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18/12/2020 | FRANCE | N°19NT02733

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 18 décembre 2020, 19NT02733


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Plélan-le-Grand a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, de condamner conjointement et solidairement l'Etat, les sociétés Forma 6, Artélia Ville et Transport, Colas Centre Ouest, Keravis ERTP, Marc SA et Cabinet Bourgois à lui verser une somme de 521 261,58 euros TTC, assortie des intérêts et de leur capitalisation, d'autre part, de condamner conjointement et solidairement l'Etat, les sociétés Forma 6, Artélia Ville et Transport, Colas Centre Ouest, Keravis ERTP, Marc SA e

t Cabinet Bourgois au paiement d'une somme de 23 538,03 euros au titre du...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Plélan-le-Grand a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, de condamner conjointement et solidairement l'Etat, les sociétés Forma 6, Artélia Ville et Transport, Colas Centre Ouest, Keravis ERTP, Marc SA et Cabinet Bourgois à lui verser une somme de 521 261,58 euros TTC, assortie des intérêts et de leur capitalisation, d'autre part, de condamner conjointement et solidairement l'Etat, les sociétés Forma 6, Artélia Ville et Transport, Colas Centre Ouest, Keravis ERTP, Marc SA et Cabinet Bourgois au paiement d'une somme de 23 538,03 euros au titre du remboursement des frais d'expertise.

Par un jugement n° 1604621 du 14 mai 2019, le tribunal administratif de Rennes a condamné solidairement la société Colas Centre Ouest, la société Keravis ERTP, la société Artélia Ville et Transport, la société Forma 6 et l'Etat à verser à la commune de Plélan-le-Grand la somme de 392 267,77 euros TTC, majorée des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des préjudices subis en raison du désordre affectant la voirie (article 1er), a mis la somme totale de 23 538,03 euros TTC à la charge solidaire de la société Colas Centre Ouest, de la société Keravis ERTP, de la société Artélia Ville et Transport, de la société Forma 6 et de l'Etat au titre des frais d'expertise (article 2), a condamné la société Colas Centre Ouest à garantir la société Artélia Ville et Transport, la société Forma 6, la société Keravis ERTP et l'Etat à hauteur de 20 % des condamnations prononcées par les articles 1 et 2 (article 3), a condamné la société Artélia Ville et Transport à garantir la société Keravis ERTP, la société Colas Centre Ouest, la société Forma 6 et l'Etat à hauteur de 15 % des condamnations prononcées par les articles 1 et 2 (article 4), a condamné la société Forma 6 à garantir la société Keravis ERTP, la société Colas Centre Ouest, la société Artélia Ville et Transport et l'Etat à hauteur de 5 % de ces condamnations (article 5), a condamné la société Marc SA à garantir la société Keravis ERTP, la société Colas Centre Ouest, la société Artélia Ville et Transport et l'Etat à hauteur de 30 % de ces condamnations (article 6), a condamné la société Cabinet Bourgois à garantir la société Keravis ERTP, la société Colas Centre Ouest, la société Artélia Ville et Transport et l'Etat à hauteur de 20 % des condamnations (article 7), a condamné l'Etat à garantir la société Colas Centre Ouest, la société Keravis ERTP, la société Pérotin TP, la société Artélia Ville et Transport, la société Forma 6 à hauteur de 10 % (article 8), a rejeté le surplus des conclusions présentées par la commune de Plélan-le-Grand, la société Colas Centre Ouest, la société Keravis ERTP, la société Pérotin TP, la société Artélia Ville et Transport, la société Forma 6, la société Marc SA, le Cabinet Bourgois et l'Etat (article 9) et a mis à la charge solidaire de l'Etat, des sociétés Forma 6, Artélia Ville et Transport, Colas Centre Ouest, Marc SA et Cabinet Bourgois le versement à la commune de Plélan-le-Grand de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 10).

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 juillet 2019, la société Cabinet Bourgois, représentée par la SCP C..., Daugan, Quesnel, Demay, demande à la cour :

1°) à titre principal, d'une part, d'annuler l'article 7 de ce jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 14 mai 2019, lequel l'a condamnée à garantir la société Keravis ERTP, la société Colas Centre Ouest, la société Artélia Ville et Transport et l'Etat à hauteur de 20 % des condamnations prononcées aux articles 1er et 2 de ce jugement et, d'autre part, de rejeter les appels en garantie formés à son encontre en première instance ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement la commune de Plélan-le-Grand, l'Etat ainsi que les sociétés Marc SA, Forma 6, Artelia, Colas Centre Ouest, Keravis ERTP à la garantir de l'intégralité, ou à défaut de 91 %, des condamnations prononcées à son encontre ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Plélan-le-Grand ou de toute partie perdante la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- dès lors que l'action de la commune a été jugée prescrite à l'égard de la société Cabinet Bourgois, toutes autres demandes formées par les constructeurs de la phase II à l'encontre de cette société auraient dû également être regardées prescrites ;

- elle n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité ; en effet, les essais de contrôle de compactage contemporains de l'intervention de la société Cabinet Bourgois n'ont révélé aucun déficit de compactage ; et elle ne devait pas assurer la surveillance du compactage ; elle n'est pas mise en cause par l'expert ;

- les désordres étaient connus de la commune dans le délai de la garantie de parfait achèvement ;

- la société Marc SA qui n'a pas suffisamment contrôlé ses propres travaux doit la garantir de la condamnation prononcée à son encontre ;

- la commune avait connaissance des défauts d'exécution et son manque de diligence justifie qu'elle supporte plus de 5 % du prix des travaux de réparation ;

- les services de l'Etat ont manqué à leur devoir de conseil envers le maître de l'ouvrage, ont insuffisamment suivi et contrôlé les travaux et n'ont pas communiqué les documents d'information nécessaires aux différents entrepreneurs ;

- les sociétés Colas Centre Ouest et Keravis ERTP ont méconnu l'article 3 du CCTP qui leur imposait de procéder à une reconnaissance du support ; ces sociétés doivent la garantir des condamnations prononcées à son encontre.

Par un mémoire, enregistré le 5 novembre 2019, la société Marc SA, représentée par la SELARL Avolitis, conclut au rejet de la requête et demande à la cour, par la voie d'appels incidents et provoqués :

1°) à titre principal, d'une part, d'annuler l'article 6 du jugement du tribunal administratif de Rennes du 14 mai 2019, lequel l'a condamnée à garantir la société Keravis ERTP, la société Colas Centre Ouest, la société Artélia Ville et Transport et l'Etat à hauteur de 30 % des condamnations et, d'autre part, de rejeter les appels an garantie formés à son encontre en première instance ainsi que toutes conclusions nouvelles dirigées à son encontre ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner, d'une part, la commune de Plélan-le-Grand, les sociétés Cabinet Bourgois, Artelia, Forma 6, Colas Centre Ouest, Keravis ERTP, Perotin TP et l'Etat à la garantir de l'intégralité, ou à défaut de 70 %, des condamnations prononcées à son encontre et de réformer, d'autre part, le jugement en tant qu'il n'applique pas un abattement pour vétusté de 40% sur la valeur des travaux de reprise ;

3°) de mettre à la charge de ces mêmes personnes la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- l'action de la commune à son égard est prescrite ;

- l'action des autres parties aux travaux à son égard, qui se prescrit dans un délai de 10 ans à compter de la réception, est également prescrite ;

- la réception était sans réserve alors que les défauts de compactage étaient apparents ;

- alors que les tests d'autocontrôle n'étaient qu'une faculté, qu'elle en a réalisé suffisamment et que les résultats étaient satisfaisants, la responsabilité de la société Marc SA n'est en tout état de cause pas engagée ; le défaut de compactage n'est pas la cause des désordres ; ceux-ci résultent de la venue d'eau à l'intérieur du remblai, depuis 2006 ; ils proviennent ainsi des travaux sur la chaussée ;

- un abattement pour vétusté doit être appliqué ;

- les appels en garantie sont fondés dès lors que, d'une part, les sociétés Forma 6 et Artelia, maîtres d'oeuvre, ont commis une faute en ce qu'elles n'ont pas remis en cause les hypothèses d'études transmises par les services de l'Etat, non transposables, ni effectué une reconnaissance des remblaiements et réseaux souterrains, que, d'autre part, la commune de Plélan-le-Grand détient une part de responsabilité dans l'apparition des désordres, en ce qu'elle n'a pas assuré une coordination efficace des différents intervenants, et qu'enfin, la société Cabinet Bourgois a manqué à son obligation de surveillance des travaux et à son devoir de conseil lors de la réception.

Par des mémoires, enregistrés les 20 mars et 27 novembre 2020, la société Artelia, venant aux droits de la société Artelia Ville et Transport, représentée par la SCP Preel, Hecquet, Payet-Godel, demande à la cour, par la voie d'appels incidents et provoqués :

1°) à titre principal, d'une part, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 14 mai 2019 en tant qu'aux articles 1er, 2 et 4, il l'a condamnée à verser les sommes qu'il mentionne à la commune de Plélan-le-Grand solidairement avec d'autres personnes et l'a condamnée à garantir la société Keravis ERTP, la société Colas Centre Ouest, la société Forma 6 et l'Etat à hauteur de 15 % de ces condamnations et, d'autre part, de rejeter toute conclusions formulée à son encontre de cette commune, de l'Etat, et des sociétés Cabinet Bourgois, Marc SA, Forma 6, Colas Centre Ouest, Keravis ERTP, Perotin TP ;

2°) à titre subsidiaire, d'une part, de réformer ce jugement et de réduire le montant des condamnations ainsi que sa part de responsabilité, d'autre part, de condamner les sociétés Artelia, Marc SA, Cabinet Bourgois, Colas Centre Ouest, Keravis ERTP, et Forma 6 à la garantir des condamnations prononcées à son encontre ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la commune de Plélan-le-Grand, de l'Etat, des sociétés Cabinet Bourgois, Marc SA, Colas Centre Ouest, Keravis ERTP, et Forma 6 le versement de la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- l'action du maître d'ouvrage au titre de la phase I des travaux était prescrite ;

- le maître d'ouvrage est responsable à hauteur de plus de 5 % des dommages ;

- c'est à tort que l'expert lui a reproché de ne pas avoir dénoncé immédiatement le caractère inexact des informations relatives aux contraintes de trafic transmises par les services de l'Etat ; c'est à tort que l'expert a reproché au groupement de maîtrise d'oeuvre de ne pas avoir prescrit, pour les portions dites " phase 1 " et pour la moitié ouest de la " phase 2 ", la reconstruction complète de la chaussée ; elle n'a pas manqué à son obligation de surveillance des travaux ;

- l'Etat, en qualité de conducteur d'opérations, la société Marc SA, la société Cabinet Bourgois, la société Colas Centre Ouest, la société Keravis ERTP et la société Forma 6 doivent la garantir ;

- seule la proposition présentée par la société Keravis ERTP au titre de la " phase II ", pour un montant de 96 690,40 euros HT, correspond au coût effectif des travaux de réparation.

Par un mémoire, enregistré le 6 août 2020, la société Colas Centre Ouest, représentée par la société BG Associés, demande à la cour, par la voie d'appels incidents et provoqués :

1°) d'une part, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 14 mai 2019 en tant qu'aux articles 1er et 2, il l'a condamnée à verser les sommes qu'il mentionne à la commune de Plélan-le-Grand solidairement avec d'autres intervenants et, d'autre part, de rejeter toutes autres conclusions formulées à son encontre ;

2°) de mettre à la charge solidaire de la société Marc SA, Cabinet Bourgois, Artelia et Forma 6 et de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les appels en garantie contre la société Cabinet Bourgois ne sont pas prescrits, ces appels en garantie ayant été formés dans le délai de l'article 2224 du code civil, soit dans les 5 ans à compter de l'introduction de la requête en référé-provision, le 21 octobre 2016, par le maître d'ouvrage ;

- la société Cabinet Bourgois n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'a commis aucune faute ; cette société n'est en effet pas intervenue pour faire corriger les erreurs commises par la société Marc SA ;

- la société Colas Centre Ouest ne pouvait pas être condamnée solidairement avec d'autres constructeurs à réparer les dommages dès lors en particulier que le rapport d'expertise met en exergue la corrélation qui existe entre la dégradation de l'enrobé et la présence de réseaux de canalisations sur lesquels la société Marc SA est intervenue en amont et qu'aucune des demandes dirigées contre elle au titre des désordres relevant de la phase I du lot n° 1 du marché de travaux d'aménagement du centre-ville n'est fondée, ces désordres étant imputables à la société Keravis ERTP.

Par un mémoire, enregistré le 22 septembre 2020, la société Pérotin TP, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête en tant qu'elle est dirigée contre elle ;

2°) de réformer le jugement attaqué en tant qu'il a rejeté ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) de mettre à la charge de la société Cabinet Bourgois, le cas échéant solidairement avec toute autre partie perdante, le versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par des mémoires, enregistrés les 22 septembre et 27 novembre 2020, la société Keravis ERTP, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) à titre principal, de rejeter la requête en tant qu'elle est dirigée contre elle ;

2°) à titre subsidiaire, par la voie d'appels incidents et provoqués, de condamner les sociétés Colas Centre Ouest, Forma 6, Artélia, Cabinet Bourgois et Marc SA ainsi que l'Etat à la garantir des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre ;

3°) de mettre à la charge de la société Cabinet Bourgois, le cas échéant solidairement avec toute autre partie perdantes, le versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 24 novembre 2020, la commune de Plélan-le-Grand, représentée par la SELARL Lexcap, conclut au rejet de la requête ainsi que des appels provoqués dirigés contre elle et demande à la cour de mettre à la charge des sociétés Artelia, Colas centre ouest, Keravis ERTP, Marc SA et Cabinet Bourgois une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 25 novembre 2020, la société Forma 6, représentée par Me D..., conclut, à titre principal, au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Cabinet Bourgois d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et demande, à titre subsidiaire, par la voie d'appels incidents et provoqués, à être garantie de l'intégralité des condamnations à sa charge par les sociétés Artélia, Colas centre-ouest, Cabinet Bourgois et Marc SA ainsi que par l'Etat.

Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jouno, rapporteur,

- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., représentant la société Cabinet Bourgois, de Me B..., représentant la commune de Plélan-le-Grand, de Me F..., représentant la société Artélia et de Me E..., représentant la société Colas centre ouest.

Considérant ce qui suit :

1. En 1999, la commune de Plélan-le-Grand a entrepris de rénover le système d'assainissement collectif et de procéder à une opération d'aménagement de son centre-ville. Par un acte d'engagement du 13 juin 2000, cette commune a, en premier lieu, confié à la société Cabinet Bourgois un marché de maîtrise d'oeuvre portant sur la réalisation de l'assainissement et la restructuration des réseaux d'eaux usées et d'eaux pluviales du centre-ville. La réalisation des travaux de restructuration des réseaux sous maîtrise d'oeuvre de la société Cabinet Bourgois a été attribuée à un groupement conjoint d'entreprises composé de la société Marc SA et de la société SITPO par un acte d'engagement du 6 septembre 2000.

2. Par un acte d'engagement du 14 juin 2000, la commune de Plélan-le-Grand a, par ailleurs, confié la maîtrise d'oeuvre de l'opération d'aménagement du centre-ville (avenue de la Libération, rue nationale, place de la République, place de l'église, place de la mairie) à un groupement conjoint, lui-même composé notamment d'un groupement solidaire formé de la société Forma 6, mandataire, et de la société Sogreah-Praud, devenue la société Artélia Ville et Transport, aux droits de laquelle vient la société Artélia. Le lot n° 1 " Terrassement-VRD " de cette opération d'aménagement a été attribué à un groupement solidaire d'entreprises composé de la société Colas centre ouest, de la société Keravis ERTP et de la société Pérotin TP par un acte d'engagement du 5 mars 2001, lequel indiquait que l'Etat (direction départementale de l'équipement d'Ille-et-Vilaine) assumait le rôle de conducteur d'opération. Les travaux inclus dans le lot n° 1 ont été décomposés en quatre " phases " dont chacune correspondait à certaines rues. En particulier, la phase 2 avait trait à la rue nationale et à la place de la République.

3. Le 19 février 2002, le maître d'ouvrage a prononcé la réception des travaux du marché d'assainissement et de restructuration des réseaux du centre-ville confié à la société Marc SA avec effet au 28 août 2001 avec une réserve portant uniquement sur la reprise des plans conformes. Par une décision du 10 avril 2002, le maître d'ouvrage a par ailleurs prononcé la réception des travaux de la phase 1 du lot n° 1 du marché d'aménagement du centre-ville, confié au groupement composé notamment de la société Colas centre ouest, de la société Keravis ERTP et de la société Pérotin TP, tout en l'assortissant de réserves levées en définitive le 18 septembre 2003. Par une décision du 26 mai 2003, le maître d'ouvrage a prononcé la réception des travaux de la phase 2 du lot n° 1 précité, avec des réserves, levées le 1er juillet 2003.

4. Au cours d'une réunion d'expertise organisée le 25 juillet 2006 par une société missionnée par l'assureur de la société Colas Centre Ouest ont été constatés des désordres au niveau de la chaussée entre la place de l'église et la rue du marché, ce tronçon correspondant à la phase 2 du lot n° 1 de l'opération d'aménagement du centre-ville, sous la forme d'affaissements ponctuels avec des faïençages, notamment au niveau de la tranchée de canalisations d'eaux usées. Un expert missionné par l'assureur de la commune a estimé, dans une note du 13 avril 2012, que les désordres affectant la voirie, invoqués par la commune, semblaient résulter d'un défaut de compactage après le recouvrement des réseaux enfouis. En l'absence de solution amiable, la commune a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rennes d'une demande d'expertise portant sur les désordres affectant l'enrobé de la chaussée de son centre-ville le 2 octobre 2012 et un expert a été désigné par le président du tribunal le 10 décembre 2012. L'expert ainsi désigné a déposé son rapport définitif le 22 avril 2016. Le 21 octobre 2016, la commune de Plélan-le-Grand a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner les constructeurs intervenus au titre de ces différents marchés à l'indemniser des désordres constatés sur la chaussée de son centre-ville. Par un jugement du 14 mai 2019, le tribunal administratif a condamné solidairement la société Colas Centre Ouest, la société Keravis ERTP, la société Artélia Ville et Transport, la société Forma 6 et l'Etat à verser à la commune de Plélan-le-Grand la somme de 392 267,77 euros TTC, majorée des intérêts et de leur capitalisation, au titre des désordres décennaux résultant de l'exécution de la phase 2 du lot n° 1 du marché d'aménagement du centre-ville (article 1er) et a mis la somme totale de 23 538,03 euros TTC à la charge solidaire de la société Colas Centre Ouest, de la société Keravis ERTP, de la société Artélia Ville et Transport, de la société Forma 6 et de l'Etat au titre des frais d'expertise (article 2). Par ailleurs, à l'article 7 de ce jugement, il a condamné la société Cabinet Bourgois à garantir la société Keravis ERTP, la société Colas Centre Ouest, la société Artélia Ville et Transport et l'Etat à hauteur de 20 % des condamnations. La société Cabinet Bourgois relève appel de ce jugement dans cette dernière mesure, en demandant l'annulation de son article 7, tandis que les sociétés Marc SA, Artelia, Colas Centre Ouest et Pérotin TP présentent des conclusions d'appel incident ou provoqué.

Sur l'appel principal :

En ce qui concerne l'exception de prescription :

5. Les premiers juges ont retenu, au point 3 du jugement attaqué, que, s'agissant des travaux du marché d'assainissement et de restructuration des réseaux du centre-ville de la commune, dont la maîtrise d'oeuvre avait été confiée à la société Cabinet Bourgois, le délai de l'action en garantie décennale était expiré et ont, pour ce motif, rejeté l'action en garantie décennale de la commune dirigée contre cette société. Mais ils ont estimé que, à la date à laquelle la société Artélia, l'Etat, la société Keravis ERTP et la société Colas centre ouest avaient formé des conclusions d'appel en garantie contre la société Cabinet Bourgois, le délai de prescription quinquennale prévu par l'article 2224 du code civil n'était pas expiré et en ont déduit que l'exception de prescription opposée par la société Cabinet Bourgois à ces appels en garantie devait être écartée.

6. Devant la cour, la société Cabinet Bourgois persiste à soutenir que les appels en garantie formés à son encontre ne pouvaient qu'être rejetés en raison de l'expiration du délai d'action en garantie décennale. Toutefois, le recours d'un constructeur contre un autre constructeur a pour objet de déterminer la charge définitive de la dette que devra supporter chaque responsable. Or, d'une part, une telle action, qui est de nature quasi délictuelle si les constructeurs ne sont pas contractuellement liés, ne peut être fondée sur la garantie décennale de sorte que le point de départ du délai de cette action n'est pas la date de réception des ouvrages. D'autre part, le délai de la prescription d'une telle action et son point de départ ne relèvent pas des dispositions de l'article 1792-4-3 du code civil, lequel n'a vocation à s'appliquer qu'aux actions en responsabilité dirigées par le maître de l'ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants. Ainsi, le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève des dispositions de l'article 2224 du code civil et se prescrit donc par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

7. En l'espèce, la société Artélia, l'Etat, la société Keravis ERTP et la société Colas centre ouest ont reçu communication en octobre 2016 de la demande présentée à leur encontre par la commune devant le tribunal administratif de Rennes. Or ces défendeurs en première instance ont présenté des appels en garantie dirigés contre la société Cabinet Bourgois par des mémoires enregistrés au greffe du tribunal respectivement le 22 décembre 2016, le 12 janvier 2017, le 29 mars 2018 et le 30 mars 2018. A ces dates, le délai de prescription prévu par l'article 2224 du code civil n'était pas expiré. Par suite, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, l'exception de prescription opposée par la société Cabinet Bourgois aux appels en garantie dirigés contre elle ne peut qu'être écartée.

En ce qui concerne le surplus des moyens :

8. Le tribunal administratif a estimé, au point 15 du jugement attaqué, que les désordres à caractère décennal affectant la voirie, et qui procédaient de l'exécution de la phase 2 du lot n° 1 du marché portant sur l'aménagement du centre-ville, étaient imputables aux sociétés Artélia, Forma 6, Keravis ERTP, Colas centre ouest et à l'Etat. Après avoir retenu, au point 20 de ce jugement, qu'une part de responsabilité de 5 % incombait à la commune, en raison de sa faute consistant à n'avoir pas prévu de coordination opérationnelle des différents travaux, dans la survenue de ces désordres, le tribunal administratif a jugé, au point 31, que les sociétés Artélia, Forma 6, Keravis ERTP, Colas centre ouest et l'Etat devaient être condamnés à indemniser celle-ci à hauteur de 95 % des préjudices résultant des désordres. Statuant sur les appels en garantie formés par les intervenants ainsi condamnés, il a estimé, au point 49 de son jugement, que la société Cabinet Bourgois, chargée de la maîtrise d'oeuvre des travaux d'assainissement, était partiellement responsable des désordres ainsi indemnisés et devait dès lors garantir à hauteur de 20 % la société Keravis ERTP, la société Colas centre ouest, la société Artélia et l'Etat de la condamnation prononcée à leur encontre.

9. En premier lieu, à l'appui de son appel, la société Cabinet Bourgois soutient qu'en ne prenant pas la mesure de la complexité des travaux dont elle était le maître d'ouvrage et, en particulier, en sous-estimant la nécessité d'une forte coordination des travaux d'assainissement et de voirie, la commune a commis une faute justifiant qu'une part du prix des travaux de réparation des désordres supérieure à 5 % soit laissée à sa charge. Comme le souligne d'ailleurs le rapport d'expertise du 22 avril 2016, la commune de Plélan-le-Grand a, certes, fait exécuter simultanément les travaux d'assainissement et de voirie sans veiller à assurer une coordination opérationnelle suffisante entre eux, alors que ces travaux avaient été confiés à des entrepreneurs distincts sous des maîtrises d'oeuvre distinctes. Toutefois, au regard des actes et manquements imputables à l'ensemble des participants à cette opération, les premiers juges se sont livrés à une exacte appréciation de cette faute en l'évaluant à 5 % du prix des travaux de réparation des désordres.

10. En deuxième lieu, la société Cabinet Bourgois soutient qu'elle n'est aucunement responsable des désordres. Toutefois, d'une part, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du 22 avril 2016, que l'affaissement et le faïençage de la chaussée, au niveau de la rue nationale, correspond au tracé des canalisations d'assainissement et que les désordres indemnisés par les premiers juges, qui sont ceux à caractère décennal affectant la voirie dans la rue nationale et sur la place de la République, résultent, non seulement de vices propres au travaux de voirie, mais aussi de vices affectant le remblayage des tranchées préalablement réalisées dans le cadre du marché portant sur la réfection des réseaux d'assainissement collectif, et notamment d'un insuffisant compactage des remblais.

11. D'autre part, en vertu de l'article 59 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du marché relatif à l'assainissement, les tranchées nécessaires à la pose des canalisations devaient, une fois celles-ci posées, être remblayées. Les remblais devaient être de qualité suffisante et faire l'objet d'un compactage. Le compactage devait être contrôlé au moyen de tests réalisés tous les 70 mètres de tranchée environ, aux emplacements définis par le maître d'oeuvre, et le cas échéant, et sur simple demande de ce dernier, par un laboratoire agréé. Si un test faisait apparaître un compactage insuffisant, l'entrepreneur devait le reprendre à son compte sur le linéaire concerné, puis un nouveau test devait être effectué. Or il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que la société Marc SA, titulaire du marché d'assainissement, n'a réalisé que trois tests de compactage, rue nationale, alors que 25 tests, au moins, auraient été nécessaires pour répondre aux exigences précitées du marché. Par ailleurs, ces trois tests ont révélé un défaut de compactage, ce qui suggérait un défaut de compactage généralisé. Pour autant, la société Cabinet Bourgois, en sa qualité de maître d'oeuvre des travaux d'assainissement chargée notamment d'une mission de direction de l'exécution des contrats de travaux (DET) et d'assistance du maître d'ouvrage aux opérations de réception (AOR), n'a ni rappelé à la société Marc SA ses obligations contractuelles en matière de tests de compactage, ni ne lui a enjoint d'avoir recours à un laboratoire agréé afin de procéder aux tests qu'elle avait omis de réaliser. Elle n'a pas non plus alerté le maître d'ouvrage sur les insuffisances de compactage, empêchant ainsi ce dernier de coordonner de manière appropriée le marché portant sur la réfection des réseaux d'assainissement avec celui portant sur la réfection de la voirie. Enfin, elle a omis de donner au maître d'ouvrage les conseils éclairés lors de la réception de ces réseaux, ce qui aurait pu éviter des dommages ultérieurs sur la voirie. Par conséquent, les manquements de la société Cabinet Bourgois à ses obligations contractuelles ont participé, de manière décisive, à la survenue des désordres décennaux indemnisés par les premiers juges au titre de la phase 2 du lot n° 1 du marché portant sur l'aménagement du centre-ville. Dans ces conditions, c'est par une exacte appréciation des faits que, compte tenu de la part de responsabilité des autres intervenants à la construction, les premiers juges ont fixé la part de responsabilité de cette société à 20 % et l'ont condamnée à garantir, dans cette proportion, la société Keravis ERTP, la société Colas centre ouest, la société Artélia et l'Etat de leurs condamnations.

Sur les appels incidents :

En ce qui concerne l'appel incident de la société Marc SA :

12. A l'appui de son appel incident, la société Marc SA soutient qu'elle doit être garantie de l'intégralité des condamnations prononcées à son encontre notamment par la société Cabinet Bourgois. Toutefois, de telles conclusions ne peuvent, ainsi que l'ont déjà souligné les premiers juges au point 56 du jugement attaqué, qu'être rejetées dès lors que la société Marc SA a été, non pas condamnée à indemniser des désordres, mais seulement condamnée à garantir à hauteur de 30 % les intervenants condamnés.

En ce qui concerne l'appel incident de la société Artélia :

13. La société Artélia, en sa qualité de membre du groupement chargé de la maîtrise d'oeuvre de l'opération d'aménagement du centre-ville, était spécifiquement chargée de plus de 60 % de la mission DET et de l'intégralité de la mission d'ordonnancement, pilotage et coordination (OPC), s'agissant de ces travaux. Au point 43 du jugement attaqué, le tribunal administratif a estimé qu'elle était responsable des désordres à hauteur de 15 %. Par la voie de l'appel incident, elle demande en appel à être garantie de l'intégralité des condamnations prononcées à son encontre notamment par la société Cabinet Bourgois. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que si les désordres litigieux proviennent, pour partie, comme il vient d'être souligné au point 11 ci-dessus, d'un défaut de compactage des remblais imputable essentiellement à la société Marc SA et partiellement au maître d'oeuvre des travaux d'assainissement, la société Cabinet Bourgois, qui a notamment manqué aux obligations inhérentes à sa mission DET, ces désordres résultent également, en particulier, de manquements à leurs obligations contractuelles commis par les titulaires du lot n° 1 du marché portant sur les travaux d'aménagement du centre-ville et par les membres du groupement de maîtrise d'oeuvre chargés d'une mission de direction de l'exécution de ces travaux, lesquels ont respectivement, d'une part, omis de vérifier la qualité des remblais et l'effectivité de leur compactage et, d'autre part, insuffisamment suivi l'exécution des travaux. Dans ces conditions, les premiers juges n'ont pas sous-estimé la part de responsabilité de la société Cabinet Bourgois en la fixant à 20 % et en condamnant cette société à garantir la société Artélia de ses condamnations dans cette seule mesure.

En ce qui concerne les conclusions d'appel incident et provoqué de la société Pérotin TP :

14. La société Pérotin TP fait valoir qu'il y avait lieu, en première instance, de faire droit à ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et dirigées contre la commune ou toute autre partie perdante. Toutefois, dans les circonstances particulières de l'espèce, tel n'était, en tout état de cause, pas le cas.

Sur les appels provoqués :

15. La société Marc SA, la société Artélia et la société Colas centre ouest présentent des conclusions d'appel provoqué à l'appui desquelles elles soutiennent en particulier qu'elles ne sont pas responsables des désordres. Toutefois, l'appel principal de la société Cabinet Bourgois n'a pas eu pour effet d'aggraver leur situation. Par suite, ces conclusions d'appel provoqué, qui sont irrecevables, ne peuvent qu'être rejetées.

16. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que la société Cabinet Bourgois n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 7 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes l'a condamnée à garantir la société Keravis ERTP, la société Colas Centre Ouest, la société Artélia Ville et Transport et l'Etat à hauteur de 20 % des condamnations prononcées à leur encontre. Par suite, sa requête doit être rejetée. D'autre part, les appels incidents et provoqués présentés par les sociétés Marc SA, Artélia, Pérotin TP et Colas centre ouest doivent être rejetés.

Sur les frais liés au litige :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par la société Cabinet Bourgois. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au titre des frais non compris dans les dépens par les sociétés Marc SA, Artélia, Colas centre ouest, Pérotin TP, Forma 6 et Kéravis ERTP ainsi que par la commune de Plélan-le-Grand.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Cabinet Bourgois est rejetée.

Article 2 : Les conclusions d'appel incident et provoqué ainsi que les conclusions au titre des frais liés au litige, présentées par la commune de Plélan-le-Grand et par les sociétés Marc SA, Artélia, Colas centre ouest, Pérotin TP, Forma 6 et Keravis ERTP sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Plélan-le-Grand, à la société Cabinet Bourgois, à la société Colas centre ouest, à la société Artélia, à la société Marc SA, à la société Keravis ERTP, à la société Forma 6, à la société Pérotin TP et au ministre de la transition écologique.

Délibéré après l'audience du 1er décembre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- M. Jouno, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 décembre 2020.

Le rapporteur,

T. JounoLe président,

L. Lainé

Le greffier,

V. Desbouillons

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 19NT02733

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT02733
Date de la décision : 18/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Thurian JOUNO
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : SCP AVOLITIS

Origine de la décision
Date de l'import : 08/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-12-18;19nt02733 ?
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