Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... A... épouse C... et M. E... A... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 22 septembre 2016 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer un visa de long séjour à E... A... en qualité d'enfant étranger mineur à charge d'un ressortissant français.
Par un jugement n° 1609913 du 13 décembre 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 14 janvier et 3 juin 2019, Mme A... épouse C... et M. E... A..., représentés par Me D..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 22 septembre 2016 de la commission de recours ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à venir, à défaut, de réexaminer la demande de visa dans le même délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est entachée d'un vice de forme en ce qu'ils n'ont pas communication des motifs de la décision consulaire ;
- les actes qu'elle produit sont authentiques et établissent l'identité de E... et son lien de filiation avec sa mère ;
- la décision contestée est entachée d'erreur d'appréciation ;
- elle méconnaît les dispositions du 2° de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations du 1° de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mars 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme C... et M. A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les observations de Me G..., substituant Me D..., pour Mme A... épouse C... et M. A....
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 13 décembre 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme A... épouse C... et de M. E... A..., ressortissants guinéens, tendant à l'annulation de la décision du 22 septembre 2016 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer un visa de long séjour à E... A... en qualité d'enfant étranger mineur à charge d'un ressortissant français. Mme A... épouse C... et M. A... relèvent appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
3. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Mme A... épouse C... a été naturalisée française par décret du 2 juillet 2008. Le 9 novembre 2009, M. E... A..., né le 12 novembre 1998, a sollicité auprès des autorités consulaires françaises à Conakry la délivrance d'un visa de long séjour en qualité d'enfant à charge d'un ressortissant français, qui lui a été refusé. Le 29 janvier 2016, M. A... a de nouveau sollicité la délivrance d'un tel visa. Par une décision du 29 juillet 2016, les autorités consulaires lui ont opposé un nouveau refus. Par une décision du 22 septembre 2016, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé devant elle contre cette décision consulaire. Pour refuser de délivrer le visa de long séjour sollicité, la commission de recours s'est fondée sur ce que l'acte de naissance produit par l'intéressé est dépourvu de caractère probant.
5. Il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que les registres d'état civil de la commune de Kissidougou où est né l'enfant E... ont été détruits au début de l'année 2007. En outre, les requérants produisent une attestation, dont les énonciations ne sont pas contredites, du greffier en chef du tribunal de première instance de Faranah, selon laquelle, après vérification, les copies des registres de l'état civil de cette commune pour l'année 1998 n'ont pas été reçus par ce tribunal, contrairement à ce que prévoient les dispositions de l'article 180 du code civil guinéen. Dans ces conditions, M. E... A... a produit pour justifier de son lien de filiation avec Mme A... épouse C..., un jugement supplétif du 24 décembre 2014 tenant lieu d'acte de naissance de la justice de paix de Kissidougou relevant alors du tribunal de première instance de Faranah ainsi que la transcription de ce jugement tenant lieu d'acte de naissance, établie le même jour par l'officier d'état civil de la commune de Kissidougou. La circonstance que cet acte de naissance a été établi seize ans après la naissance de l'intéressé, suivant jugement supplétif requis sept ans après l'obtention de la nationalité française par sa mère alléguée, ne suffit pas à elle seule à établir le caractère frauduleux de cet acte.
6. Ce jugement supplétif ayant été établi à la seule requête du jeune E... A..., alors âgé de seize ans, qui n'était ni majeur, ni émancipé, en méconnaissance des dispositions de l'article 395 du code civil guinéen, un nouveau jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance a été rendu, à la demande de M. A..., devenu majeur, après annulation du jugement supplétif du 24 décembre 2014 et de sa transcription, par le tribunal de première instance de Kissidougou, le 9 mai 2019, et transcrit, à cette date, dans les registres de l'état civil de la commune de Kissidougou. Contrairement à ce que soutient le ministre, la circonstance que le jugement supplétif du tribunal de grande instance du 24 décembre 2014 et l'acte de naissance de la même date ont été annulés n'est pas de nature à ôter sa valeur authentique au dernier acte de naissance du 9 mai 2019 lequel, s'il est postérieur à la décision contestée, revêt un caractère recognitif. Par ailleurs, si le ministre invoque la méconnaissance par ces documents des dispositions de l'article 179 du code civil guinéen, selon lequel les actes d'état-civil ne comportent pas " de date mise en chiffre " et de l'article 196 de ce code qui prévoient que les actes d'état civil doivent mentionner l'heure de naissance de l'enfant et les âges et professions des parents, il ne résulte pas de ces dispositions qu'elles seraient applicables à l'établissement des jugements supplétifs. En tout état de cause, l'absence de ces mentions n'est pas de nature à remettre en cause les énonciations du jugement supplétif qui permettent de justifier du lien de filiation. Par suite, l'acte de naissance produit établit le lien de filiation entre Mme A... épouse C... et son fils E... A.... Dès lors, en refusant le visa sollicité au motif que ce lien de filiation n'était pas établi, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'illégalité.
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France refusant de délivrer un visa de long séjour à M. E... A....
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Le présent arrêt implique, eu égard aux motifs qui le fondent, que le ministre de l'intérieur fasse droit à la demande de visa présentée par M. E... A.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de lui délivrer le visa de long séjour sollicité, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement aux requérants d'une somme globale de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 13 décembre 2018 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision du 22 septembre 2016 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer un visa de long séjour à M. E... A... en qualité d'enfant étranger mineur à charge d'un ressortissant français est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. E... A... le visa de long séjour qu'il a sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Mme A... épouse C... et à M. E... A... une somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... épouse C..., à M. E... A... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 5 juin 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme B..., présidente-assesseur,
- Mme Picquet, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 juin 2020.
Le rapporteur,
C. B...Le président,
T. CELERIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT00171