Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A..., agissant en son nom personnel et en qualité de représentant légal de ses filles alléguées, F... et Hai Sylla, a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée) du 7 novembre 2017 refusant d'accorder des visas de long séjour à ses deux enfants.
Par un jugement n° 1809997 du 20 février 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 septembre et 3 octobre 2019, Mme C... A..., agissant en son nom personnel et en qualité de représentant légal de ses filles, F... et Hai Sylla, représentée par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1809997 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée) du 7 novembre 2017 refusant d'accorder des visas de long séjour à ses deux enfants ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur, à titre principal, de délivrer le visa sollicité dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de la demande de visa, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- le lien de filiation est établi par les actes d'état-civil produits et par la possession d'état ;
- la décision contestée méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision contestée méconnaît les articles 3-1, 9 et 10 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 septembre 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.
Par une décision n°2019/008979 du 11 juillet 2019, le président de la section du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Nantes, chargée d'examiner les demandes relatives aux affaires portées devant la cour, a accordé à Mme A... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les observations de Me E..., représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... A..., ressortissante guinéenne née le 14 juillet 1986 à Conakry (Guinée), est entrée en France le 19 juillet 2013 et a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 15 juillet 2016. Le 7 juillet 2016, Djalamba et Hai Sylla, respectivement nés le 2 février 2004 et le 7 mai 2010, ont déposé une demande de visa auprès de l'ambassade de France en Guinée en qualité de membres de la famille de Mme C... A.... Cette demande a été rejetée par une décision du 7 novembre 2017 de l'autorité consulaire française à Conakry. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé la décision de refus de visas par une décision implicite. Le 24 octobre 2018, Mme A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cette dernière décision. Par un jugement du 20 février 2019, le tribunal administratif a rejeté sa demande. Mme A... relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au litige : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger (...) qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. (....) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ; (...) II.- Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables (...) / Les membres de la famille d'un réfugié (...) sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié (...) En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil (...) peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. (...) ". L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit par ailleurs, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
3. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du mémoire en défense du ministre de l'intérieur en première instance, que pour refuser de délivrer le visa de long séjour sollicité par Djalamba et Hai Sylla, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré du caractère frauduleux des actes de naissance produits pour établir le lien de filiation des deux enfants.
4. L'acte de naissance n°262/2010 dressé le 16 mai 2010, relatif à la naissance d'Hai Sylla, présente de telles similitudes de forme avec l'acte de naissance n°77/2002 relatif à la naissance de F... Sylla, dressé 10 février 2004, qu'il est très probable que les deux actes ont été établis au même moment et non à six années d'intervalle. En outre, l'acte de naissance n° 262/2010 a été dressé le 16 mai 2010, alors qu'il s'agissait d'un dimanche, jour où les mairies sont en principe fermées en Guinée. Par ailleurs, la requérante a successivement produit à l'appui de ses demandes, outre les actes de naissance précités, des actes de naissance n°4672/2013 et n°4673/2013 établis sur la base de jugements supplétifs rendus le 11 novembre 2013, puis d'autres jugements supplétifs rendus le 12 décembre 2017, postérieurement à la décision de refus de visas des autorités consulaires. Si cette pluralité d'actes de naissance pour une même personne peut être de nature à remettre en cause leur authenticité, la requérante produit pour la première fois en appel deux nouveaux jugements du 25 septembre 2019 par lesquels le tribunal de première instance de Conakry II a ordonné l'annulation des actes de naissance dressées en 2004 et 2010 et des jugements supplétifs de 2017, pour ne maintenir que les jugements supplétifs du 11 novembre 2013. L'authenticité et la valeur probante de ce jugement ne sont pas contestées par le ministre. Dans ces conditions, Mme A... est fondée à soutenir que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a, par les motifs qu'elle a retenus, inexactement appliqué les dispositions précitées et à demander, pour ce motif, l'annulation de la décision contestée.
5. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à F... Sylla et Hai Sylla. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un tel visa aux intéressées dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin de prononcer une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
7. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me E... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 20 février 2019 et la décision, par laquelle la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a refusé d'accorder des visas de long séjour à F... Sylla et Hai Sylla, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à F... Sylla et Hai Sylla, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, un visa de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 200 euros à Me E... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 16 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme D..., présidente-assesseur,
- M. B..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 10 novembre 2020.
Le rapporteur,
A. B...Le président,
T. CELERIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT03662