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03/07/2020 | FRANCE | N°19NT01942

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 03 juillet 2020, 19NT01942


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... A... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 30 juin 2017 par laquelle le ministre de l'intérieur a ajourné à deux ans sa demande de naturalisation.

Par un jugement n° 1708840 du 3 avril 2019, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du ministre de l'intérieur du 30 juin 2017, a enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer la demande de naturalisation de Mme A... épouse B... dans un délai de deux mois à compter de la noti

fication du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... A... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 30 juin 2017 par laquelle le ministre de l'intérieur a ajourné à deux ans sa demande de naturalisation.

Par un jugement n° 1708840 du 3 avril 2019, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du ministre de l'intérieur du 30 juin 2017, a enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer la demande de naturalisation de Mme A... épouse B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 mai 2019, le ministre de l'intérieur demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes n° 1708840 du 3 avril 2019.

Il soutient que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la matérialité des faits qui lui sont reprochés n'est pas établie et qu'aucun des moyens soulevés par la requérante en première instance n'est fondé.

Un mémoire, présenté par le ministre de l'intérieur, a été enregistré le 11 mai 2020 et n'a pas été communiqué.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mars 2020, Mme A..., représentée par Me E..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) d'annuler la décision du ministre de l'intérieur du 30 juin 2017 ;

3°) à titre principal, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de faire droit à sa demande de naturalisation ;

4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

5°) de condamner l'Etat à verser la somme de 1 200 euros au conseil de la requérante, en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi sur l'aide juridique, sous réserve que Me E... se désiste du bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Par une décision du 11 juin 2020, Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridique ;

- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- les conclusions de M. Mas rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 9 janvier 2017, le préfet du Rhône a ajourné à deux ans la demande de naturalisation présentée par Mme A... épouse B.... Celle-ci a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 30 juin 2017 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours formé contre la décision préfectorale du 9 janvier 2017 et a ajourné à deux ans sa demande de naturalisation. Par un jugement du 3 avril 2019, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 30 juin 2017 et a enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer la demande de naturalisation de Mme A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur fait appel de ce jugement. Par un arrêt du 12 mars 2020, la cour a prononcé le sursis à exécution du jugement du 3 avril 2019.

2. Aux termes de l'article 21-15 du code civil : " (...) l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger ". Aux termes de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 : " Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. Ce délai une fois expiré ou ces conditions réalisées, il appartient à l'intéressé, s'il le juge opportun, de déposer une nouvelle demande ". En vertu de ces dispositions, il appartient au ministre de porter une appréciation sur l'intérêt d'accorder la nationalité française à l'étranger qui la sollicite. Dans le cadre de cet examen d'opportunité, il peut légalement prendre en compte les renseignements défavorables recueillis sur le comportement du postulant, ainsi que son assimilation dans la société française.

3. Aux termes de l'article 41-1 du code de procédure pénale : " S'il lui apparaît qu'une telle mesure est susceptible d'assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l'infraction ou de contribuer au reclassement de l'auteur des faits, le procureur de la République peut, préalablement à sa décision sur l'action publique, directement ou par l'intermédiaire d'un officier de police judiciaire, d'un délégué ou d'un médiateur du procureur de la République : 1° Procéder au rappel auprès de l'auteur des faits des obligations résultant de la loi ; (...) 3° Demander à l'auteur des faits de régulariser sa situation au regard de la loi ou des règlements ; (...) ".

4. La décision contestée du ministre chargé des naturalisations indique que : " Après avoir procédé à un nouvel examen de votre dossier et pris note des éléments que vous avez souhaité porter à ma connaissance, je constate que vous avez fait l'objet d'une procédure n° 15149000050 pour délit de fuite après un accident par conducteur de véhicule terrestre à moteur le 11/07/2014 à Lyon. Dans ces conditions, en application des articles 45 et 48 du décret n° 93.1362 du 30 décembre 1993, j'ai décidé de ne pas donner une suite favorable à votre recours et de maintenir l'ajournement de votre demande pour une durée de deux ans à compter du 9/01/2017. "

5. Si Mme A... conteste la matérialité des faits qui lui sont reprochés, le ministre de l'intérieur a produit un avis de classement sans suite du 29 mai 2015 au motif que " la régularisation de la situation est intervenue à la demande du parquet " et mentionnant des faits de délit de fuite. Ce motif indique qu'a été mise en oeuvre une procédure alternative aux poursuites, prévue par les dispositions du 3° de l'article 41-1 du code de procédure pénale et permettant au procureur de la République de demander à l'auteur des faits de régulariser sa situation au regard de la loi ou des règlements. Dès lors, et alors même que la mention correspondante figurant sur le fichier des traces d'antécédents judiciaires (TAJ) a été effacée sur décision du procureur de la République du tribunal de grande instance de Lyon de novembre 2016, cet élément est suffisant pour établir les faits reprochés à Mme A..., en l'absence d'élément contraire apporté par l'intéressée, qui se borne à soutenir que l'élément intentionnel de l'infraction était absent et qu'une fois informée de l'accident, elle a immédiatement fait une déclaration à son assurance, laquelle a pris en charge les dommages causés qui étaient uniquement matériels. Il suit de là que c'est à tort que le tribunal s'est fondé, pour annuler la décision du ministre de l'intérieur du 30 juin 2017, sur ce que la matérialité des faits retenus par le ministre de l'intérieur n'était pas établie.

6. Il convient d'examiner, par l'effet dévolutif de l'appel, les autres moyens soulevés par Mme A... à l'encontre de la décision du ministre du 30 juin 2017.

7. En premier lieu, compte tenu de ce qui a été dit au point 4, le moyen tiré de ce que la décision contestée n'est pas suffisamment motivée doit être écarté. Mme A... ne saurait utilement se prévaloir des orientations générales énoncées par le ministre chargé des naturalisations dans la circulaire du 27 juillet 2010 relative à la déconcentration de la procédure d'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique, lesquelles n'ont pas de caractère réglementaire.

8. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que, pour ajourner à deux ans la demande de Mme A..., le ministre de l'intérieur n'aurait pas procédé à un examen de l'ensemble des circonstances propres à sa situation. Ainsi, le moyen tiré de ce que la décision litigieuse serait entachée d'une erreur de droit faute d'avoir procédé à un examen particulier des circonstances de l'espèce doit être écarté.

9. En troisième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 43 du décret du 30 décembre 1993 visé ci-dessus : " Le préfet du département de résidence du postulant (...) déclare la demande irrecevable si les conditions requises par les articles 21-15, (...) 21-23 (...) et 21-27 du code civil ne sont pas remplies. ". Selon l'article 48 du même décret : " (...) Lorsque les conditions requises par la loi sont remplies, le ministre chargé des naturalisations propose (...) la naturalisation (...). Lorsque ces conditions ne sont pas remplies, il déclare la demande irrecevable. / Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation (...), il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. (...). ". Aux termes de l'article 21-23 du code civil : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'est pas de bonnes vie et moeurs (...) ".

10. Il ressort des pièces du dossier que, si le motif pour lequel la demande de naturalisation présentée par Mme A... a été ajournée est en relation avec des faits de délit de fuite qui lui sont reprochés, cette demande n'a pas été déclarée irrecevable au motif que l'intéressée ne satisfaisait pas à la condition posée par l'article 21-23 du code civil, mais a donné lieu, à la suite de l'exercice, par le ministre, de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité d'accorder ou non la naturalisation sollicitée, à une décision d'ajournement à deux ans. Par suite, et comme l'a fait valoir le ministre dans ses écritures de première instance, Mme A... ne peut utilement soutenir que cette autorité aurait méconnu les dispositions de l'article 21-23 du code civil.

11. En quatrième et dernier lieu, le ministre a pu, eu égard à leur caractère suffisamment grave et récent à la date de la décision litigieuse, prendre en compte les faits

mentionnés au point 4 pour ajourner à deux ans la demande de naturalisation de Mme A... sans entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation. Les circonstances alléguées par Mme A... selon lesquelles sa résidence en France est stable, effective et permanente, et coïncide avec le centre de ses attaches familiales et de ses intérêts matériels, elle est insérée professionnellement, et remplit les conditions d'assimilation, d'adhésion aux valeurs essentielles de la communauté française et de bonne santé sont sans influence sur la légalité de la décision ministérielle contestée eu égard au motif qui la fonde.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision ministérielle du 30 juin 2017 et lui a enjoint de réexaminer la demande de naturalisation de Mme A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Par conséquent, les conclusions à fin d'injonction présentées en appel par Mme A... ainsi que celles fondées sur les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi sur l'aide juridique ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1 : Le jugement n° 1708840 du 3 avril 2019 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Nantes et ses conclusions présentées en appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme F... A... épouse B... et à Me E....

Délibéré après l'audience du 19 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme C..., présidente,

- Mme D..., premier conseiller,

- M. Bréchot, premier conseiller.

Lu en audience publique le 3 juillet 2020.

Le rapporteur,

P. D...

La présidente,

C. C...

Le greffier,

C. POPSE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT01942


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT01942
Date de la décision : 03/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: Mme Pénélope PICQUET
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : VIBOUREL

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-07-03;19nt01942 ?
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