Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Caen, d'une part, d'annuler l'arrêté du 15 mai 2019 par lequel le préfet de l'Orne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination, d'autre part, d'enjoindre au préfet de l'Orne de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de réexaminer sa demande.
Par un jugement n° 1901670 du 3 octobre 2019, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 novembre 2019, M. D..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen en date du 3 octobre 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 15 mai 2019 par lequel le préfet de l'Orne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Orne de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37.
Il soutient que :
- le signataire de la décision de refus de titre de séjour ne disposait pas d'une délégation de signature régulière ; cette décision est insuffisamment motivée dès lors qu'elle ne précise pas les raisons pour lesquelles il est estimé que la communauté de vie fait défaut ; dès lors qu'il n'est séparé de son épouse qu'en semaine et pour des motifs professionnels, la condition tenant à l'existence d'une communauté de vie avec elle, énoncée au 4° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est respectée ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français repose sur une décision de refus de titre illégale ;
- la décision fixant le pays de destination n'est pas motivée en fait.
Par un mémoire, enregistré le 24 mars 2020, le préfet de l'Orne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les observations de Mme D..., épouse du requérant.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant turc né le 1er janvier 1998, s'est marié le 21 mars 2018 à Istanbul (Turquie) avec une ressortissante française, Mme B.... Il est entré en France, le 21 juin 2018, sous couvert d'un visa de long séjour portant la mention " vie privée et familiale ", délivré de plein droit en qualité de conjoint de Français, en application de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lequel le dispensait, pendant un an, en vertu de l'article R. 311-3 du même code, de souscrire une demande de titre de séjour. Le 13 mai 2019, il a demandé la délivrance d'un premier titre de séjour. Par un arrêté du 15 mai 2019, le préfet de l'Orne, estimant que la communauté de vie avait cessé entre M. D... et son épouse, a refusé de lui délivrer ce titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel il devait être éloigné. M. D... en a demandé l'annulation au tribunal administratif de Caen. Par un jugement du 3 octobre 2019, dont il est relevé appel, cette demande a été rejetée.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) 4° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français (...) ".
3. Il ressort certes des pièces du dossier, notamment d'une attestation du 23 octobre 2019, ainsi que des déclarations spontanées du requérant devant les services préfectoraux telles que consignées dans l'arrêté contesté, qu'il a été hébergé d'octobre 2018 à juin 2019 à Alençon (Orne), chez son frère, alors que son épouse résidait à Verneuil-sur-Avre (Eure), soit à une distance de plus de 70 kilomètres. Toutefois, en novembre et décembre 2018, le requérant séjournait à Alençon pour des motifs professionnels dès lors qu'il y était employé, en qualité de cuisinier, dans un établissement de restauration rapide. A compter du 28 janvier 2019, il a été employé en qualité de préparateur de viande par une entreprise agroalimentaire établie à Pré-en-Pail (Mayenne), à environ 30 kilomètres d'Alençon et 100 kilomètres de Verneuil-sur-Avre. Il s'ensuit que, s'il est établi qu'à compter d'octobre 2018, le requérant ne vivait, au cours de ses semaines de travail, pas sous le même toit que son épouse, cette circonstance ne suffit pas, à elle seule, à établir que la communauté de vie entre eux était rompue.
4. Par ailleurs, le requérant a versé au dossier une dizaine de photographies de lui et de son épouse, d'un âge d'ailleurs analogue au sien, lesquelles les présentent dans des contextes divers et, pour certaines, sont prises par cette dernière sous forme de " selfies ". Ces photographies, bien que non datées, tendent à établir la réalité d'une vie de couple entre le requérant et son épouse. Cette vie de couple apparaît d'ailleurs confirmée par les explications données à l'audience par Mme D....
5. Enfin, par une attestation du 18 juillet 2019, l'épouse du requérant a affirmé que la communauté de vie entre eux n'avait pas cessé. Le père de celle-ci a pour sa part attesté que son gendre se déplaçait tous les week-ends, durant son séjour à Alençon, pour retrouver sa fille, à Verneuil-sur-Avre. L'employeur de l'épouse du requérant, à compter de juin 2019, également ami de la famille et bailleur du couple de juin à août 2019, a attesté que ce dernier y résidait conjointement durant la période du bail.
6. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'est pas établi que la communauté de vie aurait cessé entre le requérant et son épouse depuis leur mariage. Ainsi, le préfet a entaché d'une erreur d'appréciation l'arrêté contesté. Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. D... est donc fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur l'injonction :
7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".
8. Compte tenu de ce qui vient d'être mentionné, il y a lieu d'enjoindre au préfet de l'Orne de délivrer au requérant, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " en qualité de conjoint d'une ressortissante française. Il n'est pas nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. D..., qui n'a pas demandé le bénéfice de l'aide juridictionnelle, de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1901670 en date du 3 octobre 2019 du tribunal administratif de Caen et l'arrêté du 15 mai 2019 par lequel le préfet de l'Orne a refusé de délivrer à M. D... un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Orne de délivrer à M. D... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. D... la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus de la requête de M. D... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de l'Orne.
Délibéré après l'audience du 13 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 6 novembre 2020.
Le rapporteur,
T. A...Le président,
L. Lainé
Le greffier,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT04231
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