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10/07/2020 | FRANCE | N°20NT00112

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 10 juillet 2020, 20NT00112


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 19 août 2019 par laquelle le préfet de Maine-et-Loire a prononcé son transfert auprès des autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile et la décision du même jour par laquelle ce préfet l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1909470 du 9 septembre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 jan

vier 2020, M. C... A..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 19 août 2019 par laquelle le préfet de Maine-et-Loire a prononcé son transfert auprès des autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile et la décision du même jour par laquelle ce préfet l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1909470 du 9 septembre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 janvier 2020, M. C... A..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1909470 du tribunal administratif de Nantes du 9 septembre 2019 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les décisions du 19 août 2019 par lesquelles le préfet de Maine-et-Loire a prononcé son transfert auprès des autorités italiennes et l'a assigné à résidence ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour d'une durée minimale d'un mois et de transmettre sa demande d'asile au préfet de région pour transmission pour examen à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, ou à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation, dans un délai de huit jours ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son avocat au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat.

Il soutient que :

. en ce qui concerne la décision portant transfert aux autorités italiennes :

- l'agent ayant conduit la procédure de détermination de l'Etat membre responsable n'était pas compétent ;

o le tribunal administratif n'a répondu que partiellement à ce moyen entachant son jugement d'un défaut de motivation ;

o en application des dispositions de l'article R. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui distingue la procédure de détermination de l'Etat membre responsable d'une demande d'asile et l'adoption de la décision de transfert, seule l'autorité préfectorale est compétente pour procéder aux deux étapes de la procédure ; le préfet doit donc établir que l'agent qui a procédé à l'entretien prévu à l'article 5 du règlement et l'agent qui a adressé à l'Etat membre responsable la requête aux fins de prise ou de reprise en charge était compétent ;

- les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ; il ne dispose pas d'une maitrise suffisante du français pour comprendre les informations qui peuvent lui être délivrées ; il ne maitrise suffisamment que la langue soussou ; le préfet doit démontrer que l'interprète qui l'a assisté lors de l'entretien a également procédé à la traduction des brochures dans leur intégralité ;

- les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ; la qualification de l'agent qui mène l'entretien individuel est une garantie fondamentale pour le demandeur d'asile ; le préfet est tenue de justifier que l'entretien s'est déroulé selon les prévisions et les exigences de la règlementation communautaire ;

- les dispositions de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues :

o le tribunal administratif a entaché son jugement d'une insuffisance de motivation quant à la réponse à ce moyen développé oralement lors de l'audience publique ;

o le préfet doit démontrer que les autorités de l'Etat membre responsable de la demande d'asile ont été effectivement saisies d'une demande de prise ou de reprise en charge ; il ne ressort d'aucune pièce produite que la requête auprès des autorités italiennes aurait été transmise par le point d'accès national français au point national d'accès italien ; il n'est donc pas établi que les autorités italiennes ont bien été saisies d'une requête ;

- le préfet s'est cru à tort lié par les critères de détermination prévus par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et n'a pas procédé à un examen rigoureux et complet de sa situation au regard de la situation en Italie ;

- le tribunal administratif n'a pas répondu à ce moyen, entachant son jugement d'une insuffisante motivation ;

- les dispositions de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ; il existe des éléments sérieux et avérés laissant craindre qu'il serait exposé en Italie à des traitements contraires aux engagements internationaux de ce pays, et à des traitements contraires à la dignité humaine en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne ;

- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation quant à l'application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

. en ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :

- il s'en rapporte aux moyens développés en première instance.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 17 février 2020 et le 16 mars 2020, le préfet de Maine-et-Loire conclut en dernier lieu à ce qu'il n'y ait pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté portant transfert auprès des autorités italiennes.

Il soutient que :

- depuis le 9 mars 2020, M. A... ne peut plus faire l'objet d'un transfert auprès des autorités italiennes en application de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- les autres moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 5 décembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le décret n° 2019-38 du 23 janvier 2019 ;

- l'arrêté du 10 mai 2019 désignant les préfets compétents pour enregistrer les demandes d'asile et déterminer l'Etat responsable de leur traitement ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme D..., première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... A..., ressortissant guinéen né en mars 1998, est entré en France en mai 2019. Il a déposé une demande d'asile qui a été enregistrée le 17 juillet 2019. Par une décision du 19 août 2019, le préfet de Maine-et-Loire a prononcé son transfert auprès des autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile et, par une décision du même jour, a également prononcé son assignation à résidence. M. A... relève appel du jugement du 9 septembre 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 19 août 2019.

Sur l'étendue du litige :

2. Le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 fixe, à ses articles 7 et suivants, les critères à mettre en oeuvre pour déterminer, de manière claire, opérationnelle et rapide, l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile. La mise en oeuvre de ces critères peut conduire, le cas échéant, à une demande de prise ou reprise en charge du demandeur, formée par l'Etat membre dans lequel se trouve l'étranger, dénommé " Etat membre requérant ", auprès de l'Etat membre que ce dernier estime être responsable de l'examen de la demande d'asile, ou " Etat membre requis ". En cas d'acceptation de ce dernier, l'Etat membre requérant prend, en vertu de l'article 26 du règlement, une décision de transfert, notifiée au demandeur, à l'encontre de laquelle ce dernier dispose d'un droit de recours effectif, en vertu de l'article 27, paragraphe 1, du règlement. Aux termes du paragraphe 3 du même article : " Aux fins des recours contre des décisions de transfert ou des demandes de révision de ces décisions, les États membres prévoient les dispositions suivantes dans leur droit national : / a) le recours ou la révision confère à la personne concernée le droit de rester dans l'État membre concerné en attendant l'issue de son recours ou de sa demande de révision (...) ". Aux termes de l'article 29, paragraphe 1, du règlement, le transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant ".

3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen (...) ". Aux termes du I de l'article L. 742-4 du même code : " L'étranger qui a fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742-3 peut, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. / Le président ou le magistrat qu'il désigne à cette fin (...) statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine (...) ". En vertu du II du même article, lorsque la décision de transfert est accompagnée d'un placement en rétention administrative ou d'une mesure d'assignation à résidence notifiée simultanément, l'étranger dispose d'un délai de 48 heures pour saisir le président du tribunal administratif d'un recours et ce dernier dispose d'un délai de 96 heures pour statuer. Aux termes du second alinéa de l'article L. 742-5 du même code : " La décision de transfert ne peut faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration d'un délai de quinze jours ou, si une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 551-1 ou d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 a été notifiée avec la décision de transfert, avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures, ni avant que le tribunal administratif ait statué, s'il a été saisi ". L'article L. 742-6 du même code prévoit que : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé ".

4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le jugement du tribunal administratif statuant au principal sur cette demande, a été notifié à l'administration, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

5. La requête de M. A... devant le tribunal administratif de Nantes a interrompu le délai de six mois fixé par l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Italie. Ce délai a recommencé à courir à compter de la notification au préfet de Maine-et-Loire du jugement de ce tribunal administratif et n'a pas été interrompu par l'appel de M. A.... Il ressort des pièces du dossier que le jugement n° 1909470 du tribunal administratif de Nantes a été notifié à l'administration le 9 septembre 2019 et que le délai de six mois dont disposait le préfet pour exécuter la décision de transfert est donc expiré depuis le 9 mars 2020. A la date de lecture du présent arrêt, la France est donc devenue responsable de l'examen de la demande de protection de M. A.... Les conclusions de l'intéressé tendant à l'annulation de la décision du 18 août 2019 portant transfert auprès des autorités italiennes sont donc, ainsi que le soutient le préfet intimé, privées d'objet. Il n'y a pas lieu de statuer sur ces conclusions.

6. L'arrêté portant assignation à résidence de l'intéressé ayant été exécuté et ayant produit des effets, il y a lieu en revanche de statuer sur les conclusions tendant à son annulation, notamment par la voie de l'exception d'illégalité de l'arrêté de transfert en cause.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué en ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :

En ce qui concerne le moyen tiré de l'exception d'illégalité de la décision portant transfert auprès des autorités italiennes :

7. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; /b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; /e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. (...) ". Aux termes de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) ".

8. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre l'ensemble des éléments d'information prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. La remise de ces éléments doit intervenir en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations. Eu égard à leur nature, la remise par l'autorité administrative de ces informations prévues par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

9. Il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a reçu, le 17 juillet 2019, le guide du demandeur d'asile, ainsi que la brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de ma demande d'asile ", et la brochure B intitulée " Je suis sous procédure Dublin - Qu'est-ce-que cela signifie ' ". Ces documents étaient rédigés en langue française qu'il a expressément indiqué comprendre. En outre, si M. A... soutient qu'il ne peut comprendre de tels documents qu'en langue soussou, langue désignée pour être sa langue d'audition à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, M. A... qui a signé le résumé de l'entretien individuel du même jour, réalisé à l'aide d'un traducteur en soussou à l'occasion duquel le contenu de ces brochures a d'ailleurs pu lui être explicité, doit être regardé comme ayant reconnu, ainsi que cela est précisé dans ce document, que ces informations lui avaient été remises antérieurement dans une langue qu'il comprenait. L'intéressé ne conteste pas que les documents ainsi remis comportaient l'ensemble des informations prévues par les dispositions précitées de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013. Par suite, le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

10. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'autorité compétente pour (...) procéder à la détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile (...) et prendre une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 est le préfet de département (...) ".

11. Il ressort des pièces du dossier que l'agent signataire de l'arrêté de transfert contesté avait reçu délégation de signature du préfet de Maine-et-Loire pour signer une telle décision par un arrêté de délégation de signature du 27 juin 2019, régulièrement publié au recueil des actes administratifs. Dans ces conditions, l'auteur de la décision de transfert contestée, qui a ainsi mené à terme la procédure de détermination de l'Etat responsable, était, contrairement à ce qui est soutenu, compétent pour ce faire.

12. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. (...) ".

13. Aucun élément du dossier n'établit que l'entretien individuel dont a bénéficié le requérant le 19 juin 2019 n'aurait pas été mené par une personne qualifiée et régulièrement habilitée, ni qu'il ne se serait pas tenu dans les conditions exigées par les dispositions citées au point précédent. Il s'ensuit que le moyen tiré de la violation de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne peut qu'être écarté.

14. En quatrième lieu, l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dispose que : " 1. Lorsqu'un État membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre État membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne. / 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac ("hit"), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) n° 603/2013. / Si la requête aux fins de reprise en charge est fondée sur des éléments de preuve autres que des données obtenues par le système Eurodac, elle est envoyée à l'État membre requis dans un délai de trois mois à compter de la date d'introduction de la demande de protection internationale au sens de l'article 20, paragraphe 2 (...) ".

15. D'une part, il résulte de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride que, lorsque l'autorité administrative saisie d'une demande de protection internationale estime, au vu de la consultation du fichier Eurodac prévue par le règlement (UE) n° 603/2013 relatif à la création d'Eurodac, que l'examen de cette demande ne relève pas de la France, il lui appartient de saisir le ou les Etats qu'elle estime responsable de cet examen dans un délai maximum de deux mois à compter de la réception du résultat de cette consultation. À défaut de saisine dans ce délai, la France devient responsable de cette demande. Selon l'article 25 du même règlement, l'Etat requis dispose, dans cette hypothèse, d'un délai de deux semaines au-delà duquel, à défaut de réponse explicite à la saisine, il est réputé avoir accepté la reprise en charge du demandeur.

16. D'autre part, le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, modifié par le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, a notamment créé un réseau de transmissions électroniques entre les Etats membres de l'Union européenne ainsi que l'Islande et la Norvège, dénommé " Dublinet ", afin de faciliter les échanges d'information entre les Etats, en particulier pour le traitement des requêtes de prise en charge ou de reprise en charge des demandeurs d'asile. Selon l'article 19 de ce règlement, chaque Etat dispose d'un unique " point d'accès national ", responsable pour ce pays du traitement des données entrantes et de la transmission des données sortantes et qui délivre un accusé de réception à l'émetteur pour toute transmission entrante. Selon l'article 15 de ce règlement : " Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre Etats membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement (...). / 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national (...) est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ". Le 2 de l'article 10 du même règlement précise que : " Lorsqu'il en est prié par l'Etat membre requérant, l'Etat membre responsable est tenu de confirmer, sans tarder et par écrit, qu'il reconnaît sa responsabilité résultant du dépassement du délai de réponse ".

17. En vertu de ces dispositions, lorsque le préfet est saisi d'une demande d'enregistrement d'une demande d'asile, il lui appartient, s'il estime après consultation du fichier Eurodac que la responsabilité de l'examen de cette demande d'asile incombe à un Etat membre autre que la France, de saisir la direction générale des étrangers en France du ministère de l'intérieur, qui gère le " point d'accès national " du réseau Dublinet pour la France. Les autorités de l'Etat regardé comme responsable sont alors saisies par le point d'accès français, qui archive les accusés de réception de ces demandes. Il ressort des éléments versés au dossier que les demandes émanant des préfectures sont, en principe, transmises le jour même aux autorités des autres Etats membres si elles parviennent avant 16h30 au point d'accès national et le lendemain si elles y parviennent après cette heure. Il ressort, en outre, de ces éléments que si les préfectures n'avaient pas directement accès aux accusés de réception archivés par le point d'accès national, elles peuvent désormais y accéder directement.

18. Il ressort des pièces produites en première instance par le préfet de Maine-et-Loire que la demande de reprise en charge de M. A... a été reçue par les autorités italiennes le 18 juillet 2019 à 8 heures 42. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit donc être écarté.

19. En cinquième lieu, il n'est pas établi que le préfet ait omis de procéder à un examen particulier de la situation personnelle de M. A..., alors qu'il ressort des termes mêmes de la décision contestée qu'il a dûment pris en considération la situation personnelle et de famille de celui-ci ainsi que son état de santé.

20. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (...) ". Par ailleurs, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne disposent que : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants "

21. En l'espèce, d'une part, M. A... invoque l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie. Toutefois, ses allégations ne permettent ni de considérer que les autorités italiennes, qui ont donné leur accord implicite à la demande de reprise en charge adressée par les autorités françaises, ne sont pas en mesure de traiter sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile ni de supposer que, compte tenu de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie, le requérant courrait dans cet Etat membre de l'Union européenne un risque réel d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La décision de transfert contestée ne méconnaît donc ni les dispositions précitées du 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ni les stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

22. D'autre part, le requérant soutient que, compte tenu de sa situation de santé et du faible degré de prise en charge des demandeurs d'asile en Italie, le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne se saisissant pas de la faculté qui lui était offerte par l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Toutefois, à l'appui de ce moyen, il ne soutient ni n'établit qu'il serait dans une situation de particulière vulnérabilité, au regard notamment de son état de santé. Dans ces circonstances, le moyen ne peut qu'être écarté.

23. Il résulte de tout ce qui précède que le moyen, invoqué à l'encontre de l'assignation à résidence du 18 août 2019, tiré de l'illégalité de la décision du même jour portant transfert de M. A... auprès des autorités italiennes doit être écarté.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés à l'encontre de l'assignation à résidence :

24. L'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " I.- L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : / (...) 1° bis Fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 ou d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ; (...) / Les huit derniers alinéas de l'article L. 561-1 sont applicables, sous réserve que la durée maximale de l'assignation ne puisse excéder une durée de quarante-cinq jours, renouvelable une fois pour les cas relevant des 1° et 2° à 7° du présent I, ou trois fois pour les cas relevant du 1° bis (...) ". L'article L. 561-1 du même code dispose que : " (...) La décision d'assignation à résidence est motivée. Elle peut être prise pour une durée maximale de six mois, renouvelable une fois dans la même limite de durée, par une décision également motivée (...) ". Par ailleurs, l'article R. 561-2 du même code dispose que : " L'autorité administrative détermine le périmètre dans lequel l'étranger assigné à résidence en application des articles L. 561-1, L. 561-2, L. 744-9-1 ou L. 571-4 ou d'une des mesures prévues aux articles L. 523-3, L. 523-4 et L. 523-5 est autorisé à circuler muni des documents justifiant de son identité et de sa situation administrative et au sein duquel est fixée sa résidence. Elle lui désigne le service auquel il doit se présenter, selon une fréquence qu'il fixe dans la limite d'une présentation par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et les jours fériés ou chômés ".

25. M. A... reprend en appel, sans aucune autre précision puisqu'il se borne à renvoyer à ses écritures devant le tribunal administratif de Nantes, les moyens invoqués en première instance tirés de ce la décision portant assignation à résidence est insuffisamment motivée et de ce qu'elle porte une atteinte excessive à sa liberté d'aller et venir. Il y a lieu d'écarter ces moyens par les mêmes motifs que ceux retenus à bon droit par le premier juge.

26. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 18 août 2019 portant assignation à résidence.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

27. Si, compte tenu de la caducité de la décision de transfert contestée, la France est l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile présentée par M. A..., le présent arrêt, n'implique, par lui-même, aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

28. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. A... au profit de son avocate au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. A... aux fins d'annulation de la décision du 18 août 2019 portant transfert auprès des autorités italiennes.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 23 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président,

- M. Jouno, premier conseiller,

- Mme D..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la juridiction le 10 juillet 2020.

La rapporteure,

M. D...Le président,

L. Lainé

La greffière,

V. Desbouillons

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 20NT00112

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT00112
Date de la décision : 10/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie BERIA-GUILLAUMIE
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : CABINET MAXIME GOUACHE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-07-10;20nt00112 ?
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