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20/11/2020 | FRANCE | N°20NT01790

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 20 novembre 2020, 20NT01790


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler les deux arrêtés du 26 mai 2020 par lesquels le préfet du Calvados, d'une part, a fixé le pays vers lequel il doit être reconduit, et d'autre part, l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2000957 du 2 juin 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 juin 2020, M. A..., représenté par Me C...

, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 2 juin 2020 ;...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler les deux arrêtés du 26 mai 2020 par lesquels le préfet du Calvados, d'une part, a fixé le pays vers lequel il doit être reconduit, et d'autre part, l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2000957 du 2 juin 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 juin 2020, M. A..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 2 juin 2020 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 26 mai 2020 du préfet du Calvados ;

3°) d'enjoindre au préfet du Calvados, à titre principal, de lui délivrer un titre provisoire mention vie privée et familiale ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'irrégularité eu égard à l'erreur de droit entachant sa motivation et dès lors qu'il n'a pas été répondu à sa demande subsidiaire de renvoi en Grèce ou en Italie ;

- les décisions contestées sont entachées d'une erreur de fait au regard de sa situation matrimoniale ;

- la mesure d'assignation à résidence est disproportionnée au regard du but recherché et porte atteinte à sa liberté d'aller et venir ;

- la décision fixant le pays de renvoi méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 septembre 2020, le préfet du Calvados conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 juin 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... A..., né le 9 février 1997 à Diber (Albanie), de nationalité albanaise, a vu sa demande d'asile être rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 30 avril 2018, ainsi que sa demande de réexamen par une décision du 19 novembre 2018. Le tribunal correctionnel de Caen l'a par ailleurs condamné à une peine de 24 mois d'emprisonnement assortie d'une interdiction judiciaire du territoire français pour une durée de cinq ans, pour la commission de nombreux vols et tentatives de vol en réunion. Ce jugement a été confirmé par la cour d'appel de Caen le 4 septembre 2019. Par deux arrêtés du 26 mai 2020, le préfet du Calvados, d'une part, a fixé l'Albanie comme pays vers lequel M. A... serait reconduit en exécution de la mesure d'éloignement prononcée par le juge judiciaire, et, d'autre part, a prononcé une assignation à résidence pour quarante-cinq jours à Commes (Calvados). Par un jugement du 2 juin 2020, dont M. A... relève appel, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande d'annulation de ces deux arrêtés.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, le jugement attaqué, qui rejette les conclusions principales présentées par M. A..., ne statue toutefois pas sur ses conclusions subsidiaires, qu'il vise, tendant à obtenir son éloignement vers la Grèce ou l'Italie. Les premiers juges ont ainsi entaché leur jugement d'une omission à statuer. Par suite, le jugement doit être annulé en tant qu'il ne statue pas sur ces conclusions subsidiaires.

3. En second lieu, la circonstance que la motivation du jugement serait entachée d'une " erreur de droit ", en ce que le premier juge ne tire pas les conséquences de la réalité de sa situation matrimoniale pour l'analyse de la légalité de la décision portant fixation du pays de renvoi, est sans incidence sur la régularité du jugement car elle constitue une question de fond.

4. Par conséquent, d'une part, il y a lieu de statuer, sur les conclusions principales de la requête de M. A... devant la cour tendant à l'annulation des décisions portant fixation du pays de renvoi et assignation à résidence, par la voie de l'effet dévolutif. D'autre part, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions subsidiaires présentées par M. A... devant le tribunal administratif de Caen.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la décision portant fixation du pays de renvoi :

5. En premier lieu, la décision contestée fixe l'Albanie comme pays de renvoi de M. A... en exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Caen du 4 septembre 2019 qui confirme le jugement du tribunal correctionnel de Caen du 4 juin 2019 prononçant notamment une interdiction du territoire français à l'encontre de M. A... pour une durée de cinq ans. Si l'intéressé soutient que l'arrêté contesté lui opposerait à tort la circonstance qu'il n'est pas marié alors que le second arrêté préfectoral contesté l'assigne à résidence chez la mère de sa conjointe, l'existence d'une telle union ne ressort toutefois d'aucune pièce du dossier. Par suite, le moyen allégué tiré de l'erreur de fait dont serait entaché l'arrêté fixant l'Albanie comme pays de renvoi ne peut qu'être écarté.

6. En second lieu, aux termes de l'article L. 541-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La peine d'interdiction du territoire français susceptible d'être prononcée contre un étranger coupable d'un crime ou d'un délit est régie par les dispositions des articles 131-30, 131-30-1 et 131-30-2 du code pénal ci-après reproduites : / "Art. 131-30 du code pénal. / "Lorsqu'elle est prévue par la loi, la peine d'interdiction du territoire français peut être prononcée, à titre définitif ou pour une durée de dix ans au plus, à l'encontre de tout étranger coupable d'un crime ou d'un délit. / "L'interdiction du territoire entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à l'expiration de sa peine d'emprisonnement ou de réclusion. Lorsque l'interdiction du territoire accompagne une peine privative de liberté sans sursis, son application est suspendue pendant le délai d'exécution de la peine. Elle reprend, pour la durée fixée par la décision de condamnation, à compter du jour où la privation de liberté a pris fin. (...) ".

7. Aussi longtemps que la personne condamnée n'a pas obtenu de la juridiction qui a prononcé la condamnation pénale le relèvement de la peine d'interdiction du territoire, l'autorité administrative est tenue de pourvoir à son exécution, sous réserve que la décision fixant le pays de renvoi n'expose pas l'intéressé à être éloigné à destination d'un pays dans lequel sa vie ou sa liberté seraient menacées et où il serait exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. En l'espèce, les conséquences d'un éloignement du territoire français sur la vie privée et familiale de M. A... résultent de la décision judiciaire d'interdiction du territoire dont il a été l'objet et non de la décision en litige par laquelle le préfet du Calvados s'est borné à fixer le pays de renvoi en exécution de cette sanction pénale. Il s'ensuit que le requérant ne peut utilement faire valoir que l'arrêté en litige porterait une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle et familiale en France. Les moyens ainsi soulevés par M. A... sont inopérants.

En ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :

9. En premier lieu, pour les motifs exposés au point 5 M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'il serait marié. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de fait dont serait entaché l'arrêté préfectoral qui le présente comme célibataire ne peut qu'être écarté.

10. En second lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.-L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger (...) 3° Doit être reconduit à la frontière en exécution d'une interdiction judiciaire du territoire prise en application du deuxième alinéa de l'article 131-30 du code pénal (...) ". Il résulte de ces dispositions que le préfet peut prendre à l'encontre d'un étranger qui fait l'objet d'une décision d'éloignement et qui présente des garanties propres à prévenir le risque de soustraction à l'exécution de cette mesure d'éloignement, une mesure d'assignation à résidence.

11. Par l'arrêté contesté le préfet du Calvados assigne notamment M. A... à résidence à Commes pour une durée de quarante-cinq jours et l'oblige à se présenter à la gendarmerie de Port-en-Bessin-Huppain trois fois par semaine à 14H30. M. A... soutient, mais sans l'établir, qu'il ne disposerait pas d'un véhicule pour se rendre à la gendarmerie située dans la commune voisine de celle où il a déclaré être domicilié à sa sortie de prison, qu'il lui serait nécessaire de quitter temporairement le Calvados pour parfaire sa demande d'asile en France ou bien encore qu'il ne pourrait être remis aux autorités albanaises faute de documents d'identité. Ces circonstances ne sont pas de nature à établir que la décision contestée méconnait les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou porte à son exercice de la liberté de circulation, garantie par l'article 2 du quatrième protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une atteinte disproportionnée au regard du but poursuivi.

Sur les conclusions subsidiaires présentées en première instance :

12. Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile (...) 3° Ou, avec son accord, à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. (...) ".

13. M. A... soutient à titre subsidiaire qu'il aurait dû être éloigné vers la Grèce ou l'Italie. Toutefois s'il affirme qu'il aurait pu solliciter l'asile dans ces pays, et qu'il est volontaire pour y être conduit, il n'établit pas qu'il y serait légalement admissible. Par suite, la violation alléguée des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écartée.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé, d'une part, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 26 mai 2020 du préfet du Calvados et à demander, d'autre part, l'annulation de l'arrêté du 26 mai 2020 du préfet du Calvados fixant l'Albanie comme pays de destination en tant qu'il écarte son retour vers l'Italie ou la Grèce. Ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent, par voie de conséquence, être également rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 2 juin 2020 est annulé en tant qu'il n'a pas statué sur les conclusions présentées à titre subsidiaire devant lui par M. A....

Article 2 : Les conclusions subsidiaires présentées par M. A... devant le tribunal administratif de Caen ainsi que le surplus des conclusions de sa requête devant la cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié M. D... A... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise pour information au préfet du Calvados.

Délibéré après l'audience du 3 novembre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. B..., président assesseur,

- Mme E..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 novembre 2020.

Le rapporteur,

C. B...

Le président,

L. Lainé

La greffière,

V. Desbouillons

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT01790


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT01790
Date de la décision : 20/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : SCELLES

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-11-20;20nt01790 ?
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