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06/03/2020 | FRANCE | N°18NT02092

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 06 mars 2020, 18NT02092


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Sous le n° 1500209, la société anonyme d'habitations à loyer modéré (SA d'HLM) Armorique Habitat a demandé au tribunal administratif de Rennes, à titre principal, d'annuler trois décisions du 21 novembre 2014 par lesquelles l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) a procédé à des corrections financières sur le montant de subventions relatives à des marchés de maîtrise d'oeuvre et de travaux et, à titre subsidiaire, d'annuler la décision du 21 novembre 2014 par laquelle

l'ADEME a appliqué une correction de 25 % sur les dépenses de travaux et de 100 % ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Sous le n° 1500209, la société anonyme d'habitations à loyer modéré (SA d'HLM) Armorique Habitat a demandé au tribunal administratif de Rennes, à titre principal, d'annuler trois décisions du 21 novembre 2014 par lesquelles l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) a procédé à des corrections financières sur le montant de subventions relatives à des marchés de maîtrise d'oeuvre et de travaux et, à titre subsidiaire, d'annuler la décision du 21 novembre 2014 par laquelle l'ADEME a appliqué une correction de 25 % sur les dépenses de travaux et de 100 % sur les dépenses de maitrise d'oeuvre prévues par la convention n° 38623 portant sur la rénovation de 116 logements, d'annuler la décision du 21 novembre 2014 par laquelle cette agence a appliqué une correction de 25 % sur les dépenses de travaux prévues par la convention n° 38621 portant sur la rénovation de 6 logements et d'annuler la décision du 21 novembre 2014 par laquelle cette même agence a appliqué une correction de 25 % sur les dépenses de travaux prévues par la convention n° 38622 portant sur la rénovation de 6 logements.

Sous le n° 1503365, la SA d'HLM Armorique Habitat a demandé au tribunal administratif de Rennes, à titre principal, d'annuler quatre décisions du 7 mai 2015 par lesquelles l'ADEME a procédé à des corrections financières sur le montant de subventions relatives à des marchés de maîtrise d'oeuvre et de travaux et, à titre subsidiaire, d'annuler la décision du 7 mai 2015 par laquelle l'ADEME a appliqué une correction de 25 % sur les travaux et 100 % sur la maitrise d'oeuvre relatifs à la convention n° 40896 portant sur la rénovation de 32 logements, d'annuler la décision du 7 mai 2015 par laquelle l'ADEME a appliqué une correction de 25 % sur les travaux et 100% sur la maitrise d'oeuvre relatifs à la convention n° 40895 portant sur la rénovation de 20 logements et d'annuler la décision du 7 mai 2015 par laquelle cette agence a appliqué une correction de 25 % sur les travaux et 100 % sur la maitrise d'oeuvre relatifs à la convention n° 40893 portant sur la rénovation de 38 logements.

Sous le n° 1604124, la SA d'HLM Armorique Habitat a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler le titre exécutoire n° 16TR0001160 du 17 mai 2016, notifié le 25 juillet 2016, d'un montant de 31 092,07 euros émis à son encontre par l'ADEME, de condamner cette agence à lui rembourser la somme de 31 092,07 euros et d'annuler la décision du 7 mai 2015 par laquelle l'ADEME a appliqué une correction de 25 % sur les travaux et de 100% sur la maitrise d'oeuvre relatifs à la convention n° 40894 portant sur la rénovation de 36 logements.

Par un jugement n°s 1500209, 1503365 et 1604124 du 29 mars 2018, le tribunal administratif de Rennes a annulé les décisions de l'ADEME du 21 novembre 2014 et du 7 mai 2015 en tant qu'elles procèdent à des corrections financières de 25 % sur le montant des subventions accordées pour les dépenses relatives aux travaux de réhabilitation de logements dans le Finistère (article 1er), a annulé le titre exécutoire du 17 mai 2016 en tant qu'il porte sur un trop-perçu d'une subvention relative aux travaux (article 2), a déchargé la SA d'HLM Armorique Habitat du paiement de la somme de 29 537,47 euros (article 3), a enjoint à l'ADEME de verser à la SA d'HLM Armorique Habitat la somme de 29 537,47 euros dans le délai de deux mois (article 4), a rejeté le surplus des conclusions des requêtes (article 5), a mis à la charge de l'ADEME le versement à la SA d'HLM Armorique Habitat de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 6) et a rejeté les conclusions présentées au titre de cet article par l'ADEME (article 7).

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 mai 2018, l'ADEME, représentée par la SCP Omnia Legis, demande à la cour :

1°) d'annuler les article 1er, 2, 3, 4 et 6 du jugement du 29 mars 2018 du tribunal administratif de Rennes ;

2°) de rejeter les demandes de première instance de la SA d'HLM Armorique Habitat et en conséquence de condamner cette société au remboursement d'une somme de 29 537,47 euros ;

3°) de mettre à la charge de la SA d'HLM Armorique Habitat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la SA d'HLM a fait réaliser des programmes de travaux de rénovation pour lesquels l'ADEME lui a versé des aides financées par le Fonds européen de développement régional (FEDER) ; à ce titre l'ADEME était tenue d'opérer des " corrections financières " sur les aides ainsi versées si la SA d'HLM Armorique Habitat ne respectait pas certaines des conditions auxquelles celles-ci étaient subordonnées, au nombre desquelles figure le respect des règles en matière de marchés publics ;

- or, premièrement, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal administratif, les marchés de travaux en cause, conclus par la SA d'HLM Armorique Habitat, ont fait l'objet d'une procédure d'appel d'offres, alors même que cette société n'était pas tenue de recourir à une telle procédure de passation ; cela résulte des énonciations des règlements particuliers d'appel d'offres, des avis d'appel public à la concurrence, des attestations de publication des marchés de travaux, du procès-verbal d'ouverture des plis des offres du 19 septembre 2011 ; dès lors, la SA d'HLM Armorique Habitat était tenue de respecter la réglementation applicable aux marchés soumis à la procédure d'appel d'offre, ce qu'elle n'a pas fait ; en tout état de cause, la SA d'HLM Armorique Habitat était tenue, en vertu de la communication de la Commission européenne 2006/C179/02 et de l'article 6 de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005, de respecter, pour les marchés de travaux qu'elle a passés, les principes généraux de la commande publique, et notamment les principes d'égalité de traitement des candidats et de transparence ; cependant, la publicité dont a fait l'objet la procédure de passation des marchés de travaux correspondant aux conventions de subventionnement portant les numéros 40893, 40894, 40895 et 40896 n'était, compte tenu du montant global de ces marchés, pas suffisante ; de même, les marchés correspondant aux conventions de subventionnement portant le numéro 38623, d'une part, et les numéros 38621 et 38622, d'autre part, qui portaient sur une opération unique, n'ont pas fait l'objet d'une publicité adéquate compte tenu de leur montant global ;

- deuxièmement, si l'article 4 du règlement particulier d'appel d'offres de chacun des marchés de travaux litigieux indique les critères d'attribution retenus pour sélectionner les offres, les avis d'appel public à la concurrence ne les reprennent pas ; ainsi, la SA d'HLM Armorique Habitat n'a pas fourni aux entreprises candidates une information sur les critères de sélection des candidatures appropriée à l'objet, aux caractéristiques et au montant du marché concerné, de nature à assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ;

- troisièmement, dans les marchés litigieux, la pondération des critères d'attribution des offres n'était pas portée à la connaissance des candidats ;

- quatrièmement, il ressort de l'article 4 de chaque règlement particulier d'appel d'offres que la SA d'HLM Armorique Habitat a retenu comme critère de sélection des offres des marchés de travaux celui des " garanties professionnelles, financières et de la qualité des candidats ", alors que, selon les articles 23 et 24 de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005, il s'agissait d'un critère de recevabilité des candidatures ; en tout état de cause, ce critère, pourtant énoncé, n'a pas été appliqué pour évaluer les offres, qui finalement n'ont été analysées qu'au regard du seul critère du prix ; ainsi, les principes d'égalité de traitement et de transparence applicable aux marchés publics n'ont pas été respectés ;

- cinquièmement, mis à part le critère du " coût d'utilisation ", les critères d'attribution des offres, qui sont soit génériques soit imprécis, étaient sans lien avec l'objet des marchés en cause ; ils ne permettent donc pas de déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse au regard de l'objet des marchés litigieux ;

- sixièmement, et en tout état de cause, à l'exception du critère tenant au prix, les critères énoncés dans les règlements de consultation n'ont pas été appliqués ;

- septièmement, d'après le procès-verbal du 19 septembre 2011, les lots 1, 3 et 6 du marché consistant en la réhabilitation de 87 logements ont été déclarés infructueux par la commission d'appel d'offres ; or ce caractère infructueux n'a, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, pas été justifié antérieurement au contentieux engagé devant le tribunal administratif ; les justifications de ce caractère infructueux n'étant pas précisées, il est impossible de déterminer si la SA d'HLM Armorique Habitat a respecté les règles de procédure applicables pour l'attribution des lots déclarés infructueux

- ainsi, la SA d'HLM Armorique Habitat a commis des irrégularités dans le cadre de la passation des marchés de travaux en cause, identifiées comme les irrégularités n° 1 et 16 dans la décision de la Commission C(2013)9527 final ; l'ADEME était donc tenue de procéder à des corrections financières, en sorte que les décisions du 21 novembre 2014 et du 7 mai 2015 sont fondées ;

- par ailleurs, la décision du 21 novembre 2014 visant à appliquer une correction financière concernant le marché n° 38623 étant légale, le titre exécutoire du 17 mai 2016 visant à recouvrir le trop-perçu d'un montant de 31 092,07 euros versé par l'ADEME au titre des subventions accordées par le FEDER n'est pas entaché d'illégalité.

Par un mémoire, enregistré le 19 juillet 2018, la SA d'HLM Armorique Habitat, représentée par la SELARL Siam Conseil, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'ADEME une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation ;

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

- l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 ;

- le décret n°2005-1742 du 30 décembre 2005 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jouno, rapporteur,

- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant l'ADEME, et de Me C..., représentant la SA d'HLM Armorique Habitat.

Considérant ce qui suit :

1. La société anonyme d'habitations à loyer modéré (SA d'HLM) Armorique Habitat a entrepris des opérations de rénovation de plus de deux-cents logements dans le département du Finistère qui l'ont amenée à passer, en qualité de pouvoir adjudicateur, des marchés de maîtrise d'oeuvre et de travaux. L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), agissant en qualité d'" organisme intermédiaire gestionnaire " de ressources issues du Fonds européen de développement régional (FEDER), a accepté d'orienter une partie de ces ressources vers le financement de ces projets et conclu à cet effet avec la SA d'HLM Armorique Habitat sept conventions attributives de subventions, rédigées sur le même modèle.

2. La première des conventions ainsi conclues, n° 38621 du 27 C... 2014, prévoyait le versement à la SA d'HLM Armorique Habitat d'une subvention maximale de 35 700,09 euros au titre du FEDER pour une opération de réhabilitation de six pavillons à Plougasnou (Finistère) et de transformation de ceux-ci en trois logements. La deuxième convention, n° 38622 du 27 C... 2014, impliquait l'attribution d'une subvention maximale de 35 500,01 euros pour la réhabilitation de six pavillons à Plouigneau (Finistère) et leur transformation en trois logements. La troisième convention, n° 38623 du 5 novembre 2013, avait trait au subventionnement par le FEDER, à hauteur au maximum de 429 888,07 euros, d'une opération globale de réhabilitation thermique de 87 logements répartis en secteur diffus dans le Finistère. Les quatre dernières conventions, n° 40893, n° 40894, n° 40895 et n° 40896, datées du 24 février 2014, portaient sur l'attribution des sommes maximales respectives de 200 034,02 euros, 188 398,86 euros, 113 955,32 euros et 184 066,20 euros, à titre de subvention du FEDER pour des projets de réhabilitation énergétique concernant respectivement 38, 36, 20 et 32 logements dans le département du Finistère. Dans les conventions ainsi conclues, l'article 4 ainsi que l'annexe II précisaient le taux de subventionnement des dépenses regardées comme éligibles, lesquelles comprenaient, d'une part, des dépenses de travaux, et d'autre part, des dépenses de maîtrise d'oeuvre afférentes à ces travaux. En contrepartie de ce subventionnement, la SA d'HLM Armorique Habitat acceptait notamment, ainsi qu'il ressort de l'article 9 de chacune des conventions, de respecter, dans le cadre des projets bénéficiant des fonds attribués par l'ADEME, " les politiques communautaires (...) et notamment les règles de (...) passation des marchés publics (...) ". L'article 8 de ces conventions stipulait qu'en cas de non-respect de cet engagement, l'ADEME mettait " fin à l'aide et exige[ait] le reversement partiel ou total des sommes versées ".

3. A l'issue de contrôles menés à son initiative, l'ADEME a estimé que les règles de passation des marchés publics n'avaient pas été respectées par la SA d'HLM Armorique Habitat, ce qui, selon elle, justifiait l'application de " corrections financières " sur les subventions accordées, c'est-à-dire la diminution voire la suppression de celles-ci. Ainsi, par trois décisions du 21 novembre 2014 et quatre décisions du 7 mai 2015, l'ADEME a appliqué des corrections financières correspondant à 25 % du montant des subventions accordées pour les dépenses de travaux et à 100 % du montant de celles attribuées au titre des dépenses de maîtrise d'oeuvre. Par ailleurs, constatant qu'elle avait déjà versé à la SA d'HLM Armorique Habitat une somme de 257 932,84 euros au titre de la convention n° 38623 alors que, après application des corrections financières, cette société ne pouvait prétendre, en application de cette convention, qu'à un subventionnement de ses projets à hauteur de 226 840,77 euros, l'ADEME a informé cette société, par un courrier du 21 C... 2016, qu'elle devait lui reverser un trop-perçu s'élevant à 31 092,07 euros. En l'absence de paiement spontané de cette somme, l'ADEME a émis, le 17 mai 2016, un titre exécutoire afin d'en obtenir le remboursement.

4. Par un jugement du 29 mars 2018, le tribunal administratif de Rennes a, d'une part, annulé les décisions du 21 novembre 2014 et du 7 mai 2015 en tant qu'elles procédaient à des corrections financières de 25 % sur le montant des subventions accordées pour les marchés de travaux et, d'autre part, annulé le titre exécutoire du 17 mai 2016, en tant qu'il portait sur un trop-perçu de subventions relatives aux marchés de travaux. L'ADEME relève appel de ce jugement dans cette mesure.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les décisions du 21 novembre 2014 et du 7 mai 2015 :

5. Indépendamment des actions indemnitaires qui peuvent être engagées contre la personne publique, les recours relatifs à une subvention, qu'ils aient en particulier pour objet la décision même de l'octroyer, quelle qu'en soit la forme, les conditions mises à son octroi par cette décision ou par la convention conclue en application de l'article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, ou encore les décisions de la personne publique auxquelles elle est susceptible de donner lieu, notamment les décisions par lesquelles la personne publique modifie le montant ou les conditions d'octroi de la subvention, cesse de la verser ou demande le remboursement des sommes déjà versées, ne peuvent être portés que devant le juge de l'excès de pouvoir, par le bénéficiaire de la subvention ou par des tiers qui disposent d'un intérêt leur donnant qualité à agir.

6. En l'espèce, dans les deux décisions du 21 novembre 2014 portant sur les conventions n° 38621 et n° 38622 l'ADEME a réduit de 25 % le montant de la subvention dont devait bénéficier la SA d'HLM Armorique Habitat au titre des dépenses de travaux au motif que, d'une part, cette société avait soumis, de son propre gré, les marchés de travaux en cause à une procédure formalisée, à savoir un appel d'offre ouvert, sans respecter les règles de publicité applicables en ce cas et que, d'autre part, et en tout état de cause, les principes d'égal accès à la commande publique et de transparence avaient été méconnus. Ces décisions précisaient à cet égard que les critères de sélection des offres n'avaient pas été pondérés et qu'un critère relatif à la sélection des candidatures avait été irrégulièrement appliqué à la sélection des offres. Par ailleurs, dans la décision du 21 novembre 2014 portant sur la convention n° 38623, l'ADEME a appliqué une correction financière de 25 % aux subventions concernant les dépenses de travaux au motif que trois lots avaient été déclarés infructueux sans que cela fasse l'objet de justifications motivées et que le procès-verbal d'analyse des offres, qui faisait était des résultats d'une " négociation ", ne révélait aucune analyse du mérite des offres au regard des critères de sélection de celles-ci mentionnés dans le règlement de consultation. L'ADEME en déduisait, dans cette décision, que, pour les marchés de travaux passés par la SA d'HLM Armorique Habitat en vue de la réhabilitation thermique de 87 logements dans le Finistère, les règles afférentes aux procédures d'appels d'offres, auxquelles cette société s'était volontairement soumise, ainsi que les principes d'égal accès à la commande publique et de transparence, avaient été méconnus. Enfin, dans les décisions du 7 mai 2015 portant sur les conventions n° 40893, n° 40894, n° 40895 et n° 40896, l'ADEME a relevé que la SA d'HLM Armorique Habitat s'était, de sa propre volonté, soumise, pour les marchés conclus en vue de la réalisation des travaux mentionnés dans ces conventions, au régime juridique des appels d'offres ouverts sans pour autant respecter les règles de publicité et de sélection des offres propres à ces appels d'offres. Cependant, elle n'a justifié l'application d'une réfaction de 25 % sur le montant de la subvention relative aux dépenses de travaux que par la circonstance que, parmi les documents qui lui avaient été remis, aucun ne permettait de déterminer comment les différents critères de sélection des offres mentionnés dans le règlement de consultation avaient été " mis en oeuvre ".

7. Le tribunal administratif a estimé, aux points 14 et 15 du jugement attaqué, que ces différents motifs des décisions du 21 novembre 2014 et du 7 mai 2015 étaient entachés d'erreurs d'appréciation. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la SA d'HLM Armorique Habitat qui, en vertu de l'article L. 433-1 du code de la construction et de l'habitation, entre dans le champ d'application de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005, a explicitement engagé des procédures de passation qualifiées d'" appels d'offres ouverts " en vue de la conclusion des marchés de travaux portant sur les opérations de rénovation ou de réhabilitation cofinancées par le FEDER. D'ailleurs, les règles particulières afférentes à la consultation des entreprises étaient, pour chacun de ces marchés, consignées dans un " règlement particulier d'appel d'offres ", dont les termes clairs indiquent que la procédure appliquée était un " appel d'offres ". Cette société a ainsi entendu se soumettre volontairement, pour la passation de l'ensemble de ces marchés, au régime juridique des procédures formalisées, et plus spécifiquement de l'appel d'offres ouvert, prévu par l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 et le décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005 pris pour son application. Dès lors, l'ensemble des règles propres aux procédures formalisées était applicable aux marchés de travaux en cause. En particulier, leur étaient applicables, d'une part, le II de l'article 16 du décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005, aux termes duquel " l'avis d'appel à concurrence est envoyé pour publication au Journal officiel de l'Union européenne (...) " et, d'autre part, le IV de l'article 24 du même décret, aux termes duquel " (...) lorsque plusieurs critères [de sélection des offres] sont prévus, le pouvoir adjudicateur précise leur pondération ".

8. Or, en premier lieu, il ressort des pièces du dossier que les avis d'appel d'offres relatifs à l'ensemble des marchés précités, qui ont été publiés dans les pages d'annonces légales d'un quotidien local, n'ont pas été envoyés à la publication au journal officiel de l'Union européenne.

9. En deuxième lieu, les six critères de sélection des offres mentionnés à l'article 4.1. du règlement particulier d'appel d'offres applicable aux marchés de travaux litigieux n'étaient affectés d'aucune pondération. Au surplus, le seul critère de choix retenu en définitive par le pouvoir adjudicateur, s'agissant de ces marchés, a été celui tenant au " prix des prestations ", énoncé en premier dans chaque règlement de consultation.

10. En troisième lieu, s'agissant des marchés de travaux nécessaires à la réalisation du projet subventionné par la convention n° 38623, les attributaires de lots ont été choisis, ainsi qu'il ressort du " procès-verbal de la commission d'ouverture des plis " du 14 février 2013 à l'issue d'une " négociation ", sans que les critères de sélection des offres énoncés à l'article 4.1 du règlement de consultation aient été pris en compte.

11. Il suit de là que, pour aucun des marchés concernés, les règles de passation précitées n'ont été respectées. Ces irrégularités, qui n'ont pu, compte tenu de leur nature, rester sans incidence sur l'issue des procédures de passation, constituent des cas de non-respect des " règles de (...) passation des marchés publics " au sens de l'article 9 des conventions dont il s'agit. Par suite, c'est à tort que, la proportionnalité des corrections financières n'étant pas par ailleurs contestée, les premiers juges ont tenu pour entachés d'erreur d'appréciation les motifs sur lesquels reposaient, dans les sept décisions contestées, les corrections financières appliquées par l'ADEME.

12. Il appartient dès lors à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner le surplus des moyens soulevés par la SA d'HLM Armorique Habitat devant le tribunal administratif à l'appui des conclusions tendant à l'annulation des décisions du 21 novembre 2014 et du 7 mai 2015.

13. En premier lieu, la SA d'HLM Armorique Habitat soutient que les décisions des 21 novembre 2014 et 7 mai 2015 ont été prises par une autorité incompétente. Il ressort toutefois de l'article 11 d'un acte du 20 mars 2014 du président du conseil d'administration de l'ADEME que M. A... D..., " directeur régional Bretagne " de l'ADEME, a reçu délégation de signature l'autorisant notamment à " certifier les services faits, liquider et mandater toutes les dépenses " de cette agence. Or, il ressort des pièces du dossier que par les décisions contestées M. D... s'est borné à vérifier la réalité de la dette de l'agence à l'égard de la SA d'HLM Armorique Habitat résultant de la conclusion des conventions mentionnées ci-dessus. Il a donc agi dans la limite des compétences pour lesquelles il disposait d'une délégation de signature. Par suite le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions contestées doit être écarté comme manquant en fait.

14. En second lieu, l'attribution d'une subvention par une personne publique crée des droits au profit de son bénéficiaire. Toutefois, de tels droits ne sont ainsi créés que dans la mesure où le bénéficiaire de la subvention respecte les conditions mises à son octroi, que ces conditions découlent des normes qui la régissent, qu'elles aient été fixées par la personne publique dans sa décision d'octroi, qu'elles aient fait l'objet d'une convention signée avec le bénéficiaire, ou encore qu'elles découlent implicitement mais nécessairement de l'objet même de la subvention.

15. Au cas particulier, la SA d'HLM Armorique Habitat soutient que l'ADEME a retiré les actes par lesquels elle lui avait attribué des subventions hors le délai de retrait des décisions créatrices de droit. Toutefois, ainsi qu'il a été dit, c'est sans commettre d'erreur d'appréciation que l'ADEME a estimé que la SA d'HLM Armorique Habitat avait méconnu les règles de passation applicables à ses marchés de travaux, alors que le subventionnement dont elle bénéficiait était subordonné expressément, selon l'article 9 des conventions conclues avec l'agence, au respect de ces règles. Cette société ne peut donc utilement soutenir que les actes d'attribution des subventions ont été retirés hors le délai de retrait des décisions créatrices de droit.

16. Il suit de là que l'ADEME est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, les décisions contestées des 21 novembre 2014 et 7 mai 2015 ont été annulées.

En ce qui concerne les conclusions dirigées contre le titre exécutoire du 17 mai 2016 :

17. Les premiers juges, accueillant l'exception d'illégalité de la décision du 21 novembre 2014 relative à la convention n° 38623, ont annulé le titre exécutoire du 17 mai 2016. Toutefois, dès lors que cette exception d'illégalité, seul moyen soulevé à l'appui des conclusions dirigées contre ce titre, devait être écartée, l'ADEME est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 2 du jugement attaqué, cette annulation a été prononcée, que, par l'article 3 du même jugement, la SA d'HLM Armorique Habitat a été déchargée de l'obligation de payer une quote-part du montant porté sur le titre exécutoire du 17 mai 2016 et que, par l'article 4 du même jugement, l'ADEME a été condamnée à reverser à la SA d'HLM Armorique Habitat la somme correspondant à cette quote-part.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en première instance :

18. Compte tenu de ce qui a été dit, c'est à tort que, par l'article 6 du jugement attaqué, les premiers juges ont mis à la charge de l'ADEME, qui ne devait pas être regardée comme partie perdante, une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les frais liés au litige :

19. L'ADEME est fondée à demander qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la SA d'HLM Armorique Habitat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, cette société, qui est partie perdante, n'est pas fondée à demander qu'une somme soit mise à la charge de l'agence au titre de ces dispositions.

DECIDE :

Article 1er : Les articles 1er, 2, 3, 4 et 6 du jugement nos 1500209, 1503365 et 1604124 du 29 mars 2018 du tribunal administratif de Rennes sont annulés.

Article 2 : Les demandes présentées par la SA d'HLM Armorique Habitat devant le tribunal administratif de Rennes sont rejetées.

Article 3 : La SA d'HLM Armorique Habitat versera une somme de 1 500 euros à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SA d'HLM Armorique Habitat et à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie.

Délibéré après l'audience du 11 février 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- M. Jouno, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 6 mars 2020.

Le rapporteur,

T. JounoLe président,

L. Lainé

Le greffier,

V. Desbouillons

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 18NT02092

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Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Thurian JOUNO
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : SCP OMNIA LEGIS

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Date de la décision : 06/03/2020
Date de l'import : 18/04/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 18NT02092
Numéro NOR : CETATEXT000041709519 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-03-06;18nt02092 ?
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