et frère à ces gaz toxiques serait attestée par des mentions, partiellement occultées, de son livret médical militaire. Néanmoins, à supposer même que soit établie l'exposition de M. C... E..., il résulte des multiples expertises menées en 2008, 2011, 2014 puis 2019 à la demande successivement de la commission de réforme, du tribunal des pensions de Quimper, de celui de Rennes ou du tribunal administratif de Rennes, qu'en l'état actuel des connaissances scientifiques aucun lien n'a pu être établi entre l'exposition aux gaz HAN et TEAN ou à l'uranium appauvri et le développement d'un lymphome de Hodgkin. Il résulte de ces expertises absolument concordantes sur ce point, d'une part, que l'exposition à de tels gaz est connue pour entraîner des problèmes aigus digestifs, cutanés, sanguins, des incidences respiratoires et des manifestations rénales mais aucunement une surmortalité par cancer. Il résulte également de ces expertises que les lymphomes de Hodgkin, dont les seuls facteurs de risque actuellement identifiés sont l'exposition au virus d'Epstein-Barr, au virus de l'immunodéficience humaine acquise, l'exposition in utero à des pesticides ou une origine génétique, n'ont pas été constatés dans les populations de militaires ayant séjourné en ancienne Yougoslavie avec une incidence supérieure au reste de la population. Mme et M. E... ne peuvent utilement invoquer sur ce point l'arrêt de la cour régionale des pensions de Rennes du 1er juillet 2016 qui, au demeurant, n'a aucunement retenu l'imputabilité certaine de la pathologie de M. E... à une exposition à des substances toxiques au cours des opérations militaires et s'est bornée à relever que compte tenu de la date à laquelle cette cour estimait que les premiers signes de la pathologie de M. E... s'étaient manifestés, l'intéressé pouvait bénéficier de la présomption alors prévue par les dispositions de l'article L. 2 du code des pensions militaires et des victimes de guerre.
En ce qui concerne le retard de diagnostic :
6. Mme E... et M. E... soutiennent, en s'appuyant d'une part sur l'étonnement de l'expert nommé par le tribunal des pensions de Rennes en 2014 quant au fait que la pathologie de M. C... E... a été diagnostiquée en 2004 à un stade IV déjà très avancé, et d'autre part, sur l'avis d'un praticien hospitalier non spécialiste en hématologie ou en oncologie, que le cancer dont leur fils et frère est décédé aurait été diagnostiqué tardivement de manière fautive par le service médical des armées. Ils invoquent, à ce titre, les épisodes de prurit dont a souffert l'intéressé en 1993 et 1996 et l'incomplétude de son dossier médical militaire qui évoque un test pour vérifier en 1993 une mononucléose infectieuse sans en donner le résultat, ni confirmer la réalisation de cet examen. Toutefois, s'il est constant que les experts nommés successivement par la juridiction des pensions puis par le tribunal administratif de Rennes n'ont pu, malgré leurs demandes, avoir accès au dossier médical détaillé de M. E... et n'ont pu prendre connaissance, comme au demeurant la cour, que de la seule copie du livret médical militaire, l'expert et ses sapiteurs nommés par les premiers juges ont exclu le fait que le lymphome dont le jeune homme est décédé ait pu être diagnostiqué avant la dégradation importante de son état de santé à la fin de l'année 2003, accompagnée d'hyperthermie, de toux et de dyspnée d'effort et d'anomalies pulmonaires. Il résulte ainsi des constatations portées sur le livret médical de l'intéressé que s'il a présenté deux épisodes de prurit en 1993 et en 1996 et une légère adénopathie en 1993, soit près de dix ans avant le développement de sa pathologie, aucun autre signe médical n'a été relevé, alors que ces deux manifestations, si elles peuvent avoir un lymphome comme origine, peuvent également être associées à de très nombreuses autres pathologies. Dans ces conditions, la seconde faute invoquée par les appelants tenant à un retard fautif de diagnostic n'est pas établie et doit être écartée.
7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... et M. E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat.
Sur les frais du litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme E... et M. E... demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... et de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E..., M. D... E..., à la ministre des armées et à la caisse nationale militaire de sécurité sociale.
Délibéré après l'audience du 29 juin 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- Mme G..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juillet 2021.
La rapporteure,
M. G...Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
S. LEVANT
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT02276, 20NT02279