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17/07/2020 | FRANCE | N°19NT01441

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 17 juillet 2020, 19NT01441


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... et Mme H... B... épouse E..., agissant tant en leur nom propre qu'au nom de D... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 26 janvier 2017 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé devant elle contre la décision du consul général de France à Dacca (Bengladesh) du 17 novembre 2016 rejetant les demandes de visas de long séjour présentées par Mme H... B... épouse E... et l'enf

ant D... B... en qualité de membres de famille d'un réfugié.

Par un jugement...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... et Mme H... B... épouse E..., agissant tant en leur nom propre qu'au nom de D... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 26 janvier 2017 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé devant elle contre la décision du consul général de France à Dacca (Bengladesh) du 17 novembre 2016 rejetant les demandes de visas de long séjour présentées par Mme H... B... épouse E... et l'enfant D... B... en qualité de membres de famille d'un réfugié.

Par un jugement n° 1703757 du 13 décembre 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France du 26 janvier 2017 en tant qu'elle refuse de délivrer un visa de long séjour à Mme B... épouse E....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 11 avril et le 5 décembre 2019, M. C... E... et Mme H... B... épouse E..., agissant tant en leur nom propre qu'au nom de l'enfant D... B..., représentés par Me G..., demandent à la cour :

* d'annuler ce jugement du 13 décembre 2018 en tant qu'il refuse de faire droit à la demande d'annulation du refus de visa opposé à la jeune D... B... ;

* d'annuler dans cette mesure la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France ;

* d'enjoindre au ministre de l'intérieur, à titre principal, de délivrer le visa sollicité ou subsidiairement, de procéder au réexamen de la demande, dans un délai de 15 jours à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 € par jour de retard ;

* de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros qui sera versée à leur conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991

Ils soutiennent que :

* une erreur d'appréciation a été commise quant à l'acte de naissance de la jeune D... ;

* la possession d'état doit être constatée ;

* les articles 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnus.

M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 février 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,

- et les observations de Me A..., substituant Me G..., représentant M. et Mme E....

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., ressortissant bangladais né le 12 août 1961, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié le 30 août 2006. Le 7 septembre 2009, Mme H... B... et Mme D... B..., présentées respectivement comme son épouse et sa fille, ont sollicité des visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié auprès des autorités consulaires françaises à Dacca (Bangladesh) qui leur ont opposé un refus par une décision du 8 novembre 2009. Par une décision du 15 mars 2010, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a également refusé de délivrer les visas sollicités. Par un jugement du 27 novembre 2012, le tribunal administratif de Nantes a rejeté le recours formé par M. E... contre cette décision. Le 2 février 2016, Mme H... B... épouse E... et Mme D... B... ont à nouveau sollicité auprès des autorités consulaires françaises à Dacca la délivrance de visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié, qui leur a été refusée par des décisions du 17 novembre 2016. Par une décision du 26 janvier 2017, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a, de nouveau, refusé de délivrer les visas sollicités. Par un jugement du 13 décembre 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision en litige en tant seulement qu'elle concerne le refus de visa opposé à Mme B... épouse E.... M. E... et Mme B... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté la demande d'annulation du refus de visa opposé à la jeune D... B....

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale :/ 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. (...) / II.- Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ". Aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

3. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

4. La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne admise à la qualité de réfugié ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa. Le motif tiré de la non-conformité au droit local des actes d'état civil produits, qui ne permet pas de déterminer l'identité des demandeurs de visa ni leur lien familial avec le réfugié statutaire, est également au nombre des motifs d'ordre public pouvant justifier un refus de visa au conjoint et aux enfants de ce réfugié.

5. Pour rejeter, par sa décision du 26 janvier 2017, la demande de visa de long séjour présentée en qualité de membre de famille de réfugié formée pour la jeune D... B..., la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur la circonstance que la production successive de deux actes de naissance comportant des numéros différents ne permet pas de leur donner un caractère probant et relève d'une intention frauduleuse.

6. Il ressort des pièces du dossier que si l'acte de naissance portant le n° 722 de la jeune D..., délivré le 17 octobre 2006, dans le cadre de la première demande de visa déposée le 23/7/2007 porte un numéro différent de celui figurant sur l'acte de naissance délivré le 24 décembre 2008 sous le n° 20059113806036578 dans le cadre de la demande de visa déposée le 7 mai 2014, cette différence de numérotation correspond à la mise en oeuvre par les autorités bangladaises des dispositions du " Birth and Death Registration Act " du 8 décembre 2004 entré en vigueur, le 3 juillet 2006. En l'espèce, le ministre ne remet pas en cause l'authenticité et la validité de ce dernier acte de naissance. Il ne conteste pas davantage l'exactitude de l'extrait de l'état civil bangladais accessible en ligne (" Birth Registration Information System ", BRIS), versé aux débat par les requérants, reconnaissant que la jeune D... est bien leur fille et qui comporte le même numéro que celui figurant sur l'acte de naissance délivré le 24 décembre 2008. Ce numéro figure en outre sur le passeport délivré pour l'enfant le 12 mars 2014.

7. Ainsi, il ressort du rapprochement de ces actes qu'ils comportent des mentions strictement identiques s'agissant de l'identité des deux parents, de la date et du lieu de naissance de D.... En outre, ces indications correspondent aux déclarations de M. E... devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides lors du dépôt de sa demande de protection internationale.

8. Dans ces conditions, les requérants sont fondés à soutenir que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions mentionnées ci-dessus en estimant que l'identité et le lien de filiation entre l'enfant D... B..., M. E... et Mme B... n'étaient pas établis.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. E... et Mme B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande en tant qu'elle concernait le refus de visa opposé à D....

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que la demanderesse de visa soit munie du visa de long séjour sollicité. Il y a lieu par suite d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer à la jeune D... B... un visa de long séjour, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

11. M. E... et Mme B... ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, Me G..., avocate des requérants, peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cette dernière d'une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 décembre 2018 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande d'annulation de la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France du 26 janvier 2017 en ce qu'elle rejette la demande de visa de long séjour de D... B....

Article 2 : La décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 26 janvier 2017 est annulée en tant qu'elle rejette la demande de délivrance d'un visa de long séjour à D... B....

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à D... Begun un visa d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me G... une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E..., à Mme H... B... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 30 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président de chambre,

- Mme F..., président-assesseur,

- Mme Bougrine, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 17 juillet 2020.

Le rapporteur,

C. F...

Le président,

A. PEREZ

Le greffier,

A. BRISSET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT01441


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT01441
Date de la décision : 17/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: Mme Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. DERLANGE
Avocat(s) : CABINET POLLONO

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-07-17;19nt01441 ?
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