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17/07/2020 | FRANCE | N°18NT01397

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 17 juillet 2020, 18NT01397


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme SMA a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner solidairement les sociétés Sogea Atlantique BTP, AIA Architecte, AIA Ingénierie, Socotec et Partner Engineerig à lui verser une somme de 611 799, 29 euros avec intérêts.

Par un jugement n° 1504998 du 7 février 2018, le tribunal administratif de Nantes a, en premier lieu, condamné solidairement les sociétés AIA Architecte, AIA Ingénierie, Socotec et Soega Atlantique BTP à verser à la société SMA les sommes

de 611 799, 29 euros, avec intérêts à compter du 12 juin 2015, et 35 024, 14 euros, en...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme SMA a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner solidairement les sociétés Sogea Atlantique BTP, AIA Architecte, AIA Ingénierie, Socotec et Partner Engineerig à lui verser une somme de 611 799, 29 euros avec intérêts.

Par un jugement n° 1504998 du 7 février 2018, le tribunal administratif de Nantes a, en premier lieu, condamné solidairement les sociétés AIA Architecte, AIA Ingénierie, Socotec et Soega Atlantique BTP à verser à la société SMA les sommes de 611 799, 29 euros, avec intérêts à compter du 12 juin 2015, et 35 024, 14 euros, en deuxième lieu, condamné les sociétés AIA Architecte, AIA Ingénierie, Sogea Atlantique BTP et Partner Engineering à garantir la société Socotec à hauteur respectivement de 25 %, 10 %, 10 % et 55 % des condamnations prononcées à son encontre et en dernier lieu, condamné les sociétés Sogea Atlantique BTP et Partner Engineering à garantir les sociétés AIA Architecte et AIA Ingénierie à hauteur respectivement de 10 % et de 55 % des condamnations prononcées à leur encontre.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 avril 2018, la société Partner Engineering, représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 1504998 du tribunal administratif de Nantes du 7 février 2018 en tant qu'il l'a condamnée à garantir la société Socotec et les sociétés AIA Architecte et AIA Ingénierie à hauteur de 55 % des condamnations prononcées à leur encontre ;

2°) de rejeter toute demande dirigée contre elle ;

3°) de mettre à la charge solidaire des sociétés AIA Architecte, AIA Ingénierie, Socotec, Sogea Atlantique BTP, et SMA (anciennement SAGENA) une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le désordre en cause ne présente pas un caractère décennal ; la chute d'une seule ventelle, résultant probablement d'un acte de vandalisme, ne rend pas l'ouvrage impropre à sa destination ; les autres ventelles étaient solides, le choix fait par la collectivité de les déposer étant motivé par des travaux réalisés à proximité ; l'ouvrage a pu être parfaitement sécurisé par la mise en oeuvre d'une structure pare-gravats ;

- les éventuels défauts affectant la pose des ventelles ont été couverts par la réception sans réserve de l'ouvrage ;

- aucune faute caractérisée n'est établie pour engager sa responsabilité ; il n'est pas établi une quelconque défaillance du matériau ou de la qualité des fabrications.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 6 juillet 2018 et le 10 avril 2019, la SAS Sogea Atlantique BTP, représentée par Me F..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1504998 du tribunal administratif de Nantes du 7 février 2018 ;

2°) à titre principal, de rejeter toute demande ou conclusion dirigée contre elle ;

3°) à titre subsidiaire, de limiter sa responsabilité à 5 % et compte tenu du versement spontané de 32 200 euros à la SAGENA, devenue société SMA, de rejeter les demandes de la société SMA dirigées contre elle ;

4°) de laisser les dépens à la charge de la société SMA ;

5°) de mettre à la charge de la société SMA, ou de toute autre partie perdante, la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa responsabilité ne saurait être engagée ; les désordres affectent exclusivement les ouvrages réalisés par la société Partner Engineering ;

- sa responsabilité, retenue par l'expert, ne peut être engagée du seul fait qu'elle a signé le procès-verbal de levée des réserves du 3 mai 2006 sans s'assurer de la parfaite levée des réserves ; un tel reproche n'est pertinent qu'à l'encontre du contrôleur technique ;

- à titre subsidiaire, sa part de responsabilité dans la survenance des désordres ne peut excéder le taux de 5 % évalué par l'expert et sa quote-part dans l'indemnisation ne peut donc excéder 32 618,56 euros ;

- en outre, le tribunal n'a pas tenu compte du règlement spontané de 32 200 euros qu'elle a effectué au bénéfice de la société SAGENA, devenue société SMA ;

- les frais d'expertise doivent être laissés à la charge de la société SMA, puisque la mesure d'expertise a dû être sollicitée par le maître d'ouvrage en raison du refus initial de la société SAGENA de prendre en charge les travaux de reprise.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 octobre 2018, les SAS AIA Architecte et SAS AIA Ingénierie, représentées par Me A..., demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1504998 du tribunal administratif de Nantes du 7 février 2018 ;

2°) par l'effet dévolutif de l'appel, à titre principal, de rejeter les demandes de la société SMA et de condamner la société SMA à restituer l'ensemble des sommes versées en exécution des décisions prises en référé et du jugement du tribunal administratif de Nantes ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner la société Partner Engineering, la SAS Sogea Atlantique BTP et la société SOCOTEC à les garantir pour une très grande part ;

4°) de mettre à la charge de la société SMA une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- les conditions d'engagement de la responsabilité décennale des constructeurs ne sont pas remplies :

o le désordre ne porte pas atteinte à la solidité de l'ouvrage ; les ventelles ne sont que des éléments qui habillent la façade et ne sont pas constitutifs de l'ouvrage ; le caractère dissociable des ventelles est établi par les travaux de dépose ; la chute d'une ventelle sur mille ne compromet pas la solidité de l'ouvrage ;

o le désordre ne porte pas atteinte à la destination de l'ouvrage ; le démontage et le remplacement de l'ensemble des ventelles procèdent de la seule initiative du maître d'ouvrage, pour des motifs incertains ; le désordre allégué en raison du risque de danger ne présente qu'un caractère éventuel et douteux ; la gravité du dommage n'est donc pas caractérisée ;

- à supposer que d'autres intervenants, dont elles-mêmes, ont pu commettre des manquements, c'est à la société Partner Engineering qu'il convient d'imputer une part de responsabilité très majoritaire, de l'ordre de 80 %.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 2 octobre 2018 et 3 juin 2019, la société SMA, représentée par Me E..., demande à la cour :

1°) à titre principal, de rejeter la requête de la société Partner Engineering et les conclusions de la SAS Sogea Atlantique BTP, et de confirmer le jugement n° 1504998 du tribunal administratif de Nantes du 7 février 2018 ;

2°) de mettre les dépens à la charge solidaire de la SAS Sogea Atlantique BTP, de la société AIA Architectes, de la société AIA Ingénierie, de la société SOCOTEC et de la société Partner Engineering ;

3°) de mettre à la charge de la SAS Sogea Atlantique BTP, de la société AIA Architectes, de la société AIA Ingénierie, de la société SOCOTEC et de la société Partner Engineering une somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et une somme de 3 000 euros en application de ces mêmes dispositions au titre de l'instance devant le tribunal administratif de Nantes ;

4°) à titre subsidiaire de condamner la société Partner Engineering à lui verser :

- la somme de 611 799,29 euros avec intérêts à compter de la requête devant le tribunal administratif ;

- la somme de 35 024,14 euros au titre des frais d'expertise ;

- la somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions de l'expert ne peuvent que permettre de confirmer le jugement du tribunal administratif de Nantes ;

o l'expert a relevé de nombreux vices affectant les ventelles et des défauts dans leur mise en oeuvre ne permettant pas de confirmer leur pérennité, même s'il n'a pas été possible d'expliquer la cause de la chute d'une ventelle ; l'expert a préconisé la dépose de l'ensemble des ventelles et leur remplacement intégral ;

o le coût des travaux de remplacement des ventelles a été estimé sur la solution la moins onéreuse présentée par la commune d'Angers ;

o les désordres affectant les ventelles sont de nature décennale puisqu'ils portent atteinte à la solidité de l'ouvrage en raison de la chute d'éléments constitutifs et rendent l'immeuble impropre à sa destination en raison du risque pour la sécurité des personnes ; aucune partie ne conteste plus les conditions de la réception et le caractère caché des désordres au moment de celle-ci ;

o les fautes commises par la société Partner Engineering sont incontestablement à l'origine directe du dommage ; elle doit donc être condamnée à garantir les autres constructeurs ;

- à titre subsidiaire, en cas d'infirmation du jugement, elle rechercherait la responsabilité délictuelle de la société Partner Engineering, intervenue comme sous-traitant de la SAS Sogea Atlantique BTP.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 octobre 2018, la SA SOCOTEC France et la SAS SOCOTEC Construction, représentées par Me B..., demandent à la cour :

1°) de rejeter la requête de la société Partner Engineering ;

2°) de réformer le jugement n° 1504998 du tribunal administratif de Nantes du 7 février 2018 en tant qu'il a condamné la société SOCOTEC ;

3°) de rejeter toute demande dirigée contre la société SOCOTEC ;

4°) à titre subsidiaire, de confirmer le jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 février 2018 en tant qu'il a condamné la société AIA Ingénierie, la société AIA Architecte, la SAS Sogea Atlantique BTP et la société Partner Engineering à la garantir intégralement des condamnations prononcées à leur encontre ;

5°) de mettre à la charge de la société Partner Engineering la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la faute de la société Partner Engineering à l'origine des désordres survenus sur les ventelles habillant les façades du parking Molière est bien établie ;

- le contrôleur technique doit être mis hors de cause puisqu'il a à plusieurs reprises alerté des malfaçons et non-conformité de pose des ventelles ; il ne lui appartenait pas de s'assurer que les constructeurs aient suivi ses avis ; le fait que ses avis n'ont pas été suivis constitue une cause exonératoire de sa responsabilité ;

- si l'expert judiciaire a proposé de lui attribuer une part de responsabilité de 5 %, la procédure d'Appréciation Technique d'Expérimentation (Atex) n'était pas nécessaire puisqu'une telle procédure a pour but de valider la conception d'un procédé alors que la conception du système de ventelles n'est pas remise en cause ;

- en tout hypothèse, le jugement devra être confirmé en tant qu'il lui a accordé un recours intégral contre la société AIA Architecte, la société AIA Ingénierie, la SAS Sogea Atlantique BTP et la société Partner Engineering.

Vu le courrier du 29 mars 2019 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les informant de la date ou de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et précisant la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.

L'instruction a été close au 11 juin 2019, date d'émission d'une ordonnance prise en application des dispositions combinées des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le décret n° 99-443 du 28 mai 1999 relatif au cahier des clauses techniques générales applicables aux marchés publics de contrôle technique ;

- le décret n° 2001-210 du 7 mars 2001 portant code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme G..., première conseillère,

- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,

- les observations de Me E..., représentant la société SMA, et de Me C..., représentant la SAS Socotec Construction et la SA Socotec France.

Considérant ce qui suit :

1. La société d'aménagement et de rénovation d'Angers (SARA) a assuré, pour le compte de la commune d'Angers (Maine-et-Loire), la maîtrise d'ouvrage pour la construction d'un parking public, dit " Molière ", de cinq étages situé rue Thiers. Une mission de maitrise d'oeuvre complète a été confiée à la société AIA Architecte, et à la SA CERA, devenue ensuite société AIA Ingénierie, bureau d'études techniques. La mission de contrôle technique a été confiée à la société SOCOTEC. Le marché public a été divisé en plusieurs lots, dont le lot n° 1 " gros-oeuvre " a été attribué à la SAS Sogea Atlantique BTP. Les travaux de construction du parking ont débuté le 8 décembre 2003. Par contrat du 26 janvier 2004, la SAS Sogea Atlantique BTP a sous-traité la fabrication et la pose de ventelles destinées à recouvrir les façades du parking à la société Partner Engineering, société ayant pour activité la fabrication de produits de décor en mortier destinés au domaine de la construction. Par une décision du 13 juillet 2005, la personne responsable du marché a prononcé la réception partielle concernant les ventelles en façade avec réserves du lot n° 1 " gros oeuvre " et effet à compter du 14 juin 2005, sous réserve qu'il soit remédié avant le 31 juillet 2005 aux malfaçons relevées lors des opérations préalables à la réception le 14 juin 2005. Par une décision du 3 mai 2006, la SARA a prononcé la réception sans réserve des ventelles en façade avec effet au 14 juin 2005, à la suite d'un procès-verbal de levée des réserves du 1er septembre 2005.

2. Le 8 juillet 2008, la commune d'Angers a déclaré auprès de son assureur dommages-ouvrage, la compagnie SAGENA, un sinistre survenu le 3 juillet précédent, consistant en la chute d'une ventelle du parking " Molière ". Avant d'accepter ultérieurement d'indemniser la commune à hauteur de 652 371,28 euros, la SAGENA a saisi le tribunal de grande instance d'Angers d'une demande tendant à la désignation d'un expert, demande à laquelle il a été fait droit par une ordonnance de ce tribunal du 20 janvier 2009. L'expert désigné par le tribunal de grande instance a rendu son rapport le 14 septembre 2010. Subrogée dans les droits de la commune d'Angers, la société SAGENA a saisi, le 18 juin 2014, le tribunal administratif de Nantes d'une requête tendant à la condamnation solidaire de la société AIA Architecte, la société AIA Ingénierie, la société Socotec, la société Sogea Atlantique BTP et la société Partner Engineering à lui verser une provision d'un montant de 611 799,29 euros. Cette demande a été rejetée par une ordonnance du tribunal administratif de Nantes du 4 octobre 2016. Par un arrêt n° 16NT03461 du 10 mai 2017, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nantes du 4 octobre 2016 et condamné solidairement les sociétés AIA Architectes, AIA Ingénierie, Sogea Atlantique BTP et Socotec à verser à la société SMA, venant aux droits de la société SAGENA, une provision de 611 799,29 euros. Par ce même arrêt, la cour administrative d'appel a également condamné les sociétés AIA Architectes, AIA Ingénierie et Sogea Atlantique BTP à garantir la société SOCOTEC à hauteur de 45 % des condamnations prononcées à son encontre et la société Partner Engineering à garantir la société Socotec à hauteur de 50 % des condamnations prononcées à son encontre.

3. La société SMA a saisi, en juin 2015, le tribunal administratif de Nantes d'une requête tendant à la condamnation solidaire des sociétés Sogea Atlantique BTP, AIA Architecte, AIA Ingénierie, Socotec et Partner Engineering à lui verser une somme de 611 799,29 euros assortie des intérêts légaux à compter de la date d'enregistrement de la requête. Par un jugement n° 1504998 du 7 février 2018, ce tribunal a condamné solidairement les sociétés AIA Architecte, AIA Ingenierie, Socotec et Sogea Atlantique BTP à verser à la société SMA la somme de 611 799,29 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 juin 2015 jusqu'au versement de la provision effective allouée par la cour administrative d'appel de Nantes, ainsi que la somme de 35 024,14 euros. Par ce même jugement, le tribunal administratif de Nantes a condamné les sociétés AIA Architecte, AIA Ingénierie, Sogea Atlantique BTP et Partner Engineering à garantir la société Socotec à hauteur respectivement de 25 %, 10 %,

10 % et 55 % des condamnations prononcées à son encontre et les sociétés Sogea Atlantique BTP et Partner Engineering à garantir les sociétés AIA Architecte et AIA Ingénierie à hauteur respectivement de 10 % et 55 % de l'ensemble des condamnations prononcées à leur encontre. La société Partner Engineering relève appel de ce jugement en tant qu'il l'a condamnée à garantir les sociétés Socotec, AIA Architecte et AIA Ingénierie à hauteur de 55 %. Par la voie de l'appel incident, la SAS Sogea Atlantique BTP demande l'annulation du jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 février 2018 et le rejet des demandes dirigées contre elle. Au terme de conclusions d'appel incident, les sociétés AIA Architectes et AIA Ingénierie demandent également l'annulation du jugement du tribunal administratif de Nantes et, à titre principal, le rejet de toutes les demandes dirigées contre elles. A titre subsidiaire, elles demandent la condamnation des sociétés Partner Engineering, Sogea Atlantique BTP et Socotec à les garantir à hauteur au moins de 80 % des condamnations qui seraient prononcées à leur encontre. Enfin, par la voie de l'appel incident, la SAS SOCOTEC Construction, venant aux droits de la SA SOCOTEC France, et cette dernière demandent la réformation du jugement du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a condamné la société SOCOTEC, le rejet de toute demande à leur encontre, ainsi que, subsidiairement, la confirmation du jugement en tant qu'il a condamné les sociétés AIA Architecte, AIA Ingénierie, Sogea Atlantique BTP et Partner Engineering à la garantir intégralement de toute condamnation.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité décennale des constructeurs :

S'agissant de la nature des désordres :

4. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans.

5. Il résulte de l'instruction et notamment des constatations menées par l'expert nommé par le tribunal de grande instance d'Angers, lequel s'est également appuyé sur des tests de résistance effectués par le Groupe Ingénierie Europe CEBTP et des essais en laboratoire, que les ventelles en composite ciment verre (CCV) installées sur les façades du parking " Molière " par la société Partner Engineering présentaient des différences avec les plans de conception que l'entreprise avait fournis en août 2004. En effet, la presque totalité des tiges filetées en inox à l'intérieur des ventelles avait une longueur inférieure à 250 mm, valeur minimale indiquée dans les plans de conception. En outre, de nombreuses autres ventelles présentaient des tiges filetées avec un enrobage inférieur aux valeurs indiquées soit à proximité de la fixation, soit à leur extrémité. D'autre part, les essais de résistance à la flexion effectués sur des échantillons de ventelles installées sur le parking " Molière " ont démontré une résistance très inférieure à la charge théorique accidentelle de 150 kilogrammes, les ruptures étant en outre apparues directement dans le composite ciment-verre et non au droit des tiges de fixation. Il a été de plus constaté que les ruptures se produisaient de manière brutale sans aucun relâchement intermédiaire correspondant à la charge en limite de proportionnalité. Enfin, l'expert a constaté de nombreux défauts de mise en place des ventelles de nature à les fragiliser, tels que des fissures, des longueurs d'équerres non solidaires des ventelles, des boulons de longueur inégale et oxydés, la présence définitive de soudures qui auraient dû être provisoires, ou sur les équerres métalliques, des faïençages ou entailles des ventelles.

6. Il résulte de ce qui précède que les ventelles installées en façade du parking " Molière " présentaient un risque de chute, lequel peut, eu égard aux constatations opérées par l'expert, être regardé comme ayant un caractère certain. Il résulte, en outre, de l'instruction que, même si la cause de sa chute n'a pu être déterminée avec précision, une ventelle est tombée du quatrième étage du parking en juillet 2008 tandis qu'une autre ventelle fragilisée a été découverte au début de l'année 2009 par les ouvriers de l'entreprise chargée par la commune de procéder à la dépose des ventelles. Ce risque de chute des éléments des façades du parking, que ne compense que temporairement la pose par la commune d'un pare-gravats, créait un grave danger pour les usagers du parking et le public. Il rendait donc l'ouvrage impropre à sa destination. Les désordres constatés sont par suite de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs.

7. Il résulte de ce qui précède que la société Partner Engineering et les sociétés AIA Architecte et AIA Ingénierie ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que par le jugement contesté, le tribunal administratif de Nantes a retenu la nature décennale des désordres affectant les ventelles des façades du parking " Molière ".

S'agissant de l'imputabilité des désordres :

8. Le tribunal administratif de Nantes a condamné à ce titre les sociétés AIA Architecte et AIA Ingénierie, titulaires de la mission de maîtrise d'oeuvre, la société SOCOTEC, titulaire de la mission de contrôle technique, et la SAS Sogea Atlantique BTP, titulaire du lot " gros-oeuvre " qui comportait la pose des ventelles affectées des désordres litigieux.

9. En premier lieu, il est constant que les sociétés AIA Architecte et AIA Ingénierie se sont vu confier une mission complète de maitrise d'oeuvre et étaient en charge de la conception, de l'étude et de la direction de l'exécution des contrats de travaux. C'est donc à bon droit que le tribunal administratif de Nantes, par le jugement attaqué, a retenu l'imputabilité à ces deux entreprises des désordres litigieux.

10. En deuxième lieu, l'article 113 du code des marchés publics annexé au décret du 7 mars 2001, alors en vigueur, disposait que : " En cas de sous-traitance du marché, le titulaire demeure personnellement responsable de l'exécution de toutes les obligations résultant de celui-ci ".

11. L'agrément par la SARA, maître d'ouvrage, de la société Partner Engineering, sous-traitante de la SAS Sogea Atlantique BTP, n'a eu ni pour objet, ni pour effet de créer à la charge de la société Partner Engineering des obligations contractuelles vis-à-vis du maître d'ouvrage. Par suite, la SAS Sogea Atlantique BTP, titulaire du lot " gros-oeuvre ", reste seule tenue à l'égard du maître d'ouvrage de l'exécution du contrat tant pour les travaux qu'elle a personnellement réalisés que pour ceux qui ont été confiés à un sous-traitant. Par suite, la SAS Sogea Atlantique BTP ne peut s'exonérer de sa responsabilité décennale envers la commune d'Angers en invoquant la faute commise par la société Partner Engineering, sa sous-traitante. C'est donc à bon droit que le tribunal administratif de Nantes, par le jugement attaqué, a retenu l'imputabilité des désordres litigieux affectant la fabrication et la pose des ventelles à la SAS Sogea Atlantique BTP.

12. En dernier lieu, l'article L. 111-24 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction alors applicable, dispose que : " Le contrôleur technique est soumis, dans les limites de la mission à lui confiée par le maître de l'ouvrage à la présomption de responsabilité édictée par les articles 1792, 1792-1 et 1792-2 du code civil, reproduits aux articles L. 111-13 à L. 111-15, qui se prescrit dans les conditions prévues à l'article 2270 du même code reproduit à l'article L. 111-20 ".

13. Il résulte de l'instruction que la société SOCOTEC était chargée d'une mission de contrôle technique portant, notamment, sur la solidité des ouvrages indissociables et dissociables (LP). Elle n'établit pas que les désordres ne lui seraient pas imputables alors même qu'elle a formulé des avis, notamment, sur les vices affectant la pose des ventelles. C'est donc à bon droit que le tribunal administratif de Nantes, par le jugement attaqué, a retenu l'imputabilité des désordres litigieux également à la société SOCOTEC.

S'agissant du montant du préjudice :

14. En premier lieu, il résulte de l'instruction et notamment des constatations opérées par l'expert nommé par le tribunal de grande instance d'Angers qu'après la chute de la ventelle du quatrième niveau du parking Molière, la commune a dû engager des frais de mise en sécurité aux abords du parking et a fait déposer les ventelles restantes par une entreprise tierce en raison du risque de chute présenté par ces dernières. Selon les constatations de l'expert, ces frais de mise en sécurité et de dépose se sont élevés à la somme globale de 144 071,29 euros. Par ailleurs, l'expert a chiffré, sur proposition de la commune, les frais de remplacement des ventelles en cause à un coût global de 418 000 euros HT, pour un montant non contesté toutes taxes comprises de 499 928 euros. Le préjudice subi par le maître d'ouvrage en raison des désordres affectant les ventelles du parking s'élevait donc à la somme globale de 643 999,29 euros. Compte tenu du paiement de 32 200 euros effectué par courrier du 10 octobre 2011 par la SAS Sogea Atlantique BTP au profit de la société SMA, assureur de la commune d'Angers subrogé dans les droits de cette dernière, le préjudice indemnisable s'élève donc à la somme de 611 799,29 euros.

15. En second lieu, les frais de l'expertise ordonnée par le juge judiciaire ont été liquidés et taxés par une ordonnance du président du tribunal de grande instance d'Angers du 16 septembre 2010 à la somme de 35 024, 14 euros. Ils ont été mis à la charge de la société SMA, qui est donc fondée à en demander l'indemnisation, quand bien même, ainsi que le soutient la SAS Sogea Atlantique BTP, l'assureur est à l'origine de la procédure d'expertise.

16. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés AIA Architecte, AIA Ingénierie, SAS Sogea Atlantique BTP et SOCOTEC ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a mis à leur charge solidaire les sommes de 611 799,29 euros et 35 024,14 euros.

En ce qui concerne les appels en garantie :

17. Le recours entre constructeurs, non contractuellement liés, ne peut avoir qu'un fondement quasi-délictuel. Coauteurs obligés in solidum à la réparation d'un même dommage, ces constructeurs ne sont tenus entre eux que pour la part déterminée à proportion du degré de gravité des fautes respectives qu'ils ont personnellement commises. Par ailleurs, le responsable d'un dommage condamné à indemniser la victime n'est fondé à demander à être garanti par un tiers que si et dans la mesure où les condamnations qu'il supporte correspondent à un dommage également imputable à ce tiers.

18. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus au point 5 du présent arrêt, il résulte des constatations de l'expert que nombre des ventelles fabriquées et installées par la société Partner Engineering, qui présentaient en outre une résistance moindre lors des tests de résistance à la flexion, ont été posées en méconnaissance des plans de conception établis par la société, avec des tiges filetées d'une longueur inférieure à la valeur indiquée et dont l'enrobage était également inférieur à ces valeurs. Il résulte également de l'instruction que la pose des ventelles par la société Partner Engineering présentait de nombreux vices de nature à les fragiliser. Dès lors, et contrairement à ce que soutient la société Partner Engineering, ses fautes dans la conception et dans la pose des ventelles sont établies, sans qu'ait d'incidence la réception des travaux. Il résulte en outre de l'instruction et notamment des constatations opérées par l'expert que la SAS Sogea Atlantique BTP, titulaire du lot gros-oeuvre, n'a pu, au cours des visites du chantier, ignorer les défauts de pose des ventelles par sa sous-traitante. La faute de la SAS Sogea Atlantique BTP est donc également établie. En ce qui concerne la responsabilité des sociétés AIA Architecte et AIA Ingénierie, maîtres d'oeuvre du projet, il résulte de l'instruction que la société AIA Architecte ne pouvait ignorer les malfaçons de pose des ventelles par la société Partner Engineering. En outre, ni la société AIA Architecte, ni la société AIA Ingénierie, bureau d'études techniques, n'ont alerté le maître d'ouvrage lors de la levée des réserves, proposée par la société AIA Architecte, alors que toutes deux avaient connaissance d'avis négatifs sur la solidité et la pose des ventelles émis par le contrôleur technique, qui avait souligné dans son rapport définitif que ces avis sur ces points n'avaient été suivis. Dès lors, les fautes commises par la société AIA Architecte et par la société AIA Ingénierie dans la survenue des désordres en cause sont établies. Enfin, et en revanche, il résulte de l'instruction que la société SOCOTEC, contrôleur technique, a émis des avis négatifs concernant les ventelles, notamment leur pose, et a rappelé la teneur de ces avis négatifs, non suivis, dans son rapport définitif. S'il est constant que le contrôleur technique a indiqué que la soumission des ventelles à la procédure de l'ATEX n'était pas nécessaire, malgré les mentions contraires du cahier des clauses techniques particulières, et n'a pas transmis à l'approbation de son service central le dossier technique des ventelles, il ne résulte pas de l'instruction que ces deux circonstances, antérieures à la pose des ventelles par la société Partner Engineering, et alors même que les ventelles posées ne respectaient pas les plans de conception fournis par la société, auraient eu une incidence sur la survenue des désordres. Il suit de là qu'il ne résulte pas de l'instruction que la société SOCOTEC ait commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

19. Enfin, s'agissant de l'importance respective des fautes commises par la société Partner Engineering, la SAS Sogea Atlantique BTP et les sociétés AIA Architecte et AIA Ingénierie, les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce en fixant à 55 % la part de responsabilité incombant à la société Partner Engineering, à 25 % la part incombant à la société AIA Architecte, à 10 % la part incombant à la société AIA Ingénierie et à 10 % la part incombant à la SAS Sogea Atlantique BTP.

20. Il résulte de tout ce que précède que, d'une part, la société Partner Engineering n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes l'a condamnée à garantir les sociétés SOCOTEC, AIA Architecte et AIA Ingénierie à hauteur de 55 % des condamnations prononcées contre elles. D'autre part, la SAS Sogea Atlantique BTP n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes l'a condamnée à garantir les sociétés SOCOTEC, AIA Architecte et AIA Ingénierie à hauteur de 10 % des condamnations prononcées contre elles. Enfin, les sociétés AIA Architecte et AIA Ingénierie ne sont également pas fondées à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'une part n'a pas condamné la société SOCOTEC à les garantir et d'autre part n'a condamné les sociétés Partner Engineering et Sogea Atlantique BTP à les garantir qu'à hauteur de 55 % et 10 % de l'ensemble des condamnations prononcées à leur encontre.

Sur les frais du litige :

21. En premier lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des sociétés AIA Architecte, AIA Ingénierie, Socotec, Sogea Atlantique BTP, et SMA, qui ne sont pas les parties perdantes pour l'essentiel dans la présente instance, la somme que la société Partner Engineering demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Ces dispositions font aussi obstacle à ce que soit mise à la charge de la société SMA la somme que demandent les SAS AIA Architecte et SAS AIA Ingénierie sur ce fondement. Elles font enfin obstacle à ce que soit mise à la charge de la société SOCOTEC la somme que demande la société SMA sur ce même fondement.

22. En deuxième lieu, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Partner Engineering les sommes de 500 euros à verser respectivement à la SAS Sogea Atlantique BTP, à la société SMA et à la SAS SOCOTEC Construction.

23. En dernier lieu, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de la SAS Sogea Atlantique BTP, de la société AIA Architectes, de la société AIA Ingénierie la somme que la société SMA demande en application de ces mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Partner Engineering et les conclusions d'appel incident de la SAS Sogea Atlantique BTP, de la société AIA Architecte, de la société AIA Ingénierie, de la société SOCOTEC Construction et de la société SOCOTEC France sont rejetées.

Article 2 : La société Partner Engineering versera la somme de 500 euros à la société SMA, la somme de 500 euros à la SAS Sogea Atlantique BTP et la somme de 500 euros à la société SOCOTEC Construction en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la société SMA, et les conclusions de la SAS AIA Architecte et de la SAS AIA Ingénierie tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Partner Engineering, à la SAS Sogea Atlantique BTP, à la SAS AIA Architecte, à la SAS AIA Ingénierie, à la SA SMA et à la SAS SOCOTEC Construction venant au droit de la SA SOCOTEC France.

Copie en sera adressée, pour information, à l'expert.

Délibéré après l'audience du 7 juillet 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Rivas, président de la formation de jugement,

- M. Jouno, premier conseiller,

- Mme G..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 17 juillet 2020.

La rapporteure,

M. G...Le président,

C. Rivas

La greffière,

V. Desbouillons

La République mande et ordonne au préfet de Maine-et-Loire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 18NT01397

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT01397
Date de la décision : 17/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. RIVAS
Rapporteur ?: Mme Marie BERIA-GUILLAUMIE
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : ACHACHE et CARLBERG

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-07-17;18nt01397 ?
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