Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 29 octobre 2019 par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a prononcé son transfert auprès des autorités allemandes pour l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 1902688 du 12 décembre 2019, le tribunal administratif de Caen a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 6 janvier 2020, M. A... B..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler le jugement n° 1902688 du tribunal administratif de Caen du 12 décembre 2019 ;
3°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 29 octobre 2019 par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a prononcé son transfert auprès des autorités allemandes ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son avocat au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat.
Il soutient que :
- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation quant à l'application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ; la décision a pour conséquence son renvoi certain par les autorités allemandes dans son pays d'origine, puisqu'il a fait l'objet, le 1er février 2017, d'une décision de refus d'asile et d'une obligation de quitter le territoire allemand ; en Allemagne, le rejet d'une demande d'asile vaut obligation de quitter le territoire allemand ; son recours devant le tribunal administratif du Land a été rejeté ; il a donc épuisé les voies de recours ; les autorités allemandes n'ont pas examiné de manière attentive et sérieuse sa demande ; l'Allemagne pratique des renvois massifs à destination de l'Afghanistan qui est dans une situation de crise humanitaire aigüe et de conflit ; les chiites, communauté à laquelle il appartient, sont particulièrement menacés ;
- pour les mêmes motifs, il est exposé à un risque de méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet n'a pas examiné de manière complète sa situation personnelle et sa demande ; aucun des éléments relatifs à sa procédure d'asile ne figure dans l'arrêté contesté.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 janvier 2020, le préfet de la Seine-Maritime conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 27 janvier 2020.
La clôture de l'instruction a été fixée au 17 mars 2020 par une ordonnance du 13 février 2020.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le décret n° 2019-38 du 23 janvier 2019 ;
- l'arrêté du 10 mai 2019 désignant les préfets compétents pour enregistrer les demandes d'asile et déterminer l'Etat responsable de leur traitement ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme E..., première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant afghan né en août 1994, a déposé une demande d'asile qui a été enregistrée le 16 septembre 2019. Par une décision du 29 octobre 2019, le préfet de la Seine-Maritime a prononcé son transfert auprès des autorités allemandes pour l'examen de sa demande d'asile. M. B... relève appel du jugement du 12 décembre 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision portant transfert auprès des autorités allemandes.
Sur l'aide juridictionnelle provisoire :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence, sous réserve de l'application des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président (...) ".
3. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 27 janvier 2020. Par suite, ses conclusions tendant à ce que soit prononcée son admission provisoire à l'aide juridictionnelle sont devenues sans objet. Il n'y a donc plus lieu d'y statuer.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...)".
5. Il ressort des sources médiatiques publiquement disponibles que la ville de Kaboul est en proie à de nombreux attentats depuis le début de l'année 2019, dont deux recensés les 7 et 21 août 2019, lesquels ont causé la mort d'une centaine de personnes et en ont blessé près de 400 autres, et un autre recensé le 2 septembre 2019 dont le bilan a été de seize morts, tous civils, et 119 blessés. Le rapport publié par la Mission d'Assistance des Nations unies en Afghanistan (UNAMA) au mois de février 2019, intitulé Afghanistan, Protection of civilians in armed conflict, Annual report 2018, souligne que Kaboul a été la ville afghane la plus touchée par des attentats-suicide et des attaques complexes à la suite desquels il a été recensé le plus grand nombre de victimes civiles au cours de l'année 2018. En effet, le rapport précité, qui se réfère à celui publié par la mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan (UNAMA) au mois de février 2018, intitulé " Afghanistan, Protection of civilians in armed conflict, Annual report 2017 ", répertorie 740 incidents sécuritaires dans cette province entre le 1er janvier 2017 et le 31 mars 2018, du fait des insurgés tandis que le nombre de victimes civiles comptabilisées en 2017 a atteint 862 dans cette province, augmentant ainsi de un pour cent par rapport au chiffre relevé en 2016. Selon le rapport du Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO) intitulé " Country Guidance : Afghanistan " de juin 2019, le nombre de victimes civiles à Kaboul a encore augmenté de 5% en 2018 par rapport à l'année 2017.
6. M. B... invoque les risques encourus en cas d'exécution par l'Allemagne d'un éloignement à destination de l'Afghanistan, dont la ville de Kaboul est l'unique point d'entrée. Si l'arrêté litigieux a pour objet de le transférer en Allemagne, il ressort des pièces produites par l'intéressé qu'il a déposé dans ce pays une demande d'asile qui a été définitivement rejetée. Il soutient sans être contredit que son recours devant le tribunal contre ce refus d'asile portant obligation de quitter le territoire allemand a été définitivement rejeté. L'administration n'établit pas, ni même n'allègue, que l'obligation de quitter le territoire allemand ne serait pas immédiatement exécutoire, alors que, dans le cadre de la coopération en matière de partage d'informations prévue par l'article 34 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le préfet pouvait aisément obtenir de tels renseignements. Il ressort en outre de la motivation de l'arrêté contesté que l'accord des autorités allemandes pour le transfert de M. B... a été donné sur le fondement du d) du1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, relatif aux étrangers dont la demande d'asile a été rejetée. Dans ces conditions, eu égard aux risques de renvoi par l'Allemagne de M. B... en Afghanistan, le préfet de la Seine-Maritime a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 en n'utilisant pas la possibilité, résultant de ces dispositions, d'examiner en France la demande d'asile de l'intéressé.
7. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de Seine-Maritime du 29 octobre 2019.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
6. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale dans la présente instance. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me D..., avocate de M. B..., de la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. B... tendant à son admission provisoire à l'aide juridictionnelle.
Article 2 : Le jugement n° 1902688 du tribunal administratif de Caen du 12 décembre 2019 et l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 29 octobre 2019 portant transfert de M. B... auprès des autorités allemandes sont annulés.
Article 3 : Le versement de la somme de 1 500 euros à Me D... est mis à la charge de l'Etat dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience du 9 juin 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président,
- M. Jouno, premier conseiller,
- Mme E..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 26 juin 2020.
La rapporteure,
M. E...Le président,
L. Lainé
La greffière,
M. C...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT00027
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