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05/06/2020 | FRANCE | N°19NT00831

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 05 juin 2020, 19NT00831


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision des autorités consulaires françaises à Conakry (Guinée) du 14 août 2018 refusant de lui délivrer un visa de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française.

Par un jugement n° 1808086 du 26 décembre 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant le recours formé contre la dé

cision consulaire du 14 août 2018 et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision des autorités consulaires françaises à Conakry (Guinée) du 14 août 2018 refusant de lui délivrer un visa de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française.

Par un jugement n° 1808086 du 26 décembre 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant le recours formé contre la décision consulaire du 14 août 2018 et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. B... un visa de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 27 février 2019 sous le n° 19NT00831, le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1808086 du tribunal administratif de Nantes du 26 décembre 2018 ;

2°) de rejeter la demande de M. B....

Il soutient que :

- l'intention matrimoniale de M. B... fait défaut ;

- le mariage de Mme Maître et M. B... présente un caractère frauduleux.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mai 2019, M. B..., représenté par Me C..., conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce que l'Etat soit condamné pour recours abusif sur le fondement de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ;

3°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par le ministre n'est fondé.

II. Par une ordonnance n° 19NT004863 du 18 décembre 2019, le président de la cour administrative d'appel de Nantes a ordonné l'ouverture d'une phase juridictionnelle en vue de prescrire les mesures d'exécution du jugement n° 1808086 rendu le 26 décembre 2018 par le tribunal administratif de Nantes.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- et les observations de Me A... représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. D... B..., ressortissant guinéen né le 17 novembre 1985, entré en France en avril 2014, a épousé, le 16 mars 2018, à Tours, Mme Marie-Christine Maître, ressortissante française née le 9 août 1963. Le 2 août 2018, M. B... a déposé auprès des autorités consulaires françaises à Conakry (Guinée) une demande de visa de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française. Cette demande a été rejetée le 14 août suivant. Saisie le 21 août 2018, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement confirmé cette décision initiale en conservant le silence pendant plus de deux mois. M. B... a demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation de cette décision. Par un jugement du 26 décembre 2018, le tribunal a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant le recours formé contre la décision consulaire du 14 août 2018 et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. B... un visa de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement. D'une part, le ministre de l'intérieur fait appel de ce jugement, d'autre part, une phase juridictionnelle en vue de prescrire les mesures d'exécution de ce jugement a été ouverte.

2. Les requêtes n°s 19NT00831, 19NT04863, présentées l'une par le ministre de l'intérieur et l'autre pour M. B..., concernent la situation d'un même ressortissant étranger et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

3. Aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Le visa de long séjour ne peut être refusé à un conjoint de Français qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public. Le visa de long séjour est délivré de plein droit au conjoint de Français qui remplit les conditions prévues au présent article. (...) ". En application de ces dispositions, il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint étranger d'un ressortissant français dont le mariage n'a pas été contesté par l'autorité judiciaire le visa nécessaire pour que les époux puissent mener une vie familiale normale. Pour y faire obstacle, il appartient à l'administration, si elle allègue une fraude, d'établir, sur la base d'éléments précis et concordants, que le mariage a été entaché d'une telle fraude, de nature à justifier légalement le refus de visa.

4. Des photographies datées d'octobre et novembre 2015, février, avril, mai et décembre 2016, août et septembre 2017, février, mars, août 2018 font apparaitre M. B... et Mme Maître. En outre, ont été produits des billets de train à leurs deux noms faisant état d'un voyage à Amsterdam d'une semaine en avril 2016 et d'un voyage à Avignon en août 2016. Mme Maître a attesté, le 20 août 2018, être engagée depuis 3 ans dans une vie commune avec

M. B.... Il est constant que M. B... a conclu un pacte civil de solidarité (PACS) avec Mme Maître, le 3 juin 2016. Si un arrêté préfectoral portant obligation de quitter le territoire français a été pris à son encontre le 1er juin 2016, il n'est pas établi que cet arrêté a été notifié à M. B... préalablement à la conclusion du PACS. Ils se sont mariés le 16 mars 2018. Les attestations d'assurance habitation du 6 octobre 2016, 3 août 2017 et 4 août 2018 mentionnent leurs deux noms à une unique adresse. Il en est de même des avis d'imposition pour 2017 et 2018, de l'enquête " ressources et occupation du patrimoine " de Tours Habitat, d'une attestation EDF d'août 2018 et d'autres documents administratifs. Des billets d'avion et une facture d'hébergement attestent que Mme F... a accompagné M. B... en Guinée en août 2018. Elle lui a, à partir de cette date, envoyé des mandats attestant d'une aide financière importante et régulière. M. B... a tenté d'obtenir des visas de court séjour pour ses deux enfants restés en Guinée mais ces visas ont été refusés en juin 2016. Au vu de ces éléments, le ministre, s'il soutient que M. B... a fait l'objet d'une seconde obligation de quitter le territoire français le 8 novembre 2017 et qu'il a été entendu à l'OFPRA en 2015 en langue soussou, n'établit pas l'absence d'intention matrimoniale de M. B.... En outre, si le ministre de l'intérieur soutient qu'il existe un doute sur l'identité de M. B... dès lors qu'il a déclaré une identité différente lors de son entrée au Pays-Bas en octobre 2013, il est constant que ce dernier a ensuite produit un acte de naissance établi sur la base d'un jugement supplétif rendu par le tribunal de première instance de Kaloum le 21 mars 2016. Le ministre, en se bornant à indiquer que son authenticité et son bien-fondé n'ont pu être vérifiés, n'en conteste pas utilement la valeur probante. Dès lors, la commission n'a pas pu légalement estimer qu'il existait une fraude.

5. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant le recours formé contre la décision consulaire du 14 août 2018 et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. B... un visa de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Sur les conclusions de M. B... relatives à l'amende pour recours abusif :

6. Aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 3 000 euros ". La faculté prévue par ces dispositions constituant un pouvoir propre du juge, les conclusions de M. B... tendant à ce que l'Etat soit condamné à une telle amende ne sont pas recevables. En tout état de cause, le recours formé par l'Etat ne peut, en l'espèce, être regardé comme présentant un caractère abusif au sens des dispositions précitées.

Sur les frais liés au litige :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à M. B..., en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Sur la demande d'exécution présentée dans la requête n° 19NT04863 :

8. Aux termes de l'article L. 911-4 du code de justice administrative : " En cas d'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt, la partie intéressée peut demander à la juridiction, une fois la décision rendue, d'en assurer l'exécution. / Si le jugement ou l'arrêt dont l'exécution est demandée n'a pas défini les mesures d'exécution, la juridiction saisie procède à cette définition. Elle peut fixer un délai d'exécution et prononcer une astreinte ".

9. Le jugement n° 1808086 rendu le 26 décembre 2018 par le tribunal administratif de Nantes étant en lui-même assorti d'une mesure d'injonction en ce sens, son exécution impliquait nécessairement que le ministre de l'intérieur délivre à M. B... un visa d'entrée et de long séjour en France. Si le ministre de l'intérieur a pris une nouvelle décision le 27 février 2019, les motifs de cette nouvelle décision de refus sont identiques à ceux de la décision annulée par le tribunal. Le jugement précité ne peut donc pas être regardé comme ayant reçu exécution. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à M. B... dans le délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt et d'assortir cette injonction d'une astreinte de 100 euros par jour à compter de l'expiration de ce délai.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.

Article 2 : Une astreinte est prononcée à l'encontre de l'Etat (ministre de l'intérieur) s'il ne justifie pas avoir, dans le délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt, entièrement exécuté le jugement rendu le 26 décembre 2018 par le tribunal administratif de Nantes, en délivrant un visa d'entrée et de long séjour à M. B..., et ce jusqu'à la date de cette exécution. Le taux de cette astreinte est fixé à 100 euros par jour passé ce délai.

Article 3 : Le ministre de l'intérieur communiquera à la cour la copie des actes justifiant des mesures prises pour exécuter le jugement du 26 décembre 2018 du tribunal administratif de Nantes.

Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 200 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 25 mai 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Célérier, président de chambre,

- Mme Buffet, président assesseur,

- Mme E..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 5 juin 2020.

Le rapporteur,

P. E...

Le président,

T. CELERIER

Le greffier,

C. POPSE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°s 19NT00831, 19NT04863


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT00831
Date de la décision : 05/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CELERIER
Rapporteur ?: Mme Pénélope PICQUET
Rapporteur public ?: M. SACHER
Avocat(s) : SCP OMNIA LEGIS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-06-05;19nt00831 ?
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