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23/10/2020 | FRANCE | N°20NT01060

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 23 octobre 2020, 20NT01060


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... J... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours dirigé contre la décision de l'autorité consulaire française à Pointe-Noire (République du Congo) du 20 février 2018 ayant refusé de délivrer des visas d'entrée et de long séjour aux jeunes C... et E... J... en qualité d'enfants mineurs d'un ressortissant français.

Par un jugement n° 1

906083 du 28 novembre 2019 le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

P...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... J... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours dirigé contre la décision de l'autorité consulaire française à Pointe-Noire (République du Congo) du 20 février 2018 ayant refusé de délivrer des visas d'entrée et de long séjour aux jeunes C... et E... J... en qualité d'enfants mineurs d'un ressortissant français.

Par un jugement n° 1906083 du 28 novembre 2019 le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 21 mars 2020 sous le n° 20NT01060 M. J..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 28 novembre 2019 ;

2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 800 euros au profit de son conseil, qui renoncera, dans cette hypothèse, à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, ou, si la demande d'aide juridictionnelle est rejetée, à son profit en application des dispositions de ce dernier article.

Il soutient que :

- le caractère succinct et stéréotypé de la motivation de la décision de refus de visa révèle un défaut d'examen de la commission ;

- en estimant que les documents d'état civil n'étaient pas authentiques la commission a entaché sa décision d'erreur d'appréciation ;

- les motifs de la décision, qui retiennent l'absence de déclaration de ses enfants à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sont entachés d'une erreur de fait dès lors qu'il a indiqué leur existence en 2014 ;

- la décision est entachée d'erreur de droit en ce qu'elle conditionne la délivrance d'un visa d'enfant I... au fait qu'il ait été déclaré à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 septembre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. J... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- et les observations de Me D..., représentant M. J....

Considérant ce qui suit :

1. M. J..., né en République du Congo le 18 octobre 1972, s'est vu reconnaitre la qualité de réfugié le 18 novembre 2011. Par décret du 17 février 2017, il a acquis la nationalité française. Le 14 décembre 2017, des demandes de visas en qualité d'enfants mineurs de ressortissant français ont été sollicités pour les enfants C... et E... J..., nés le 30 octobre 2009, auprès de l'autorité consulaire française à Pointe-Noire (République du Congo). Par une décision en date du 20 février 2018 l'autorité consulaire française à Pointe-Noire a refusé de délivrer les visas sollicités. Le recours formé contre cette décision devant la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France, réceptionné le 3 avril 2018, a été implicitement rejeté. M. J... a saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à l'annulation de cette décision. Par un jugement n° 1906083 du 28 novembre 2019, le tribunal a rejeté sa demande. M. J..., agissant au nom de ses fils allégués, demande à la cour d'annuler ce jugement et la décision en litige.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil " et aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.".

3. La force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

4. Pour rejeter les demandes de visas sollicités, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France s'est fondée, selon les motifs de sa décision implicite qui ont été communiqués ultérieurement au conseil du requérant sur sa demande, sur l'absence de valeur probante des actes de naissance des demandeurs, établis plus de cinq ans après l'évènement alors que M. J..., qui a été rejoint en France par son épouse, Mme G... H..., et les deux enfants du couple en 2011 et 2013, n'avait jamais déclaré à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides l'existence des demandeurs, qui seraient nés d'une relation extraconjugale.

5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. J... a déclaré à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides l'existence des enfants C... et E... en 2014 afin qu'ils soient reconnus par l'Office et a transmis à celui-ci la copie des actes de naissance, des souches des actes et les réquisitions aux fins de déclaration tardive de naissance. Par suite, le moyen tiré par M. J... de ce que les motifs de la décision de la commission comportent une erreur de fait doit être accueilli.

6. En second lieu, la circonstance que les actes de naissance aient été dressés plus de cinq ans après la naissance des enfants C... et E... ne suffit pas, à elle seule, à remettre en cause leur caractère probant. Il suit de là qu'en estimant que les actes de naissance des demandeurs et les circonstances de la demande de visas ne permettaient pas de tenir pour établis le lien de filiation avec M. J..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions citées au point 2.

7. Toutefois le ministre de l'intérieur demande dans ses écritures de première instance communiquées à M. J... et reprises en appel, que soient substitués aux motifs initialement opposés par la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France les motifs tirés de ce que M. J... n'a jamais déclaré l'existence des demandeurs de visa aussi bien lors de sa demande d'asile en 2010 que lors de sa demande de naturalisation en 2016 et que ces éléments ôtent toute valeur probante aux actes d'état civil présentés, établis plus de cinq ans après la naissance des enfants.

8. L'administration, en première instance comme en appel, peut fait valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

9. M. J... a entamé des démarches pour déclarer les enfants E... et C... auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides en 2014 ainsi qu'il a été dit au point 5 ci-dessus. Si le ministre de l'intérieur fait valoir que ces déclarations sont postérieures à l'obtention de la qualité de réfugié, ce seul élément ne permet pas de retirer aux actes d'état civil produits toute valeur probante. Par ailleurs la circonstance que M. J... ait dissimulé l'existence d'enfants résidant à l'étranger lors de ses demandes de naturalisation en 2013 et 2016 ne suffit pas non plus à remettre en cause l'authenticité des actes produits. Au demeurant, M. J... a fait valoir les raisons particulières, tirées notamment de l'absence de documents en sa possession justifiant de sa paternité à ces dates, pour lesquelles il n'a en l'espèce pas mentionné l'existence de ses enfants lors de ces démarches. Par suite, la demande de substitution de motifs sollicitée par le ministre ne peut être accueillie.

10. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de la requête, que M. J... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer aux jeunes C... et E... J... des visas d'entrée et de long séjour en France dans le délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

12. M. J... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocate peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me D... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1906083 du 28 novembre 2019 du tribunal administratif de Nantes et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visas d'entrée en France née le 3 juin 2018 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer aux enfants C... et E... J... des visas d'entrée et de long séjour en France dans un délai d'un mois à compter du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me D... la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... J... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 6 octobre 2020, où siégeaient :

- M. Couvert-Castéra, président de la cour,

- Mme B..., présidente assesseur,

- M. A...'hirondel, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 23 octobre 2020.

Le rapporteur,

H. B...Le président,

O. COUVERT-CASTÉRA

Le greffier,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT01060


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT01060
Date de la décision : 23/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. COUVERT-CASTERA
Rapporteur ?: Mme Hélène DOUET
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : PRONOST

Origine de la décision
Date de l'import : 06/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-10-23;20nt01060 ?
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