La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/07/2021 | FRANCE | N°21NT00541

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 02 juillet 2021, 21NT00541


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 25 janvier 2021 par laquelle le préfet d'Ille-et-Vilaine a prononcé son transfert auprès des autorités allemandes pour l'examen de sa demande d'asile et la décision du même jour par laquelle ce préfet l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2100428 du 3 février 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée sous

le numéro 21NT00541 le 26 février 2021, M. A... B..., représenté par Me D..., demande à la cour :
...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 25 janvier 2021 par laquelle le préfet d'Ille-et-Vilaine a prononcé son transfert auprès des autorités allemandes pour l'examen de sa demande d'asile et la décision du même jour par laquelle ce préfet l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2100428 du 3 février 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée sous le numéro 21NT00541 le 26 février 2021, M. A... B..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2100428 du 3 février 2021 du tribunal administratif de Rennes ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 25 janvier 2021 par laquelle le préfet d'Ille-et-Vilaine a prononcé son transfert auprès des autorités allemandes ;

3°) d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine, à titre principal, de l'autoriser à solliciter l'asile en France et de lui délivrer une attestation en tant que demandeur d'asile dans un délai de trois jours, ou à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros à verser à son avocat au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat.

Il soutient que :

- le préfet d'Ille-et-Vilaine a illégalement retiré une décision créatrice de droits en méconnaissance des dispositions de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration ; le préfet avait accepté, le 15 octobre 2020, d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale ;

- la décision méconnait les dispositions de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ; l'Allemagne a informé tardivement la France de son retour en Allemagne après l'expiration du délai de dix-huit mois après une déclaration de fuite ; le préfet n'a eu connaissance par les autorités allemandes de l'exécution de son transfert que postérieurement à l'acceptation de reprise en charge à l'asile et après le 16 octobre 2020, date d'expiration du délai de dix-huit mois ;

- il existe un risque de refoulement en Afghanistan, en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne et de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 avril 2021, le préfet d'Ille-et-Vilaine conclut au rejet de la requête.

Il soutient que le délai de transfert de M. B... vers l'Allemagne est reporté au 3 août 2022.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 31 mai 2021.

II. Par une requête, enregistrée le 26 février 2021 sous le numéro 21NT00542, M. A... B..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2100428 du tribunal administratif de Rennes du 3 février 2021 ;

2°) de suspendre l'exécution de la décision du 25 janvier 2021 par laquelle le préfet d'Ille-et-Vilaine a prononcé son transfert auprès des autorités allemandes.

Il soutient que :

- il sollicite le sursis à exécution du jugement sur le fondement de l'article R. 811-17 du code de justice administrative ; il fait état de moyens sérieux dans sa requête d'appel :

o le préfet a retiré une décision créatrice de droits non illégale ;

o la décision de transfert méconnait les dispositions de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

o il encourt un risque d'être refoulé en Afghanistan par les autorités allemandes ;

o la décision de transfert méconnait les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- l'exécution de la décision de transfert pourrait entrainer un préjudice difficilement réparable puisque la mise à exécution de son transfert vers l'Allemagne fait craindre un éloignement vers l'Afghanistan.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E..., première conseillère,

- et les observations de Me C..., représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 21NT00541 et 21NT00542, présentées pour M. B..., concernent la situation de la même personne et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.

2. M. A... B..., ressortissant afghan né en août 1980, est entré en France, pour la troisième fois, en 2020 et a déposé une demande d'asile qui a été enregistrée le 9 novembre 2020. Par une décision du 25 janvier 2021, le préfet d'Ille-et-Vilaine a prononcé son transfert auprès des autorités allemandes pour l'examen de sa demande d'asile, et par une décision du même jour, a également prononcé son assignation à résidence. M. B... relève appel du jugement du 3 février 2021 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 25 janvier 2021 portant transfert auprès des autorités allemandes. Par ailleurs, M. B... demande la suspension de l'exécution de ce même jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...) ".

4. M. B... fait l'objet d'une troisième procédure de transfert en application des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, après que les services de la préfecture lui ont indiqué en octobre 2020 que sa demande d'asile serait " requalifiée " en raison de l'écoulement du délai de transfert consécutif à la précédente mesure de transfert auprès des autorités allemandes. Il ressort des pièces du dossier, notamment des pièces médicales produites par l'intéressé, qu'il souffre, en surplus d'un stress post-traumatique se manifestant par des troubles du sommeil, des réactions d'hypervigilance et des douleurs somatiformes, d'un syndrome anxio-dépressif important pour lequel il suit un traitement médicamenteux et bénéficie d'un suivi médico-psychologique régulier. Deux médecins qui suivent M. B... depuis plusieurs mois ont attesté en décembre 2020 et en mars 2021 que son état de santé psychologique s'était nettement dégradé depuis le mois d'octobre 2020 en lien avec la perspective d'un nouveau retour en Allemagne et qu'un risque de passage à l'acte suicidaire n'était pas exclu. Le risque suicidaire de l'intéressé a également été constaté et attesté tant par son avocat que par la personne hébergeant M. B..., qui relève craindre de le laisser seul en raison de ce risque. Dans ces conditions, eu égard à son extrême vulnérabilité, l'appelant est fondé à soutenir qu'en prononçant, le 25 janvier 2021, son transfert auprès des autorités allemandes, le préfet d'Ille-et-Vilaine a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

5. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 25 janvier 2021.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine, dans un délai qu'il y a lieu de fixer à un mois, d'autoriser M. B... à déposer sa demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale.

Sur les frais du litige :

7. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me D... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :

8. Le présent arrêt statue au fond sur les conclusions de M. B... tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rennes du 3 février 2021. Par suite, les conclusions de la requête n° 21NT00542 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont devenues sans objet. Dès lors, il n'y a plus lieu d'y statuer.

DECIDE :

Article 1er : L'arrêté du 25 janvier 2021 portant transfert de M. B... auprès des autorités allemandes et le jugement n° 2100428 du tribunal administratif de Rennes du 3 février 2021 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, d'autoriser M. B... à déposer sa demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. B... tendant à la suspension de l'exécution du jugement n° 2100428 du tribunal administratif de Rennes du 3 février 2021.

Article 4 : L'Etat versera à Me D... la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me D... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise pour information au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 15 juin 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Rivas, président-assesseur,

- Mme E..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juillet 2021.

La rapporteure,

M. E...Le président,

L. LAINÉ

La greffière,

V. DESBOUILLONS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°s 21NT00541, 21NT00542


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT00541
Date de la décision : 02/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie BERIA-GUILLAUMIE
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : TUYAA BOUSTUGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 20/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-07-02;21nt00541 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award