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19/02/2021 | FRANCE | N°20NT00068

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 19 février 2021, 20NT00068


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Armor Isolation a demandé au tribunal administratif de Rennes, en premier lieu, de condamner solidairement la communauté d'agglomération Lorient Agglomération et la société mixte pour l'aménagement et l'équipement de la Bretagne à lui verser la somme globale de 224 420, 93 euros au titre de travaux supplémentaires et des préjudices subis dans l'exécution du lot n° 6 du marché de construction de l'Ecole nationale supérieure d'ingénieurs de Bretagne Sud, assortie des intérêts au taux

légal à compter de son mémoire en réclamation et de leur capitalisation, et en deu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Armor Isolation a demandé au tribunal administratif de Rennes, en premier lieu, de condamner solidairement la communauté d'agglomération Lorient Agglomération et la société mixte pour l'aménagement et l'équipement de la Bretagne à lui verser la somme globale de 224 420, 93 euros au titre de travaux supplémentaires et des préjudices subis dans l'exécution du lot n° 6 du marché de construction de l'Ecole nationale supérieure d'ingénieurs de Bretagne Sud, assortie des intérêts au taux légal à compter de son mémoire en réclamation et de leur capitalisation, et en deuxième lieu, de l'exonérer du paiement des pénalités de retard infligées à hauteur de 6 339, 09 euros.

Par un jugement n° 1705128 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 7 janvier 2020 et le 21 janvier 2020, la société Armor Isolation, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1705128 du tribunal administratif de Rennes du 7 novembre 2019.

2°) de condamner la communauté d'agglomération Lorient Agglomération et la SEMBREIZH à lui verser la somme globale de 224 420, 93 euros au titre de travaux supplémentaires et de préjudices subis dans l'exécution du lot n° 6 du marché de construction de l'Ecole nationale supérieure d'ingénieurs de Bretagne Sud, avec intérêts au taux légal à compter de son mémoire en réclamation et capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération Lorient Agglomération et de la SEMBREIZH la somme de vingt mille euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement du tribunal administratif de Rennes est insuffisamment motivé puisqu'en méconnaissance de l'article R. 741-2 du code de justice administrative, les premiers juges n'ont pas suffisamment motivé leur décision en ce qui concerne le délai applicable pour transmettre son mémoire en réclamation ;

- son mémoire en réclamation du 6 janvier 2014 n'était pas tardif en application de l'article 50.1.1 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) Travaux de 2009 :

o le mémoire en réclamation pouvait être transmis jusqu'au 7 janvier 2014 et non jusqu'au 6 janvier 2014 ; la règle de computation des délais prévue par l'article 3.2.2 du CCAG Travaux n'est pas applicable aux mémoires en réclamation puisqu'elle ne s'applique qu'au délai d'exécution des prestations ; le délai de transmission des mémoires en réclamation doit être compris comme un délai franc ; le décompte général lui ayant été notifié le 22 novembre 2013, le délai a commencé à courir le 23 novembre 2013 pour s'achever le 6 janvier 2014 ; ce dernier jour n'étant pas compté, elle avait jusqu'au 7 janvier 2014 pour transmettre son mémoire en réclamation à la société mixte pour l'aménagement et l'équipement de la Bretagne ;

o aucun formalisme particulier ne s'appliquait à la transmission du mémoire en réclamation qui pouvait être transmis par courrier électronique ; elle a doublé son envoi postal par un envoi électronique avec accusé de réception adressé à la société mixte pour l'aménagement et l'équipement de la Bretagne le 6 janvier 2014 à 19 heures 50 ; ce courrier électronique comprenait deux pièces jointes dont le mémoire en réclamation ;

o l'article 50.1 du CCAG Travaux n'évoque que la transmission et non la notification du mémoire en réclamation ;

- elle renvoie à ses écritures de première instance ; la communauté d'agglomération de Lorient doit être condamnée à lui verser la somme globale de 224 420, 93 euros au titre des travaux supplémentaires et des préjudices subis dans l'exécution du lot n° 6 du marché de construction de l'Ecole nationale supérieur d'ingénieurs de Bretagne Sud, avec intérêts au taux légal à compter de son mémoire en réclamation et leur capitalisation.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 4 décembre 2020 et le 18 janvier 2021, la SEMBREIZH, représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) à titre principal, de rejeter la requête de la société Armor Isolation et l'appel en garantie de la communauté d'agglomération Lorient Agglomération ;

2°) à titre subsidiaire, d'arrêter le décompte de la société Armor Isolation à la somme de 733 279, 77 euros TTC ;

3°) de mettre à la charge de la société Armor Isolation la somme de cinq mille euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement, fondé sur les articles 3.1, 13.44 et 50 du CCAG Travaux et sur l'article 641 du code de procédure civile est suffisamment motivé ;

- le mémoire en réclamation de la société Armor Isolation était tardif en méconnaissance de l'article 50.1.1 alinéa 3 du CCAG Travaux ; le décompte général était donc devenu définitif :

o en application de l'article 13.44 du CCAG Travaux, le mémoire en réclamation sur le décompte doit être transmis dans un délai de 45 jours à compter de la notification du décompte général ; le délai de 45 jours court, selon la jurisprudence, à compter du lendemain du jour de notification du décompte pour s'achever le 45ème jour à minuit ; le décompte général ayant été notifié à la société le 22 novembre 2013, le délai a commencé à courir le 23 novembre 2013 et a expiré le 6 janvier 2014 ; le mémoire en réclamation qui n'a été reçu que le 7 janvier 2014 était tardif ;

o une remise aux services postaux le dernier jour du délai de 45 jours est considérée comme tardive ; l'envoi de la société Armor Isolation intervenu le 6 janvier 2014 ne peut donc être regardé comme intervenu en temps utile pour tenir compte des délais normaux d'acheminement postal ;

o le mémoire devant être reçu et non envoyé dans le délai de 45 jours de la notification du décompte général, la société Armor Isolation doit être en mesure de justifier de la réception par la SEMBREIZH et n'est pas en mesure de justifier la date de réception de son courrier électronique ;

o si l'article 50.1 mentionne la transmission du mémoire en réclamation et non sa notification, il incombe à l'auteur du mémoire en réclamation de justifier de la date de réception ; seule la notification du 7 janvier 2014 peut être établie de manière certaine et est intervenue postérieurement à l'expiration du délai de 45 jours ;

- à titre subsidiaire, à supposer ce mémoire transmis dans les délais impartis par le CCAG Travaux, ce mémoire en réclamation est irrecevable en méconnaissance de l'article 50.1.1 du CCAG puisque le document ne comportait aucune pièce justifiant les préjudices dont la société Armor Isolation faisait état et ne mentionnait pas les bases de calcul de la réclamation ;

- la requête de première instance de la société Armor Isolation était irrecevable en application des article 50.3 et 50.4.1 du CCAG Travaux ; la société Armor Isolation disposait d'un délai de six mois à compter de la décision implicite de rejet de sa réclamation par le maître d'ouvrage, le délai pouvant être suspendu par la saisine du comité consultatif de règlement amiable jusqu'à notification de la décision du pouvoir adjudicateur après cet avis ; en l'espèce, la société Armor Isolation ne justifie pas de la date effective de la saisine du CCIRA de Nantes ;

- les demandes de la société Armor Isolation sont irrecevables en tant qu'elles sont dirigées contre la SEMBREIZH puisque le titulaire d'un marché ne peut jamais rechercher la responsabilité d'un mandataire de maîtrise d'ouvrage sur un fondement contractuel en raison de fautes résultant de la mauvaise exécution ou de l'inexécution du marché ; en l'espèce, alors qu'elle n'était que le mandataire de la communauté d'agglomération de Lorient, la société Armor Isolation n'allègue ni n'établit la moindre faute commise par la SEMBREIZH en dehors du champ du contrat de mandat la liant au maître d'ouvrage ;

- à titre subsidiaire, les demandes de la société Armor Isolation ne sont pas fondées :

o en ce qui concerne les demandes de travaux supplémentaires, la société Armor Isolation ne démontre pas que les travaux objets de ses demandes n'étaient pas compris dans son marché, à prix global et forfaitaire, et qu'ils étaient soit utiles, soit indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art ; tous les véritables travaux supplémentaires ont fait l'objet d'un avenant ou d'un ordre de service régularisé par voie d'avenant :

* la fourniture de trappes (ordre de service du 19 février 2013, 6 940 euros HT) était comprise dans le marché en application de l'article 0.5 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du lot n° 6 ; un ordre de service a été émis car la société refusait de fournir ces prestations ;

* la réalisation d'une cloison servant de garde-corps dans le logement de fonction et la salle de conseil (ordre de service du 19 février 2013, 5 862 euros HT) faisait partie du marché et était décrite sur les plans ; un ordre de service a été émis car la société refusait de fournir ces prestations ;

* la réalisation de coffrages sur les portes d'entrée du hall (ordre de service du 5 mars 2013, 1 256 euros HT) faisait partie du marché et était décrite dans le carnet de détail C.F.E 3 ; un ordre de service a été émis car la société refusait de fournir ces prestations ;

* le nettoyage du chantier (ordre de service du 23 mai 2013, 343, 75 euros HT) incombait à la société Armor Isolation en application de l'article 0.5 du CCTP du lot n° 6 ; les titulaires des marchés n'ayant pas respecté cette obligation contractuelle, il a été décidé en avril 2013 de faire intervenir une entreprise pour nettoyer le chantier en lieu et place des entreprises en application de l'article 6.2 de l'annexe du CCAP ; la prestation n'a donc aucunement été exécutée par la société Armor Isolation ;

* la pose de cloison de couloirs figurait dans le marché de la société Armor Isolation ; le surcoût de main d'oeuvre allégué pour la pose de gaines de ventilation (2964 euros HT) est une sujétion normale d'exécution des travaux pris en compte dans la rémunération forfaitaire en application de l'article 10.1.1 du CCAG Travaux ; le montant très faible de la réclamation n'est pas susceptible d'avoir bouleversé l'économie du contrat ;

* le complément acoustique (2 029, 36 euros HT) est compris dans le marché et est décrit sur les plans et les carnets de détail CFI Hall et dans la notice acoustique ;

* le remplacement des cloisons de distribution Placostil 72/48 au profit de cloisons de remplacement Placostil 98/48 (6 813, 90 euros HT) est compris dans le marché de la société et est décrit dans les pièces graphiques et le carnet de détails ;

* l'habillage des tableaux des ouvertures, la réalisation du plafond Placostil sur la sortie de secours de l'aile Est au rez-de-chaussée, la réalisation des impostes et meneaux au R + 4 (9 807, 80 euros HT) sont compris dans le marché et sont décrits dans les pièces graphiques, la coupe, et le carnet de détails ;

* les modifications de produits et de surfaces acoustiques sur le monolithe (24 172, 20 euros HT) ressortent de la notice acoustique qui avait une valeur contractuelle supérieure au CCTP en application de l'article 2 du CCAP du marché ; la prestation était donc bien comprise dans le marché de la société Armor Isolation ;

* le complément acoustique du R+4 et R+5 (15 156 euros HT) est décrit dans la notice acoustique et sur les plans ;

* la réalisation de cloisons en local impression (3 070 euros HT) est décrite dans les pièces graphiques ; la circonstance que la prestation a été réalisée postérieurement aux opérations préalables à la réception est sans incidence sur le fait que cette prestation était comprise dans le marché de la société Armor Isolation ; cette prestation avait fait l'objet de réserves dans le procès-verbal de réception partielle du 17 mai 2013 ;

o la demande indemnitaire fondée sur un retard de mise à disposition de l'ouvrage doit être rejetée :

* dans un marché à forfait, les difficultés rencontrées par le titulaire ne lui ouvrent droit à indemnité que si l'économie du contrat a été bouleversée ou s'il a subi un préjudice résultant d'une faute de la personne publique ; la société Armor Isolation ne démontre pas en quoi le retard de chantier de six mois résulterait d'une faute de la maitrise d'ouvrage, ni de lien de causalité avec les difficultés rencontrées ;

* la société ne fournit aucun justificatif quant au coût que lui aurait occasionné la présence du gérant de l'entreprise aux réunions de chantier entre le 10 octobre 2011 et le 16 avril 2012 ; en outre, il ressort des comptes-rendus de chantier que la société Armor Isolation a été absente à dix reprises pour les réunions de chantier pour lesquelles elle sollicite une indemnisation ;

o la demande indemnitaire fondée sur un défaut d'organisation du chantier doit être rejetée :

* la société Armor Isolation impute la prétendue désorganisation du chantier à la défaillance de la maîtrise d'oeuvre et non de la maîtrise d'ouvrage ; elle doit donc rechercher la responsabilité de la maîtrise d'oeuvre sur le fondement quasi-délictuel et non celle de la maîtrise d'ouvrage sur un fondement contractuel ;

* les défaillances de la société Armor Isolation notamment pour la fourniture de plans d'exécution et de participation aux études de synthèse en application des articles 1er et 1.3 du CCTP, sont à l'origine de la désorganisation du chantier alléguée ; la maitrise d'oeuvre a tout mis en oeuvre pour pallier les défaillances de l'entreprise en matière de production de plans et de participation aux études de synthèse et de gestion de ses équipes ;

- les pénalités infligées à la société Armor Isolation en application de l'article 6.3 du CCAP et de l'article 20.1 du CCAG Travaux doivent être maintenues pour un montant de 6 339, 09 euros ;

o en ce qui concerne les pénalités pour absence aux réunions de chantier, la société Armor Isolation a été absente à vingt-quatre reprises à des réunions de chantier auxquelles elle avait été régulièrement convoquée ; elle pouvait se voir infliger au moins 1 200 euros de pénalités à ce titre ;

o la société Armor Isolation a été défaillante dans ses obligations de nettoyage du chantier ; elle pouvait se voir infliger au moins 900 euros de pénalités à ce titre ;

o les pénalités de retard sont fondées ; la tâche n° 216 de l'entreprise, consistant à poser des cloisons du côté Est du monolithe, a été livrée avec 124 jours de retard, dont 25 directement imputables à la société Armor Isolation ; la maitrise d'ouvrage n'a imputé à la société Armor Isolation un nombre de jours de pénalités que proportionné à sa responsabilité dans le retard global ; les 25 jours de retard devaient entrainer une pénalité de 4 852, 78 euros avant révision des prix et de 5 139, 09 euros après révision des prix.

- la communauté d'agglomération Lorient Agglomération ne démontre pas l'existence d'une faute dans sa mission d'ouvrage délégué.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 janvier 2021, la communauté d'agglomération Lorient agglomération, représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête et demande, en outre, qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Armor Isolation en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement du tribunal administratif de Rennes est suffisamment motivé ;

- le mémoire en réclamation de la société Armor Isolation était tardif en méconnaissance de l'article 13.44 et de l'article 50.1.1 du CCAG de 2009 ; le délai de contestation du décompte général expirait le 6 janvier 2014 à minuit ;

- à titre subsidiaire, les demandes de la société Armor Isolation devant le tribunal administratif de Rennes doivent être rejetées.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de procédure civile ;

- le décret n° 2010-1525 du 8 décembre 2010 ;

- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E..., première conseillère,

- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant la société Armor Isolation, de Me A..., représentant la communauté d'agglomération Lorient Agglomération et de Me C... représentant la SEMBREIZH.

Considérant ce qui suit :

1. En vue de la construction de l'Ecole nationale supérieure d'ingénieurs de Bretagne Sud, une convention a été conclue en juin et juillet 2010 entre la communauté d'agglomération du Pays de Lorient, l'Etat et le recteur de l'académie, les locaux destinés à l'université de Bretagne devant être implantés sur un terrain appartenant à la commune de Lorient et le financement de l'opération reposant sur l'Etat, la région, le département du Morbihan, le FEDER et la communauté d'agglomération du Pays de Lorient. Aux termes de cette convention, la maitrise d'ouvrage de l'opération a été confiée à la communauté d'agglomération, le programme technique de construction de l'opération ayant quant à lui été approuvé par une décision du recteur de l'académie de Rennes du 16 mars 2009. La communauté d'agglomération du Pays de Lorient a délégué la maîtrise d'ouvrage par un marché des 4 décembre 2008 et 2 janvier 2009 attribué à la société d'économie mixte d'aménagement et d'équipement de la Bretagne (SEMAEB), devenue SEMBREIZH. La maîtrise d'oeuvre de l'opération de construction de l'Ecole nationale a été confiée en octobre 2009 à une équipe constituée par la société agence Nicolas Michelin et Associés (ANMA), la société Rouille Architectes Associés, la société BETIBA, la société ABC et la société Acoustique Bureau Conseil Decibel (ABC Decibel). Le mandataire du groupement de maîtrise d'oeuvre était l'agence Nicolas Michelin et Associés. Les travaux, qui comportaient une tranche ferme correspondant à la construction de l'Ecole nationale supérieure, et une tranche conditionnelle correspondant à la construction d'un campus numérique, ont été divisés en seize lots. Le lot n° 6 " cloisons plafonds doublages " a été confié à la société Armor Isolation par un acte d'engagement signé les 29 novembre 2010 et 4 décembre 2010, pour un montant total de 633 801, 15 euros TTC pour la tranche ferme et 41 875, 63 euros pour la tranche conditionnelle. Cet acte d'engagement prévoyait un délai d'exécution de 20 mois pour la tranche ferme et 16 mois pour la tranche conditionnelle. Un avenant signé les 6 et 19 novembre 2012 a allongé à 24 mois le délai d'exécution de la tranche ferme du marché. Un avenant signé le 22 mars 2013 a augmenté le prix du marché de 52 399, 43 euros en raison de travaux notifiés par ordres de service, n° 05-06, 06-06, 07-06 et 09-06, portant le marché à un montant total de 582 333, 50 euros HT. Un avenant signé le 14 mai 2013 a modifié l'article 13 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) applicable au marché, relatif à la réception des travaux.

2. La société Armor Isolation a reçu l'ordre de démarrer les travaux de la tranche ferme de son lot le 2 décembre 2010. Une réception partielle des ouvrages correspondant, à l'exception du local technique de ventilation, du parking en sous-sol et de la rampe d'accès au sous-sol, a été prononcée le 15 mai 2013 avec effet au 17 mai suivant, avec quelques réserves. La réception des ouvrages restant (local technique ventilation, parking en sous-sol et rampe d'accès au sous-sol) est intervenue le 8 août 2013 avec effet au 19 juillet précédent. Enfin la levée des réserves assortissant la réception partielle du 15 mai 2013 est intervenue le 8 avril 2014. Par courrier du 20 septembre 2013, la société Armor Isolation a adressé son projet de décompte final pour un montant total de 806 754, 42 euros HT et 964 878, 28 euros TTC. Le 21 novembre 2013, la société mixte pour l'aménagement et l'équipement de la Bretagne, délégataire du maître d'ouvrage, a établi le décompte général du lot n° 6 confié à la société Armor Isolation pour un montant total de 733 279, 77 euros TTC. Par courrier et mémoire du 6 janvier 2014, le titulaire du lot n° 6 a contesté ce décompte, notamment en contestant l'absence de prise en compte de travaux supplémentaires, l'absence d'indemnisation des perturbations et allongements de chantier et l'infliction de pénalités. En l'absence de réponse, la société Armor Isolation a saisi, par courrier du 22 avril 2014, le comité consultatif interrégional de règlement amiable des différends relatifs aux marchés publics (CCIRA) de Nantes. Ce comité consultatif a émis son avis à la suite de la séance du 4 mai 2017, au terme duquel il suggérait une indemnisation de travaux supplémentaires exécutés par la société Armor Isolation à hauteur de 62 000 euros et une indemnisation de préjudices résultant des bouleversements dans la réalisation des travaux à hauteur de 70 000 euros. Le CCIRA a par ailleurs conseillé l'abandon des pénalités s'élevant à un montant global de 6 339, 09 euros. Par un courrier du 18 juillet 2017, la communauté d'agglomération a néanmoins informé le CCIRA de son intention de ne pas suivre cet avis.

3. En novembre 2017, la société Armor Isolation a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à la condamnation solidaire de la communauté d'agglomération de Lorient et de la société mixte pour l'aménagement et l'équipement de la Bretagne, aux droits de laquelle est venue la SEMBREIZH, à lui verser la somme globale de 224 420, 93 euros et à l'exonération des pénalités qui lui avaient été infligées à hauteur de 6 339, 09 euros. La société Armor Isolation relève appel du jugement n° 1705128 du 7 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Par ailleurs, l'article R. 741-2 du même code dispose que : " La décision mentionne que l'audience a été publique, sauf s'il a été fait application des dispositions de l'article L. 731-1. Dans ce dernier cas, il est mentionné que l'audience a eu lieu ou s'est poursuivie hors la présence du public. / Elle contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. / Mention y est faite que le rapporteur et le rapporteur public et, s'il y a lieu, les parties, leurs mandataires ou défenseurs ainsi que toute personne entendue sur décision du président en vertu du troisième alinéa de l'article R. 732-1 ont été entendus. / Lorsque, en application de l'article R. 732-1-1, le rapporteur public a été dispensé de prononcer des conclusions, mention en est faite. / Mention est également faite de la production d'une note en délibéré. / La décision fait apparaître la date de l'audience et la date à laquelle elle a été prononcée ".

5. Contrairement à ce que soutient la société Armor Isolation, les premiers juges, qui n'avaient pas à répondre à tous les arguments soulevés par les parties, ont suffisamment motivé leur jugement quant à la tardiveté du mémoire en réclamation présenté par la société en janvier 2014 et au caractère définitif du décompte général établi par le mandataire du maître d'ouvrage. En outre, aucune des mentions visées par l'article R. 741-2 du code de justice administrative ne manque sur le jugement attaqué. Il suit de là que la société Armor Isolation n'est pas fondée à soutenir que le jugement du 7 novembre 2019 serait irrégulier en raison de son insuffisante motivation.

6. En second lieu, l'article 13.4 du CCAG " Travaux ", issu de l'arrêté du 8 septembre 2009 applicable au marché en cause, stipule que : " 13.4.1. Le maître d'oeuvre établit le projet de décompte général qui comprend : / _ le décompte final ; / _ l'état du solde, établi à partir du décompte final et du dernier décompte mensuel, dans les mêmes conditions que celles qui sont définies à l'article 13.2.1 pour les acomptes mensuels ; / _ la récapitulation des acomptes mensuels et du solde. / 13.4.2. Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. / Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général avant la plus tardive des deux dates ci-après : / _ quarante jours après la date de remise au maître d'oeuvre du projet de décompte final par le titulaire ; / _ douze jours après la publication de l'index de référence permettant la révision du solde. / (...) 13.4.4. Dans un délai de quarante-cinq jours compté à partir de la notification du décompte général, le titulaire renvoie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'oeuvre, le décompte général revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou fait connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer. / (...) En cas de contestation sur le montant des sommes dues, le représentant du pouvoir adjudicateur règle, dans un délai de trente jours à compter de la date de réception de la notification du décompte général assorti des réserves émises par le titulaire ou de la date de réception des motifs pour lesquels le titulaire refuse de signer, les sommes admises dans le décompte final. Après résolution du désaccord, il procède, le cas échéant, au paiement d'un complément, majoré, s'il y a lieu, des intérêts moratoires, courant à compter de la date de la demande présentée par le titulaire. / Ce désaccord est réglé dans les conditions mentionnées à l'article 50 du présent CCAG / (...) 13.4.5. Dans le cas où le titulaire n'a pas renvoyé le décompte général signé au représentant du pouvoir adjudicateur, dans le délai de quarante-cinq jours fixé à l'article 13.4.4, ou encore, dans le cas où, l'ayant renvoyé dans ce délai, il n'a pas motivé son refus ou n'a pas exposé en détail les motifs de ses réserves, en précisant le montant de ses réclamations comme indiqué à l'article 50.1.1, ce décompte général est réputé être accepté par lui ; il devient alors le décompte général et définitif du marché ". Par ailleurs, aux termes de l'article 50.1 du même CCAG : " 50.1. Mémoire en réclamation : / 50.1.1. Si un différend survient entre le titulaire et le maître d'oeuvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. / Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants. Il transmet son mémoire au représentant du pouvoir adjudicateur et en adresse copie au maître d'oeuvre. / Si la réclamation porte sur le décompte général du marché, ce mémoire est transmis dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du décompte général. / Le mémoire reprend, sous peine de forclusion, les réclamations formulées antérieurement à la notification du décompte général et qui n'ont pas fait l'objet d'un règlement définitif. / 50.1.2. Après avis du maître d'oeuvre, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire sa décision motivée dans un délai de trente jours à compter de la date de réception du mémoire en réclamation. / 50.1.3. L'absence de notification d'une décision dans ce délai équivaut à un rejet de la demande du titulaire. / 50.2. Lorsque le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas donné suite ou n'a pas donné une suite favorable à une demande du titulaire, le règlement définitif du différend relève des procédures fixées aux articles 50.3 à 50.6 ".

7. Il résulte de ces stipulations que l'entrepreneur dispose d'un délai de quarante-cinq jours à compter de la date à laquelle il a reçu notification du décompte général pour faire parvenir au représentant du pouvoir adjudicateur un mémoire en réclamation. Si, avant l'expiration de ce délai, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas reçu le mémoire contestant le décompte général, celui-ci devient définitif et ne peut plus être contesté. Il en irait autrement dans l'hypothèse où l'entrepreneur établit qu'il a remis son mémoire en réclamation aux services postaux en temps utile afin qu'il parvienne avant l'expiration du délai applicable compte tenu du délai d'acheminement normal du courrier.

8. Par ailleurs, l'article 3.1 du CCAG " Travaux ", intitulé " Forme des notifications et informations ", stipule que : " La notification au titulaire des décisions ou informations du pouvoir adjudicateur qui font courir un délai est faite : / _ soit directement au titulaire, ou à son représentant dûment qualifié, contre récépissé ; / _ soit par échanges dématérialisés ou sur supports électroniques. Les conditions d'utilisation des moyens dématérialisés ou des supports électroniques sont déterminées dans les documents particuliers du marché ; / _ soit par tout autre moyen permettant d'attester la date et l'heure de réception de la décision ou de l'information ". En l'absence de stipulations contractuelles contraires, ces prescriptions doivent être regardées comme s'appliquant à tout échange entre le titulaire et le pouvoir adjudicateur nécessitant d'attester de la réception exacte de cet échange.

9. Il résulte de l'instruction que la société Armor Isolation a reçu notification du décompte général établi par la société mixte pour l'aménagement et l'équipement de la Bretagne le 22 novembre 2013. En application des stipulations précitées des articles 13.44 et 50.1.1 du CCAG Travaux, il lui appartenait de faire parvenir son mémoire en réclamation dans un délai de quarante-cinq jours, qui s'entend en jours calendaires, soit au plus tard le lundi 6 janvier 2014 à minuit. Il résulte de l'instruction que le mémoire en réclamation de la société Armor Isolation a été remis au maître d'ouvrage délégué le 7 janvier 2014. Par ailleurs, le courrier électronique constitue un échange dématérialisé, au sens des stipulations de l'article 3.1 du CCAG, dont l'utilisation devait être précisée par les documents particuliers du marché. Il ne résulte aucunement de l'instruction que les cahiers des clauses administratives ou techniques particulières du marché en cause aient précisé les conditions d'utilisation des moyens dématérialisés ou des supports électroniques. Dans ces conditions, compte tenu de la nécessité de sécuriser les échanges entre cocontractants et d'assurer une date certaine de réception de ces échanges, la société Armor Isolation ne pouvait valablement, au regard des stipulations contractuelles évoquées au point précédent, régulièrement adresser son mémoire en réclamation à la société mixte pour l'aménagement et l'équipement de la Bretagne par simple courrier électronique. Au surplus, s'il résulte du constat d'huissier réalisé à la demande de la société appelante que le courrier électronique adressé à un représentant du maître d'ouvrage délégué et comportant en pièces jointes le courrier du 6 janvier 2014 et le mémoire en réclamation figure dans la partie " éléments envoyés " de sa messagerie électronique à la date du 6 janvier 2014 à 19 heures 50, en l'absence de production de tout accusé de réception de ce courrier électronique par la SEMAEB, la société Armor Isolation n'établit aucunement que le destinataire a reçu notification de ces documents avant le 6 janvier 2014 minuit. Il résulte de ce qui précède que la société Armor Isolation ne peut être regardée comme ayant pris toutes ses dispositions pour expédier son mémoire en réclamation en temps utile afin qu'il soit réceptionné avant l'expiration du délai de quarante-cinq jours qui lui était imparti pour adresser ce mémoire.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Armor Isolation n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de la communauté d'agglomération de Lorient et de la SEMBREIZH.

Sur les frais du litige :

11. En premier lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté d'agglomération de Lorient et de la SEMBREIZH, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que la société Armor Isolation demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

12. En second lieu, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Armor Isolation le versement, d'une part à la communauté d'agglomération de Lorient et d'autre part à la SEMBREIZH, de la somme de 1 000 euros chacune en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Armor Isolation est rejetée.

Article 2 : La société Armor Isolation versera la somme de 1 000 euros à la communauté d'agglomération Lorient agglomération en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La société Armor Isolation versera la somme de 1 000 euros à la SEMBREIZH en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Armor Isolation, à la communauté d'agglomération Lorient Agglomération et à la SEMBREIZH.

Délibéré après l'audience du 2 février 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Rivas, président-assesseur,

- Mme E..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 février 2021.

La rapporteure,

M. E...Le président,

L. LAINÉ

La greffière,

V. DESBOUILLONS

La République mande et ordonne au préfet du Morbihan en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT00068


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT00068
Date de la décision : 19/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie BERIA-GUILLAUMIE
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : PUECH

Origine de la décision
Date de l'import : 27/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-02-19;20nt00068 ?
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