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05/02/2021 | FRANCE | N°20NT00195

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 05 février 2021, 20NT00195


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 21 avril 2017 par laquelle le préfet du Loiret a refusé d'abroger l'ordre de perquisition de son domicile, pris le 19 janvier 2016, et de condamner l'Etat à lui verser à titre de dommages et intérêts les sommes de 50 000 euros au titre de sa perte de rémunération et de 100 000 euros au titre de son préjudice moral.

Par un jugement n° 1702107 du 19 novembre 2019, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa

demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 21 avril 2017 par laquelle le préfet du Loiret a refusé d'abroger l'ordre de perquisition de son domicile, pris le 19 janvier 2016, et de condamner l'Etat à lui verser à titre de dommages et intérêts les sommes de 50 000 euros au titre de sa perte de rémunération et de 100 000 euros au titre de son préjudice moral.

Par un jugement n° 1702107 du 19 novembre 2019, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 20 janvier, 3 février, 10 et 11 novembre 2020, M. C..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 19 novembre 2019 du tribunal administratif d'Orléans ;

2°) d'annuler la décision du 21 avril 2017 par laquelle le préfet du Loiret a refusé d'abroger l'ordre de perquisition de son domicile, pris le 19 janvier 2016 ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser à titre de dommages et intérêts les sommes de 50 000 euros au titre de sa perte de rémunération, de 100 000 euros au titre de son préjudice moral et de 50 000 euros au titre du préjudice moral de sa conjointe et de sa fille ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa demande d'annulation du refus préfectoral d'abrogation de l'ordre de perquisition conservait un objet sauf à le priver de tout droit à recours contre cet ordre et alors même que la perquisition est intervenue ;

- la décision de refus d'abrogation de l'ordre de perquisition est illégale : elle est insuffisamment motivée ; l'abrogation s'imposait car l'ordre de perquisition est illégal en l'absence de motivation et entaché d'une erreur d'appréciation dès lors que l'administration ne démontre pas le bien-fondé de cette mesure qui n'est intervenue que sur le fondement d'une dénonciation calomnieuse ; le refus d'abrogation lui interdit d'exercer son activité professionnelle ;

- la responsabilité pour faute de l'administration est engagée du fait de l'ordre de perquisition illégal et du refus de l'abroger qui sont fondés sur une dénonciation calomnieuse ;

- il sera indemnisé pour 50 000 euros de son préjudice matériel né de la perte subséquente de son emploi et de ses revenus et pour 100 000 euros de son préjudice moral dès lors qu'en conséquence de cette situation sa santé s'est fortement dégradée sur la durée, qu'il a été porté atteinte à son honneur et à sa réputation ;

- subsidiairement, la responsabilité sans faute de l'Etat est engagée eu égard aux conséquences de cette situation, caractérisée par sa perte de revenu et sa dépression, sur son épouse et sa fille ; il sera indemnisé pour 50 000 euros des préjudices moraux subis par son épouse et sa fille.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 novembre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les conclusions présentées par M. C... au titre de la responsabilité sans faute de l'Etat sont irrecevables dès lors qu'elles sont nouvelles, qu'il ne peut demander à être indemnisé du préjudice de sa conjointe, et que s'agissant de sa fille la demande indemnitaire n'est pas présentée par les deux parents ;

- les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;

- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- et les conclusions de M. Besse, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 19 janvier 2016, le préfet du Loiret a, sur le fondement de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 instituant un état d'urgence dans sa rédaction issue de la loi du 20 novembre 2015, ordonné la perquisition du domicile de M. C.... Cette perquisition s'est déroulée le jour même entre 19 heures 45 et 21 heures 55. Par un courrier du 5 avril 2017, le conseil de M. C... a demandé au préfet du Loiret de lui transmettre certains documents, de lui communiquer les motifs de l'ordre de perquisition du 19 janvier 2016, d'abroger cette décision et de l'indemniser de ses préjudices. Par une décision du 21 avril 2017, le préfet du Loiret a communiqué divers documents et a explicitement rejeté la demande d'indemnisation présentée par l'intéressé. M. C... a alors demandé au tribunal administratif d'Orléans, d'une part, d'annuler ce courrier en tant qu'il refuse d'abroger la décision du 19 janvier 2016, d'autre part, de condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices subis du fait de l'ordre de perquisition et du refus de l'abroger. Par un jugement du 19 novembre 2019, dont M. C... relève appel, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. M. C... a demandé au préfet du Loiret le 5 avril 2017 d'abroger l'ordre pris le 19 janvier 2016 de procéder à la perquisition de son domicile, laquelle est intervenue le même jour que l'arrêté préfectoral l'ordonnant. D'une part, à la date à laquelle le préfet a ainsi été saisi de cette demande d'abrogation, l'ordre de perquisition, exécuté, avait épuisé ses effets et la demande de M. C... ne pouvait alors avoir de portée que pour l'avenir. D'autre part, il n'est aucunement établi que la décision de perquisition serait devenue illégale postérieurement à son édiction. En conséquence, alors qu'aucun effet utile attaché à une éventuelle annulation du refus d'abrogation n'est identifié, la demande d'annulation de ce refus d'abrogation opposé par le préfet à M. C... était irrecevable dès lors qu'elle était dirigée contre une décision insusceptible de lui faire grief. M. C... n'est donc pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté cette demande pour ce motif.

3. En tout état de cause, l'autorité saisie par une personne intéressée d'une demande en ce sens, n'est tenue de procéder à l'abrogation d'une décision non réglementaire qui n'a pas créé de droits que si cette décision est devenue illégale à la suite de changements dans les circonstances de droit ou de fait intervenus postérieurement à son édiction. Or, en l'espèce, M. C... n'invoquant que des illégalités affectant depuis son origine l'ordre préfectoral de perquisition du 19 janvier 2016, sa demande d'annulation du refus d'abroger cette décision ne pouvait qu'être rejetée.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué en ce qui concerne les conclusions indemnitaires présentées par M. C... :

4. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que le préfet du Loiret n'étant pas tenu d'abroger son ordre de perquisition du 19 janvier 2016, les conclusions indemnitaires que M. C... présente en raison de l'illégalité alléguée de ce refus d'abrogation ne peuvent qu'être écartées.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, dans sa rédaction applicable issue de la loi du 20 novembre 2015 : " I. - Le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence peut, par une disposition expresse, conférer aux autorités administratives mentionnées à l'article 8 le pouvoir d'ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit (... ) lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. / La décision ordonnant une perquisition précise le lieu et le moment de la perquisition. Le procureur de la République territorialement compétent est informé sans délai de cette décision. La perquisition est conduite en présence d'un officier de police judiciaire territorialement compétent. Elle ne peut se dérouler qu'en présence de l'occupant ou, à défaut, de son représentant ou de deux témoins. (...) ".

6. M. C... soutient qu'il doit être indemnisé de l'illégalité fautive née de la décision préfectorale du 19 janvier 2016 décidant de perquisitionner son domicile. Il résulte de l'instruction que cet ordre de perquisition est intervenu sur le fondement de la disposition législative citée au point précédent après que le préfet du Loiret avait été informé, par les services de renseignement, de l'existence d'une main courante déposée le 11 janvier 2016 par un familier de M. C... faisant état d'insultes et menaces de mort proférées par ce dernier et du fait qu'il aurait indiqué qu'il " allait tout faire sauter dans la centrale ". Ce même document indiquait que M. C... figurait au fichier de traitement des antécédents judiciaires pour usage de stupéfiants, mise en danger de la vie d'autrui par violation manifestement délibérée d'obligations réglementaires de sécurité et qu'il avait déjà été l'objet d'une déclaration de main courante quelques années auparavant pour des faits d'insulte et de menace de mort. Or M. C... avait du fait de son emploi un accès régulier à des centres nucléaires de production d'électricité. Eu égard à ces éléments qui pouvaient caractériser l'existence d'un comportement constitutif d'une menace pour la sécurité et l'ordre publics, l'ordre de perquisition du domicile de M. C... donné le 19 janvier 2016 par le préfet du Loiret n'était pas entaché de l'erreur d'appréciation alléguée et n'est donc pas de nature à engager la responsabilité de l'Etat pour faute. A supposer que cette mesure de police administrative ait été insuffisamment motivée en fait, le caractère direct du lien de causalité entre l'illégalité commise et le préjudice allégué ne peut notamment être retenu dans le cas où la décision ordonnant la perquisition est seulement entachée d'une irrégularité formelle ou procédurale et que le juge considère, au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties devant lui et comme c'est le cas en l'espèce, que la décision ordonnant la perquisition aurait pu être légalement prise par l'autorité administrative au vu des éléments dont elle disposait à la date à laquelle la perquisition a été ordonnée.

7. En troisième lieu, si la responsabilité de l'Etat pour faute est seule susceptible d'être recherchée par les personnes concernées par une perquisition, la responsabilité de l'Etat à l'égard des tiers est engagée sans faute, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, en cas de dommages directement causés par des perquisitions ordonnées en application de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955. Doivent être regardés comme des tiers par rapport à la perquisition les personnes autres que la personne dont le comportement a justifié la perquisition ou que les personnes qui lui sont liées et qui étaient présentes dans le lieu visé par l'ordre de perquisition ou ont un rapport avec ce lieu.

8. M. C... soutient également que la responsabilité sans faute de l'Etat serait engagée à l'égard de son épouse et de sa fille du fait des conséquences de la perquisition pour ces dernières résultant de la perte de son emploi et de ses problèmes de santé ultérieurs. Cependant, d'une part, une telle demande qui concerne des tiers ne saurait avoir pour objet de permettre l'indemnisation de M. C.... Au surplus, ainsi que l'oppose le ministre de l'intérieur, il n'est pas établi qu'une réclamation indemnitaire préalable aurait été présentée par la conjointe de M. C... et par sa fille. Par suite, ces conclusions indemnitaires ne peuvent qu'être rejetées.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Sur les frais d'instance :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par M. C....

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise pour information au préfet du Loiret.

Délibéré après l'audience du 19 janvier 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. A..., président assesseur,

- Mme E..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 février 2021.

Le rapporteur,

C. A...

Le président,

L. Lainé

La greffière,

V. Desbouillons

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 20NT00195


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT00195
Date de la décision : 05/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : GAFSIA NAWEL

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-02-05;20nt00195 ?
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