La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/03/2021 | FRANCE | N°20NT01275

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 26 mars 2021, 20NT01275


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision implicite et la décision explicite du 22 mai 2019 par lesquelles le préfet du Loiret a rejeté sa demande de regroupement familial au profit de son époux.

Par un jugement n° 1900930 du 22 octobre 2019, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 avril 2020, Mme E... F..., représentée par Me Madrid, demande à la cour :
<

br> 1°) d'annuler le jugement n° 1900930 du tribunal administratif d'Orléans du 22 octobre 2019 ;

2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision implicite et la décision explicite du 22 mai 2019 par lesquelles le préfet du Loiret a rejeté sa demande de regroupement familial au profit de son époux.

Par un jugement n° 1900930 du 22 octobre 2019, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 avril 2020, Mme E... F..., représentée par Me Madrid, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1900930 du tribunal administratif d'Orléans du 22 octobre 2019 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision implicite et la décision explicite du 22 mai 2019 par lesquelles le préfet du Loiret a rejeté sa demande de regroupement familial au profit de son époux ;

3°) d'enjoindre au préfet du Loiret de faire droit à sa demande de regroupement familial au profit de son époux M. D... F... dans un délai de trente jours, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à son avocate au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif n'a pas répondu de manière explicite au moyen tiré de l'appréciation erronée de la période de référence ;

- le détournement de procédure allégué par le préfet du Loiret, qui estime que le regroupement familial demandé n'a pas pour but la reconstitution de la cellule familiale, n'est pas établi ; sa relation avec M. F... a débuté en 2012 et ils ont souhaité se marier dès 2016 ; ils ont souhaité avoir un enfant dès la fin de l'année 2015 et ont souscrit une demande d'assistance médicale à la procréation en février 2017 ; ils ont débuté les démarches de mariage dès novembre 2016 avant l'obligation de quitter le territoire français opposé en décembre 2016 à M. F... ; elle a utilisé la procédure de regroupement familial, procédure de droit commun dont le préfet du Loiret rappelle qu'elle prime en cas de mariage entre ressortissants étrangers ;

- le préfet du Loiret a méconnu sa compétence en s'estimant lié par l'insuffisance des conditions de ressources et de logement sans vérifier que la décision était susceptible de porter à son droit à mener une vie privée et familiale normale une atteinte excessive ;

- la décision méconnait les dispositions de l'article L. 411-5 et R. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; c'est à tort que le préfet du Loiret lui a reproché d'avoir des ressources, pour la période de référence, inférieures au SMIC brut requis pour une famille de trois personnes :

o pour la période de référence à retenir, si l'administration doit prendre en considération la période de douze mois précédant le dépôt de la demande, elle doit également tenir compte de la situation à la date à laquelle elle statue, si un délai anormalement long sépare la date de dépôt de la demande de la date de la décision ; en l'espèce, quatorze mois séparent sa demande de regroupement familial (12 mars 2018) du rejet explicite de sa demande (22 mai 2019) ;

o la décision est entachée d'erreur de fait et d'erreur de droit puisque le préfet a omis de prendre en compte diverses sommes, dont la prime d'activité à hauteur de 390 euros ; elle travaille en contrat à durée indéterminée (CDI) depuis le 30 mai 2017 ; pour la période allant de février 2017 à janvier 2018, elle a perçu des salaires pour une moyenne mensuelle de 1331,03 euros et non de 1169 euros comme retenu par le préfet du Loiret ; au titre de l'année 2017 elle a perçu un revenu net imposable de 11 725 euros et son époux un revenu net imposable de 3 400 euros ;

o elle vit dans un logement considéré comme normal et conforme aux critères de la réglementation avec son époux et son fils ;

- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision porte une atteinte excessive à son droit à une vie privée et familiale normale et méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; la cellule familiale est constituée en France depuis sept années avec son fils que M. F... élève depuis qu'il est âgé d'un an ; son fils a besoin d'un suivi médical spécifique pluridisciplinaire et elle a besoin de son époux au quotidien ; elle est engagée avec son époux dans une démarche d'aide médicale à la procréation ; elle ne peut se rendre régulièrement dans leur pays d'origine pour des raisons économiques et ne pouvant laisser seul son fils dont le père est décédé ; elle a ses attaches en France ; l'éloignement de son époux le temps de la procédure de regroupement familial mettrait fin au processus d'aide médicale à la procréation ; son époux réside en France depuis 2003, n'a plus de famille en République démocratique du Congo et est bien intégré en France ;

- la décision est entachée d'erreur de fait puisque la cellule familiale ne s'est pas concrétisée en juillet 2017 mais en 2012.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 septembre 2020, le préfet du Loiret, représenté par Me Boullay, conclut au rejet de la requête de Mme F....

Il soutient que :

- il pouvait refuser le bénéfice du regroupement familial au seul motif que M. F... était déjà présent sur le territoire français en application des dispositions de l'article L. 411-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le motif tiré de l'insuffisance de ressources était surabondant ;

- les moyens soulevés par Mme F... ne sont pas fondés.

Mme F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 4 février 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Béria-Guillaumie, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... A..., ressortissante congolaise née en décembre 1983, qui bénéficie d'une carte de résident valable jusqu'en 2026, a épousé en France le 29 juillet 2017 M. D... F.... Le 14 février 2018, Mme F... a déposé une demande de regroupement familial au profit de son époux. Sa demande ayant été implicitement rejetée par le préfet du Loiret, elle a saisi le tribunal administratif d'Orléans d'une demande tendant à l'annulation de ce rejet implicite. Le 22 mai 2019, le préfet du Loiret a explicitement rejeté la demande de regroupement familial dont il était saisi. Mme F... relève appel du jugement n° 1900930 du 22 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la décision implicite de refus de regroupement familial :

2. Si le silence gardé par l'administration sur un recours gracieux ou hiérarchique fait naître une décision implicite de rejet qui peut être déférée au juge de l'excès de pouvoir, une décision explicite de rejet intervenue postérieurement, qu'elle fasse suite ou non à une demande de communication des motifs de la décision implicite présentée en application des dispositions de l'article L. 234-4 du code des relations entre le public et l'administration, se substitue à la première décision. Il en résulte que des conclusions à fin d'annulation de cette première décision doivent être regardées comme dirigées contre la seconde.

3. Il ressort des pièces du dossier que par une décision du 22 mai 2019, le préfet du Loiret a explicitement rejeté la demande de regroupement familial présentée par Mme F... au profit de son époux. Ses conclusions dirigées contre la décision implicite de rejet antérieure doivent donc être regardées comme dirigées contre la décision explicite du 22 mai 2019, d'ailleurs également contestée.

En ce qui concerne la décision explicite de refus de regroupement familial du 22 mai 2019 :

4. L'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans ". Par ailleurs, l'article L. 411-6 du même code dispose que : " Peut être exclu du regroupement familial : : (...) 3° Un membre de la famille résidant en France (...) ". Par ailleurs, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) ".

5. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'il se prononce sur une demande de regroupement familial, le préfet est en droit de rejeter la demande dans le cas où l'intéressé ne justifierait pas remplir l'une ou l'autre des conditions légalement requises notamment, comme en l'espèce, en cas de présence anticipée sur le territoire français du membre de la famille bénéficiaire de la demande. Il dispose toutefois d'un pouvoir d'appréciation et n'est pas tenu par les dispositions précitées, notamment dans le cas où il est porté une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale tel qu'il est protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou lorsqu'il est porté atteinte à l'intérêt supérieur d'un enfant tel que protégé par les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant.

6. Il ressort des pièces du dossier que Mme F... réside en France sous couvert d'une carte de résident valable jusqu'en 2026. Elle a épousé M. F..., qui est entré en France en 2003, en juillet 2017, un an et dix mois avant le refus de regroupement familial contesté. En outre, il ressort des pièces du dossier que le couple, qui a débuté les démarches en vue de se marier en novembre 2016 avant la dernière mesure d'éloignement opposée à M. F..., a engagé des démarches en vue de concevoir un enfant par procréation médicalement assistée à compter de la fin de l'année 2015, les démarches s'étant poursuivies jusqu'au moins en 2019. Un éloignement de l'époux de Mme F... en République démocratique du Congo le temps de l'examen de la demande de regroupement familial aurait une incidence sur la poursuite de ces démarches. En outre, il ressort des pièces du dossier, notamment d'un rapport d'une psychologue de mai 2019, qu'alors que l'enfant de Mme F... présente des troubles relationnels et de la communication majeurs et nécessite un suivi pluridisciplinaire pour sa scolarité, l'époux de l'appelante s'occupe du suivi de la scolarité de l'enfant, dont le père est décédé. Dans ces conditions, et quand bien même l'époux de Mme F... résidait déjà en France lors de la demande de regroupement familial, compte tenu de l'ancienneté de la relation entre Mme F... et son époux, de la cellule familiale constituée avec l'enfant de l'intéressée, l'appelante est fondée à soutenir qu'en rejetant sa demande, le préfet du Loiret a porté une atteinte excessive à son droit à une vie privée et familiale normale et a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. Il résulte de ce qui précède que Mme F... est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du préfet du Loiret du 22 mai 2019.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Compte tenu du motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêté implique nécessairement qu'il soit enjoint au préfet du Loiret, dans un délai qu'il y a lieu de fixer à deux mois, d'admettre M. F... au bénéfice du regroupement familial.

Sur les frais du litige :

9. Mme F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me Madrid dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1900930 du tribunal administratif d'Orléans du 22 octobre 2019 et la décision du 22 mai 2019 par laquelle le préfet du Loiret a rejeté la demande de regroupement familial présentée par Mme F... au profit de son époux sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Loiret d'admettre M. F... au bénéfice du regroupement familial dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Madrid la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... F... et au ministre de l'intérieur.

Une copie sera transmise pour information au préfet du Loiret.

Délibéré après l'audience du 9 mars 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Rivas, président-assesseur,

- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mars 2021.

La rapporteure,

M. Béria-GuillaumieLe président,

L. LAINÉ

La greffière,

V. DESBOUILLONS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT01275


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT01275
Date de la décision : 26/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie BERIA-GUILLAUMIE
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : BOULLAY

Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-03-26;20nt01275 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award