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15/01/2021 | FRANCE | N°19NT03431

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 15 janvier 2021, 19NT03431


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. K... B..., M. F... B..., M. C... B... et Mme D... E... veuve B..., agissant en son nom personnel et pour le compte de son fils mineur, le jeune I... J... B..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises en poste à Dakar du 9 novembre 2017 rejetant la demande de visa de long séjour prése

ntée par M. F... B... et les trois décisions de ces mêmes autorités du 17 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. K... B..., M. F... B..., M. C... B... et Mme D... E... veuve B..., agissant en son nom personnel et pour le compte de son fils mineur, le jeune I... J... B..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises en poste à Dakar du 9 novembre 2017 rejetant la demande de visa de long séjour présentée par M. F... B... et les trois décisions de ces mêmes autorités du 17 avril 2018 rejetant les demandes de visa de long séjour présentées par M. C... B..., M. K... B... et le jeune I... J... B....

Par un jugement n° 1810061 du 13 février 2019, le tribunal administratif de Nantes a, après avoir constaté un non-lieu à statuer sur les conclusions de la demande dirigées contre le refus de visa opposé au jeune K... B..., annulé la décision contestée en tant qu'elle concerne le refus de visa opposé à M. I... J... B... et rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 21 août 2019, le 20 février 2020 et le 18 juin 2020, M. F... B..., M. C... B... et Mme D... E..., représentés par Me Pollono, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) avant dire droit, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle qui pourrait être la suivante : " L'article 4 de la directive 2003/86/CE relatif aux membres de la famille de réfugié pouvant bénéficier de la réunification familiale éclairé par l'arrêt du C-550/16 du 12.04.2018, relatif à la date à laquelle un Etat membre doit se placer pour apprécier l'âge s'oppose-t-il à une réglementation nationale qui prévoit que l'âge de l'enfant d'un réfugié s'apprécie à la date " à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite " (article L.752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) et à ce que " la demande de réunification familiale est initiée par la demande de visa mentionnée au troisième alinéa du II de l'article L. 752-1 " - soit lors du dépôt de la demande de visa et non à la date à laquelle la demande d'asile a été déposée- (article R. 752-1 du CESEDA) ' " ;

2°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 février 2019 en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande dirigées contre les refus de visa opposés à M. F... B... et M. C... B... ;

3°) d'annuler la décision contestée en tant qu'elle maintient les refus de visa opposés à M. F... B... et M. C... B... ;

4°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, de procéder au réexamen des demandes dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil d'une somme de 1 800 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- la composition de la formation de jugement ayant rendu le jugement attaqué est contraire aux stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le droit communautaire exige que l'âge de l'enfant auquel est ouvert le bénéfice de la réunification familiale doit s'apprécier non pas à la date de la demande de visa mais à celle de la demande d'asile de son parent ;

- les refus de visa méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que le principe de l'unité familiale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 janvier 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er juillet 2019.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bougrine,

- les observations de Me Pollono, représentant les requérants.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... veuve B..., ressortissante mauritanienne, est titulaire de la qualité de réfugiée reconnue par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 21 juillet 2015. En 2017, des demandes de visa de long séjour ont été présentées par les quatre plus jeunes de ses six enfants au titre de la réunification familiale, Ousmane, Amadou, Cheikh Oumar et Ibrahima J.... La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement confirmé les refus de visa opposés à ces demandes par les autorités consulaires françaises en poste à Dakar. Saisi d'un recours tendant à l'annulation de la décision implicite de la commission, le tribunal administratif de Nantes a, par un jugement du 13 février 2019, constaté un non-lieu à statuer sur les conclusions de la demande dirigées contre le refus de visa opposé au jeune K... B... et annulé la décision contestée en tant seulement qu'elle concerne le refus de visa opposé à M. I... J.... M. F... B..., M. C... B... et Mme D... E... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de leur demande.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. Les parents de M. F... B... et de M. C... B... ont fui la Mauritanie en 2005 afin de demander l'asile en France, laissant leurs six enfants au Sénégal. A la suite du décès de leur père survenu en juin 2006 en Mauritanie, la fratrie est retournée au Sénégal, séparée de sa mère, laquelle est restée en Mauritanie jusqu'à son entrée en France en juin 2012 où elle réside depuis lors et s'est vue reconnaître la qualité de réfugiée. Il ressort des pièces du dossier que, en ce qui concerne M. C... B..., ses deux petits frères vivant avec lui au sein de la même famille d'accueil au Sénégal, avaient, à la date de la décision contestée, vocation à rejoindre leur mère en France en leur qualité d'enfant mineur de réfugié. D'ailleurs, des visas de long séjour leur ont été, postérieurement à la décision en litige, délivrés au titre de la réunification familiale. M. F... B... a, quant à lui, été confié à une autre famille avec sa grande soeur et son grand frère, nés respectivement en 1987 et 1990. Il ressort des pièces médicales versées au dossier, notamment le résumé médical du 12 juillet 2019, qui, s'il est postérieur à la décision contestée, est de nature à éclairer la juridiction sur l'état de santé de l'intéressé à cette date, que M. F... B... souffre depuis 2009 d'une maladie auto-immune en phase active (DAS 28 de 4,60) pour lequel la première ligne de traitement a échoué et une biothérapie est indiquée. Ce même document fait état de deux autres facteurs de sévérité, à savoir une érosion radiographique et une séropositivité. Cette affection chronique implique par sa nature et son score d'activité une présence à ses côtés. Dans ces conditions, en confirmant les refus de visa opposés à M. F... B... et à M. C... B..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a, alors même que les intéressés étaient âgés de 26 et 23 ans à la date de la décision contestée, porté au droit de ces derniers au respect de leur vie privée et familiale ainsi qu'à celui de leur mère une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a pris sa décision, en méconnaissance des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne ni de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté le surplus de leur demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

5. Eu égard au motif d'annulation sur lequel le présent arrêt se fonde, son exécution implique nécessairement, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait ou de droit, la délivrance de visas de long séjour à M. F... B... et à M. C... B.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

6. Mme D... E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Pollono de la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

D E C I D E:

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 février 2019 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande dirigée contre la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France confirmant les refus de visa opposés à M. F... B... et M. C... B....

Article 2 : La décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est annulée en tant qu'elle maintient les refus de visa opposés à M. F... B... et M. C... B....

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, un visa de long séjour à M. F... B... et à M. C... B....

Article 4 : L'Etat versera à Me Pollono la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E... veuve B..., M. F... B..., M. C... B... et le ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 30 juin 2020, à laquelle siégeaient :

M. Pérez, président,

M. L'hirondel, premier conseiller,

Mme Bougrine, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 janvier 2021.

Le rapporteur,

K. Bougrine

Le président,

A. PEREZLe greffier,

A. BRISSET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT03431


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT03431
Date de la décision : 15/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: Mme Karima BOUGRINE
Rapporteur public ?: M. DERLANGE
Avocat(s) : CABINET POLLONO

Origine de la décision
Date de l'import : 27/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-01-15;19nt03431 ?
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