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22/06/2021 | FRANCE | N°20NT01831

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 22 juin 2021, 20NT01831


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... E... et Mme G... D... épouse E... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 5 décembre 2018 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision implicite de l'autorité consulaire française à Yaoundé (Cameroun) refusant de délivrer à M. E... un visa de long séjour demandé en qualité de conjoint d'une ressortissante française.

Par un jugement n° 1906164 du 13 nove

mbre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... E... et Mme G... D... épouse E... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 5 décembre 2018 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision implicite de l'autorité consulaire française à Yaoundé (Cameroun) refusant de délivrer à M. E... un visa de long séjour demandé en qualité de conjoint d'une ressortissante française.

Par un jugement n° 1906164 du 13 novembre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 1er juillet 2020, M. et Mme E..., représentés par Me C..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision du 5 décembre 2018 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision implicite de l'autorité consulaire française à Yaoundé (Cameroun) refusant de délivrer à M. E... un visa de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité ou de réexaminer la demande, dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me C... de la somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité ; la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours le 6 décembre 2018, date à laquelle Mme Loirat, présidente de la formation de jugement ayant rendu la décision en première instance dont il est fait appel, était membre de la commission ;

- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France contestée a été prise en méconnaissance de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration, dans la mesure où la commission a omis de leur demander de produire des pièces relatives à leur intention matrimoniale ;

- elle est entachée d'une erreur dans l'appréciation de l'identité de M. E..., laquelle est établie par l'acte de naissance reconstitué sur le fondement d'un jugement rendu le 9 mars 2017 par le tribunal de première instance de Yaoundé ainsi que par des éléments de possession d'état ;

- elle est entachée d'une erreur dans l'appréciation de leur intention matrimoniale ;

- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de leur vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par une ordonnance du 17 novembre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 17 décembre 2020.

Par un mémoire en défense (non communiqué), enregistré le 8 janvier 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 juin 2020 du bureau d'aide juridictionnelle (section administrative) du tribunal judiciaire de Nantes.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les observations de Me B..., substituant Me C..., pour les requérants.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... et Mme D... épouse E... relèvent appel du jugement du 13 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 5 décembre 2018 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision implicite de l'autorité consulaire française à Yaoundé (Cameroun) refusant de délivrer à M. E... un visa de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. La décision du 5 décembre 2018 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est fondée sur les motifs tirés, d'une part, de ce que l'identité du demandeur et son lien familial avec Mme D... ne sont pas établis, dès lors qu'en réponse à une demande de vérification, les autorités locales compétentes ont indiqué que l'acte de naissance n° 2017/CE100/N/050, dressé le 14 mars 2017, correspond à une tierce personne, d'autre part, de ce qu'il n'y a pas de preuve " du maintien d'échanges réguliers et constants de quelque nature que ce soit (lettres, communications téléphoniques, voyages, photographies) " entre les époux et qu'il n'est établi ni que le couple aurait un projet concret de vie commune ni que M. E..., entré irrégulièrement en France, participerait aux charges du mariage.

En ce qui concerne l'identité de M. E... :

3. Aux termes de l'article L. 111-6 du même code, dans rédaction applicable au litige : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ", ce dernier disposant que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

4. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux.

5. Pour justifier de son identité, M. E... a produit, à l'appui de sa demande de visa de long séjour, un acte de naissance n° 02017/CE100/N/050 dressé le 16 mars 2017 en exécution d'un jugement rendu le 9 mars 2017 par le tribunal de première instance de Yaoundé ordonnant la reconstitution de l'acte de naissance n° 13022/85 dressé en 1985, dont l'original a été perdu par M. E.... Si le ministre de l'intérieur soutient que le jugement du 9 mars 2017 a été rendu en méconnaissance de l'article 22 de l'ordonnance du 29 juin 1981, le recours à fin de reconstitution de l'acte de naissance de M. E... étant en principe irrecevable dans la mesure où il a été délivré à l'intéressé une attestation d'existence de la souche de son acte de naissance de 1985, cette circonstance, qu'il revient aux autorités judiciaires locales d'apprécier, ne permet pas par elle-même d'établir le caractère frauduleux de ce jugement.

6. Par ailleurs, le ministre de l'intérieur a procédé à une vérification de l'acte auprès des services de l'état civil de Yaoundé et a reçu, sous la référence n° 2017/CE100/N/050, un acte de naissance correspondant à une tierce personne. Les requérants ont fait eux-mêmes procéder à des vérifications et produisent en appel un constat d'huissier, établi le 16 avril 2020, comportant des photographies des registres et montrant qu'il existe deux registres de l'année 2017, dont l'un contient l'acte de naissance de M. E..., dressé le 16 mars 2017. La seule circonstance que la tenue des registres d'état civil souffre d'un manque de rigueur ne saurait toutefois permettre d'établir le caractère frauduleux du jugement rendu le 9 mars 2017 par le tribunal de première instance de Yaoundé, dont les mentions relatives à l'identité de M. E... sont identiques à celles figurant sur d'autres documents officiels antérieurs, notamment, à celles portées sur le livret de famille remis aux époux, le 13 février 2016, par les autorités françaises, à partir de l'acte de naissance initial dressé en 1985. Par suite, la commission de recours n'a pu légalement retenir que l'identité de M. E... et son lien familial avec Mme D... ne sont pas établis.

En ce qui concerne l'intention matrimoniale :

7. Aux termes de l'alinéa 4 de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Le visa de long séjour ne peut être refusé à un conjoint de Français qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public. Le visa de long séjour est délivré de plein droit au conjoint de Français qui remplit les conditions prévues au présent article ". En application de ces dispositions, il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint étranger d'un ressortissant français dont le mariage n'a pas été contesté par l'autorité judiciaire le visa nécessaire pour que les époux puissent mener une vie familiale normale. Pour y faire obstacle, il appartient à l'administration, si elle allègue une fraude, d'établir que le mariage a été entaché d'une telle fraude, de nature à justifier légalement le refus de visa. La circonstance que l'intention matrimoniale d'un des deux époux ne soit pas contestée ne fait pas obstacle, à elle seule, à ce qu'une telle fraude soit établie.

8. M. E... et Mme D... ont conclu un pacte civil de solidarité, le 1er décembre 2015, puis se sont mariés à Givors (Rhône), le 13 février 2016. M. E... a fait l'objet d'un refus de titre de séjour assorti d'une mesure d'éloignement qui l'a contraint à retourner au Cameroun le 1er novembre 2016. Il ressort des pièces du dossier que Mme E... s'est rendue au Cameroun du 1er au 11 novembre 2016, puis du 13 septembre au 2 octobre 2018 pour y rencontrer son époux, ainsi qu'en attestent les nombreuses photographies produites. Il ressort, également, des pièces du dossier que les époux sont en contact téléphonique quotidiennement, échangeant des messages personnels. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, en se bornant à se prévaloir de l'absence de " preuve du maintien d'échanges réguliers et constants de quelque nature que ce soit (lettres, communications téléphoniques, voyages, photographies) entre les époux " et de " projet concret de vie commune " ainsi que de l'absence de participation de M. E... aux charges du mariage ", l'administration, qui n'établit pas avoir analysé les pièces produites par les requérants, n'apporte pas la preuve qui lui incombe du caractère frauduleux du mariage.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. et Mme E... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

10. Eu égard aux motifs qui le fondent, le présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à M. E.... Il y a donc lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer ce visa à l'intéressé dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

11. Mme E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me C... de la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 13 novembre 2019 du tribunal administratif de Nantes et la décision du 5 décembre 2018 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. F... E... un visa de long séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'État versera à Me C... une somme de 1 200 euros en application des articles

L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... E..., à Mme G... D... épouse E... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 4 juin 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de la formation de jugement,

- M. Bréchot, premier conseiller,

- Mme A..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 juin 2021.

La rapporteure,

C. A...

La présidente,

C. BUFFET

La greffière,

C. POPSE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT01831


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT01831
Date de la décision : 22/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: Mme Cécile ODY
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : CABINET POLLONO

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-06-22;20nt01831 ?
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