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01/10/2020 | FRANCE | N°20NT00232

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 01 octobre 2020, 20NT00232


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 4 avril 2019 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises en poste à Casablanca rejetant sa demande de visa de court séjour pour visite familiale.

Par un jugement n° 1906244 du 13 novembre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la co

ur :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 janvier 2020 et le 4 février 2020...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 4 avril 2019 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises en poste à Casablanca rejetant sa demande de visa de court séjour pour visite familiale.

Par un jugement n° 1906244 du 13 novembre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 janvier 2020 et le 4 février 2020, Mme D..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 novembre 2019 ;

2°) d'annuler la décision contestée ;

3°) d'enjoindre à l'administration de lui délivrer un visa de court séjour ou, à défaut, de réexaminer sa demande ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision contestée est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle dispose de ressources suffisantes pour garantir les frais de son séjour en France d'une durée d'un mois et qu'il n'y a pas lieu de mettre en cause l'attestation d'accueil remise à sa fille, laquelle dispose de revenus lui permettant de prendre en charge ces frais ;

- ses attaches familiales ainsi que ses intérêts matériels se situent au Maroc ;

- le refus de visa qui lui est opposé méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juin 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention d'application de l'accord de Schengen, signée le 19 juin 1990 ;

- le règlement (CE) n° 810/2009 du 13 juillet 2009 du Parlement européen et du Conseil établissant un code communautaire des visas ;

- le règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme E... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., ressortissante marocaine, née en 1946, a sollicité la délivrance d'un visa de court séjour afin de rendre visite à sa fille, de nationalité française, qui réside à Nice. Par une décision du 4 avril 2019, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a maintenu le refus opposé par les autorités consulaires françaises en poste à Casablanca à cette demande de visa. Mme D... relève appel du jugement du 13 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la commission.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article de l'article 10 de la convention d'application de l'accord de Schengen : " 1. Il est institué un visa uniforme valable pour le territoire de l'ensemble des Parties contractantes. Ce visa (...) peut être délivré pour un séjour de trois mois au maximum (...) ". En vertu de l'article 5 de cette convention, dont la teneur est reprise à l'article 6 du règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) et à l'article 32 du règlement (CE) n° 810/2009 du 13 juillet 2009 du Parlement européen et du Conseil établissant un code communautaire des visas, l'étranger qui souhaite faire un séjour n'excédant pas trois mois, doit disposer de moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour. D'autre part, les dispositions de l'article L. 211-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoient : " Tout étranger qui déclare vouloir séjourner en France pour une durée n'excédant pas trois mois dans le cadre d'une visite familiale ou privée doit présenter un justificatif d'hébergement. Ce justificatif prend la forme d'une attestation d'accueil signée par la personne qui se propose d'assurer le logement de l'étranger, ou son représentant légal, et validée par l'autorité administrative. Cette attestation d'accueil constitue le document prévu par la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 pour justifier les conditions de séjour dans le cas d'une visite familiale ou privée. ". Selon le second alinéa de l'article L. 211-4 du même code, l'attestation d'accueil " est accompagnée de l'engagement de l'hébergeant de prendre en charge, pendant toute la durée de validité du visa ou pendant une durée de trois mois à compter de l'entrée de l'étranger sur le territoire des Etats parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990, et au cas où l'étranger accueilli n'y pourvoirait pas, les frais de séjour en France de celui-ci, limités au montant des ressources exigées de la part de l'étranger pour son entrée sur le territoire en l'absence d'une attestation d'accueil. ". Aux termes de l'article R. 211-14 de ce code : " Le signataire de l'attestation d'accueil doit, pour en obtenir la validation par le maire, se présenter personnellement en mairie, muni d'un des documents mentionnés aux articles R. 211-12 et R. 211-13, d'un document attestant de sa qualité de propriétaire, de locataire ou d'occupant du logement dans lequel il se propose d'héberger le visiteur ainsi que de tout document permettant d'apprécier ses ressources et sa capacité d'héberger l'étranger accueilli dans un logement décent au sens des dispositions réglementaires en vigueur et dans des conditions normales d'occupation. ".

3. Il résulte des textes précités que l'obtention d'un visa de court séjour est subordonnée à la condition que le demandeur justifie à la fois de sa capacité à retourner dans son pays d'origine et de moyens de subsistance suffisants pendant son séjour. Il appartient au demandeur de visa dont les ressources personnelles ne lui assurent pas ces moyens d'apporter la preuve de ce que les ressources de la personne qui l'héberge et qui s'est engagée à prendre en charge ses frais de séjour au cas où il n'y pourvoirait pas sont suffisantes pour ce faire. Cette preuve peut résulter de la production d'une attestation d'accueil validée par l'autorité compétente et comportant l'engagement de l'hébergeant de prendre en charge les frais de séjour du demandeur, sauf pour l'administration à produire des éléments de nature à démontrer que l'hébergeant se trouverait dans l'incapacité d'assumer effectivement l'engagement qu'il a ainsi souscrit.

4. Il ressort des pièces du dossier que la requérante perçoit une pension mensuelle d'environ 700 dirhams seulement. Si elle justifie être titulaire d'un agrément d'exploitation de taxi et verse aux débats une convention de délégation d'exploitation de taxi, conclue avec son fils F..., aux termes de laquelle celui-ci s'engage à lui verser un loyer mensuel de l'ordre de 2 000 dirhams, la perception effective de ces loyers n'est pas établie. Toutefois, Mme D... justifie de disponibilités par la production d'extraits de compte bancaire faisant apparaître un solde créditeur s'élevant à 18 653 dirhams le 29 novembre 2018, 20 682 dirhams le 7 février 2019 et 25 681 dirhams le 8 février 2019. En se bornant à faire valoir que l'origine de ces sommes, qui proviennent de versements effectués le 29 novembre 2018, le 13 décembre 2018 et le 8 février 2019, n'est pas connue, le ministre de l'intérieur n'apporte aucun élément permettant de douter qu'elles seraient véritablement à la disposition de Mme D.... Au demeurant, la requérante démontre, par les pièces qu'elle verse aux débats, que son fils A... et son épouse, dont les revenus présentent un caractère stable et assuré, subviennent à ses besoins. Il se sont d'ailleurs engagés à prendre en charge les frais de séjour de leurs mère et belle-mère. En outre, la fille de Mme D... s'est engagée, par une attestation d'accueil, validée par le maire de Nice, à héberger sa mère et à prendre en charge les frais de séjour dans le cas où cette dernière n'y pourvoirait pas. Il ne ressort d'aucun élément du dossier que, ainsi que le prétend la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, cette attestation d'accueil n'aurait pas été validée dans les conditions requises par l'article R. 211-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et notamment pas que l'autorité compétente pour la valider n'aurait pas disposé des éléments lui permettant d'apprécier les ressources de la fille de Mme D.... Il n'est pas davantage établi que cette dernière, titulaire de la fonction publique percevant une rémunération annuelle supérieure à 20 000 euros, serait dans l'incapacité d'assumer effectivement l'engagement qu'elle a souscrit, alors même que ses deux enfants majeurs vivent à son domicile. Dans ces conditions, Mme D... justifie de ressources suffisantes pour financer un séjour de trente-deux jours durant lequel elle sera hébergée gracieusement. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a ainsi fait une inexacte application des dispositions précitées.

5. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme D..., âgée de 73 ans à la date de la décision contestée, n'a jamais quitté le Maroc où elle justifie être propriétaire de son habitation au sein de laquelle elle vit avec un de ses deux fils. Son autre fils réside également au Maroc. Elle souhaite rendre visite à sa fille de nationalité française. Contrairement aux allégations du ministre de l'intérieur, son lien de filiation avec la personne qui s'est engagée à l'accueillir en France est établi. Le motif tiré de l'existence d'un risque de détournement à des fins migratoires de l'objet du visa est, dès lors, entaché d'erreur manifeste.

6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard aux motifs sur lesquels il se fonde, que le ministre de l'intérieur délivre un visa de court séjour à Mme D.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'y procéder dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

8. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme D... de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 novembre 2019 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 4 avril 2019 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme D... un visa de court séjour, dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Mme D... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 8 septembre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président de chambre,

- Mme Douet, président assesseur,

- Mme E..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 1er octobre 2020.

Le rapporteur,

K. E...

Le président,

A. PEREZLe greffier,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT00232


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT00232
Date de la décision : 01/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: Mme Karima BOUGRINE
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : GAFSIA NAWEL

Origine de la décision
Date de l'import : 13/10/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-10-01;20nt00232 ?
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