La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/07/2020 | FRANCE | N°19NT03947

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 10 juillet 2020, 19NT03947


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... et Mme D... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler les arrêtés du 4 janvier 2019 par lesquels la préfète du Cher les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé leur pays d'origine, Madagascar, ou tout autre pays dans lesquels ils seraient légalement admissibles comme pays de renvoi.

Par un jugement n° 1900159 et 1900160 du 5 juin 2019, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté ces demandes.

Procédure devant la c

our :

Par une requête, enregistrée le 8 octobre 2019, M. A... F... et Mme B... H... F......

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... et Mme D... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler les arrêtés du 4 janvier 2019 par lesquels la préfète du Cher les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé leur pays d'origine, Madagascar, ou tout autre pays dans lesquels ils seraient légalement admissibles comme pays de renvoi.

Par un jugement n° 1900159 et 1900160 du 5 juin 2019, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 octobre 2019, M. A... F... et Mme B... H... F..., représentés par Me Duplantier, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1900159 et 1900160 du tribunal administratif d'Orléans du 5 juin 2019 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les arrêtés du 4 janvier 2019 par lesquels la préfète du Cher les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé leur pays d'origine, Madagascar, ou tout autre pays dans lesquels ils seraient légalement admissibles comme pays de renvoi ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Cher de les admettre au séjour le temps de procéder à une nouvelle instruction de leur dossier, dans un délai d'un mois, sous astreinte de cent euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à leur avocat au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat.

Ils soutiennent que :

- la préfète a méconnu les dispositions des articles L. 743-1 et R. 723-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en prenant à leur encontre les arrêtés du 4 janvier 2019, malgré leur courrier du 26 novembre 2018 demandant un délai supplémentaire pour l'enregistrement de leur demande de réexamen de la demande d'asile ; s'ils n'avaient pas procédé à l'enregistrement de leur demande de réexamen dans le délai accordé, ils avaient fait part de leur intention de solliciter leur réexamen ;

- les décisions sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation ; leurs enfants sont scolarisés depuis leur arrivée en France ; la cellule familiale ne pourra pas se reconstituer à Madagascar sans mettre en échec l'intégration scolaire des enfants et rompre les liens affectifs qu'ils ont noués ;

- les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues ; ils produisent une pièce qui permet de lever le doute sur la partie du récit de M. F... jugée non convaincante par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile ;

- il n'y a pas eu d'examen particulier de leur situation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2019, la préfète du Cher conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. et Mme F... ne sont pas fondés.

M. F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 3 septembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Marie Béria-Guillaumie, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... F..., ressortissant malgache né en janvier 1978, est entré en France en mai 2017. Son épouse et compatriote, Mme B... H... I... épouse F..., née en septembre 1976, est, quant à elle, entrée en France en août 2017 avec leurs deux enfants. M. et Mme F... ont déposé des demandes d'asile qui ont été rejetées par des décisions du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 22 février 2018. Leurs recours contre ces décisions ont été rejetés par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 10 octobre 2018. A la suite de ce rejet, par des décisions du 4 janvier 2019, la préfète du Cher les a obligés à quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel ils pourraient être éloignés d'office à défaut de se conformer à ces obligations. M. et Mme F... relèvent appel du jugement n° 1900159 et 1900160 du 5 juin 2019 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés du 4 janvier 2019.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) / 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 741-1 du même code : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable (...). / Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article L. 743-1 du même code : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé, jusqu'à la notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1, dès lors que la demande d'asile a été introduite auprès de l'office, vaut autorisation provisoire de séjour et est renouvelable jusqu'à ce que l'office et, le cas échéant, la cour statuent ". L'article L. 743-2 du même code énumère les cas dans lesquels le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin et l'attestation de demande d'asile peut être refusée, retirée ou son renouvellement refusé. Enfin, l'article L. 743-4 du même code dispose : " Sans préjudice des articles L. 556-1 et L. 743-2, lorsque l'étranger sollicitant l'enregistrement d'une demande d'asile a fait l'objet, préalablement à la présentation de sa demande, d'une mesure d'éloignement prise en application du livre V, celle-ci, qui n'est pas abrogée par la délivrance de l'attestation prévue à l'article L. 741-1, ne peut être mise à exécution avant la notification de la décision de l'office, lorsqu'il s'agit d'une décision de rejet, d'irrecevabilité ou de clôture, ou, si un recours est formé devant la Cour nationale du droit d'asile contre une décision de rejet, avant la notification de la décision de la cour ".

3. Il résulte de ces dispositions que, sous réserve du cas de demandes présentées par l'étranger en rétention ou des cas de refus d'attestation de demande respectivement prévus aux articles L. 556-1 et L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une demande de réexamen ouvre droit au maintien sur le territoire français jusqu'à ce qu'il y soit statué. Si, préalablement à sa demande de réexamen, l'intéressé, en l'absence de droit au maintien sur le territoire, a fait l'objet d'une mesure d'éloignement, cette mesure ne peut être exécutée avant qu'il soit statué sur la demande d'asile. Le droit au maintien sur le territoire est conditionné par l'introduction de la demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, mais l'intéressé peut y prétendre dès qu'il a manifesté à l'autorité administrative son intention de solliciter un réexamen, l'attestation mentionnée à l'article L. 741-1 du même code ne lui étant délivrée qu'en conséquence de cette demande.

4. Il ressort des pièces du dossier que postérieurement au rejet de leurs demandes d'asile par la CNDA le 10 octobre 2018 et sollicités par des courriers de la préfète du Cher du 8 novembre 2018, M. et Mme F... ont, par un courrier du 12 novembre 2018, indiqué à cette dernière leur intention de déposer une demande de réexamen de leur demande d'asile en faisant état de la circonstance qu'ils avaient demandé la communication de nouveaux documents en provenance de leur pays. Par un courrier du 26 novembre 2018, parvenu le 29 novembre suivant aux intéressés, la préfète leur a indiqué qu'ils devaient lui faire parvenir l'enregistrement de leur demande de réexamen dans un délai de trente jours à compter de la réception du courrier. Dans ce même délai, par courrier du 21 décembre 2018, parvenu le 26 décembre suivant auprès des services de la préfecture, M. et Mme F... ont indiqué être toujours en attente des documents requis pour l'enregistrement de leur demande de réexamen ainsi que les motifs du retard pris. Dans ces conditions, les intéressés, qui ont répondu systématiquement et ponctuellement aux courriers de la préfète, avaient manifesté à l'autorité administrative dès le mois de novembre 2018 leur intention de solliciter le réexamen de leur demande d'asile. Dès lors les dispositions citées au point 2 du présent arrêt faisaient obstacle à ce que soient prises à leur encontre des obligations de quitter le territoire français, M. et Mme F... pouvant prétendre au droit au maintien sur le territoire. Dès lors, la préfète du Cher ne pouvait légalement édicter des obligations de quitter le territoire français sans avoir au préalable enregistré ces demandes d'asile, ou refusé, sur le fondement de l'article L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de délivrer aux intéressés l'attestation prévue par l'article L. 741-1 du même code.

5. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme F... sont fondés à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des décisions du 4 janvier 2019 portant à leur encontre obligation de quitter le territoire français et fixation du pays d'éloignement.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. L'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Si l'obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 513-4, L. 551-1, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas (...) ".

7. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement, ainsi que le demandent les intéressés, qu'il soit enjoint à la préfète du Cher, dans un délai qu'il y a lieu de fixer à trois mois, de réexaminer la situation de M. et Mme F... et de leur délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.

Sur les frais du litige :

8. M. F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me Duplantier dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1900159 et 1900160 du tribunal administratif d'Orléans du 5 juin 2019 et les arrêtés du 4 janvier 2019 par lesquels la préfète du Cher a obligé M. et Mme F... à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé leur pays d'origine, Madagascar, ou tout autre pays dans lesquels ils seraient légalement admissibles comme pays de renvoi sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Cher de réexaminer, dans un délai de trois mois, la situation de M. et Mme F... et de leur délivrer, dans l'intervalle, une autorisation provisoire de séjour.

Article 3 : L'Etat versera à Me Duplantier la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... F..., Mme B... H... F... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Cher.

Délibéré après l'audience du 23 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président,

- M. Jouno, premier conseiller,

- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la juridiction le 10 juillet 2020.

La rapporteure,

M. Béria-GuillaumieLe président,

L. Lainé

La greffière,

V. Desbouillons

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

1

2

N° 19NT03947

1


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT03947
Date de la décision : 10/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie BERIA-GUILLAUMIE
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : DUPLANTIER

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-07-10;19nt03947 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award