Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 28 juin 2019 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises en poste à Bamako rejetant sa demande de visa de long séjour.
Par un jugement n° 1909668 du 21 février 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 12 mai 2020 et le 24 août 2020, Mme A..., représentée par Me Traore, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 21 février 2020 ;
2°) d'annuler la décision contestée ;
3°) d'enjoindre à l'administration de lui délivrer un visa de long séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, lui enjoindre de procéder au réexamen de sa demande ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a droit à la délivrance d'un visa de long séjour au titre de la réunification familiale dès lors que doit être pris en compte son âge à la date de la demande de réunification familiale et non à celle de la demande de visa ;
- la décision contestée est insuffisamment motivée ;
- aucune étude sérieuse et complète de sa situation n'a été réalisée ;
- en estimant que le lien de filiation n'était pas établi, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a commis une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 août 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- la loi malienne ne permet pas l'établissement de la filiation par possession d'état ;
- les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Mme F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle par une décision du 11 décembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et les administrations ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Bougrine a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante malienne née le 12 février 1999, a sollicité la délivrance d'un visa de long séjour en qualité de membre de famille d'un réfugié. Par une décision du 28 juin 2019, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a maintenu le refus de visa que lui avait opposé les autorités consulaires françaises en poste à Bamako. Mme A... relève appel du jugement du 21 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 28 juin 2019.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. D'une part, il ressort des pièces du dossier, notamment de l'acte établi le 28 décembre 2017 et transcrivant le jugement supplétif n° 3392 rendu le 26 décembre 2017 par le tribunal de grande instance de la commune I du district de Bamako que Mme A... A..., née le 12 février 1999, est la fille de M. H... A... et de Mme G... F.... A cet égard, la circonstance que ces documents d'état civil aient été établis postérieurement à l'obtention du statut de réfugié par la mère de Mme A..., précisément dans le but de les produire au soutien d'une demande de visa d'entrée en France présentée par la requérante pour rejoindre sa mère, ne caractérise par elle-même aucune fraude ni n'est de nature à priver ces documents de valeur probante. Par ailleurs, si l'acte de naissance mentionné ci-dessus a été dressé deux jours après l'intervention du jugement supplétif d'acte de naissance qu'il transcrit, il n'est pas démontré que cette transcription réalisée avant l'expiration des délais d'appel fixés à l'article 554 du code de procédure civile malien serait constitutive d'une fraude ni même d'une irrégularité. Enfin, si le ministre de l'intérieur relève que l'acte de naissance transcrit comporte la date de naissance complète de Mme A... alors que le jugement supplétif indique seulement l'année de naissance, cette circonstance n'est pas de nature à retirer à ces pièces leur valeur probante en l'absence de toute contradiction ou incohérence et à défaut pour le ministre d'établir que la loi étrangère s'y opposerait.
4. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que Mme A..., âgée de vingt ans à la date de la décision contestée, est célibataire et sans enfants. Son père est décédé en mai 2014 tandis que sa mère a quitté le Mali en 2015 avant d'obtenir le statut de réfugiée en France le 26 juillet 2017. Une de ses trois soeurs réside également en France où elle bénéficie du même statut. En outre, par un arrêt rendu ce jour, la cour annule les refus de visa opposés à sa petite soeur et son petit frère, lesquels ont droit, au titre de la réunification familiale, à rejoindre leur mère en France. Il ressort également des pièces du dossier, en particulier de la demande d'asile de Mme F... et de l'arrêt de la Cour nationale du droit d'asile du 26 juillet 2017, que sa famille paternelle, qui est à l'origine du départ de sa mère et de la dispersion de la famille, a tenté de provoquer la rupture des liens familiaux. Dans ces conditions, alors même que sa soeur aînée demeure au Mali où Mme A... a elle-même vécu toute sa vie, le refus de visa contesté porte au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
6. Sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard aux motifs sur lesquels il se fonde, que le ministre de l'intérieur délivre un visa de long séjour à Mme A... A... et au jeune E... A.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'y procéder dans le délai d'un mois à compter de la date à laquelle les voyages envisagés seront compatibles avec les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme A... de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 21 février 2020 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 28 juin 2019 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme A... A... un visa de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la date à laquelle les voyages envisagés seront compatibles avec les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.
Article 3 : L'Etat versera à Mme A... A... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... A... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 23 février 2021, à laquelle siégeaient :
M. Pérez, président de chambre,
Mme Douet, président assesseur,
Mme Bougrine, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 mars 2021.
Le rapporteur,
K. Bougrine
Le président,
A. PEREZLe greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT01499