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13/02/2020 | FRANCE | N°19NT04048

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 13 février 2020, 19NT04048


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 14 août 2019 par laquelle la préfète d'Ille-et-Vilaine a prononcé son transfert auprès des autorités espagnoles pour l'examen de sa demande d'asile et la décision du même jour par laquelle cette préfète l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1904200 du 22 août 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée

le 16 octobre 2019, M. E... K... C... B..., représenté par Me H..., demande à la cour :

1°) d'annul...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 14 août 2019 par laquelle la préfète d'Ille-et-Vilaine a prononcé son transfert auprès des autorités espagnoles pour l'examen de sa demande d'asile et la décision du même jour par laquelle cette préfète l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1904200 du 22 août 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 octobre 2019, M. E... K... C... B..., représenté par Me H..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1904200 du tribunal administratif de Rennes du 22 août 2019 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision par laquelle la préfète d'Ille-et-Vilaine a prononcé son transfert auprès des autorités espagnoles ;

3°) d'enjoindre à la préfète d'Ille-et-Vilaine, à titre principal, de l'autoriser à solliciter l'asile en France et de lui délivrer une attestation en tant que demandeur d'asile dans un délai de trois jours, et à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son avocat au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat.

Il soutient que :

- les dispositions de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ; sa fille, F... A..., est bénéficiaire de la protection subsidiaire et les autorités espagnoles n'ont pas été averties de cet élément essentiel à la détermination de l'Etat responsable ;

- les dispositions de l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ; sa demande d'asile doit être examinée en France dès lors que sa fille a été admise au bénéfice de la protection subsidiaire en France ; il a engagé une procédure pour la fixation de ses droits parentaux envers sa fille ;

- les dispositions des articles 3.1 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant et de l'article 6 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ; l'intérêt supérieur de sa fille implique qu'il demeure sur le territoire français le temps de l'examen de sa demande d'asile ; il justifie de liens intenses avec sa fille ;

- les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues ; il entretient des liens familiaux stables et intenses sur le territoire français ; sa fille réside à Caen avec son ancienne compagne, tandis qu'il vit à Rennes chez sa soeur ;

- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation quant à l'application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 décembre 2019, la préfète d'Ille-et-Vilaine conclut au non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête de M. C... B....

Il soutient que l'arrêté de transfert ayant été exécuté le 15 novembre 2019, la requête de M. C... B... a perdu son objet.

M. C... B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 5 novembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le décret n° 2019-38 du 23 janvier 2019 ;

- l'arrêté du 10 mai 2019 désignant les préfets compétents pour enregistrer les demandes d'asile et déterminer l'Etat responsable de leur traitement ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme I..., première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... K... C... B..., ressortissant mauritanien né en mars 1980, est entré en France en décembre 2018, en possession d'un visa délivré par les autorités espagnoles valable entre le 27 février 2018 et le 26 février 2020. Il a déposé une demande d'asile qui a été enregistrée le 19 mars 2019. Par un arrêté du 14 août 2019, la préfète d'Ille-et-Vilaine a prononcé son transfert auprès des autorités espagnoles pour l'examen de sa demande d'asile et, par un arrêté du même jour, a également prononcé son assignation à résidence. Par un jugement du 22 août 2019 le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de l'intéressé tendant à l'annulation de ces deux décisions. M. C... B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre la décision portant transfert auprès des autorités espagnoles.

Sur l'exception de non-lieu à statuer :

2. Contrairement à ce que soutient la préfète intimée, la circonstance que le transfert de M. C... B... auprès des autorités espagnoles a été exécuté le 15 novembre 2019 ne prive pas d'objet les conclusions de ce dernier tendant à l'annulation de la décision du 14 août 2019, portant transfert auprès des autorités espagnoles pour l'examen de sa demande d'asile. Il suit de là que l'exception de non-lieu à statuer soulevé par la préfète d'Ille-et-Vilaine n'est pas fondée et doit être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. En premier lieu, l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dispose que : " Si un membre de la famille du demandeur, que la famille ait été ou non préalablement formée dans le pays d'origine, a été admis à résider en tant que bénéficiaire d'une protection internationale dans un État membre, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit ". Par ailleurs, l'article 2 du même règlement définit comme " membres de la famille, dans la mesure où la famille existait déjà dans le pays d'origine, les membres suivants de la famille du demandeur présents sur le territoire des Etats membres : / - le conjoint du demandeur, ou son ou sa partenaire non marié(e) engagé(e) dans une relation stable (...) / - les enfants mineurs des couples visés au premier tiret ou du demandeur (...) ".

4. M. C... B... invoque la méconnaissance des dispositions de l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 en faisant état de la présence en France de sa fille F... A..., née à Caen en octobre 2010, qui bénéficierait de la protection subsidiaire depuis décembre 2011. Néanmoins, si le conseil de M. C... B... a adressé aux services de la préfecture le 2 août 2019, antérieurement à la décision contestée de transfert auprès des autorités espagnoles, une demande tendant à voir, pour ce motif, la demande d'asile de l'intéressé examinée en France, il ne ressort aucunement des pièces du dossier que Mme G... A..., mère de la jeune F... et dont il n'est pas contesté qu'elle est seule détentrice de l'autorité parentale sur la petite fille, aurait exprimé le souhait écrit que la demande d'asile de M. C... B... soit examinée en France, ainsi que le prévoient expressément les dispositions de l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Enfin, la soeur de l'intéressé, étudiante en France, ne peut être regardée comme un membre de sa famille au sens des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 9 de ce règlement doit donc être écarté.

5. En deuxième lieu, l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dispose que : " 1. L'État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur. / Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif ("hit") Eurodac avec des données enregistrées en vertu de l'article 14 du règlement (UE) n o 603/2013, la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif en vertu de l'article 15, paragraphe 2, dudit règlement (...) / 3. Dans les cas visés aux paragraphes 1 et 2, la requête aux fins de prise en charge par un autre État membre est présentée à l'aide d'un formulaire type et comprend les éléments de preuve ou indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, et/ou les autres éléments pertinents tirés de la déclaration du demandeur qui permettent aux autorités de l'État membre requis de vérifier s'il est responsable au regard des critères définis dans le présent règlement (...) ".

6. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus au point 4 du présent arrêt, il ne ressort aucunement des pièces du dossier que la mère de la jeune F... A... aurait exprimé, au nom de sa fille, le souhait écrit que la demande d'asile de M. C... B... soit examinée en France. Dans ces conditions, la circonstance que la préfète d'Ille-et-Vilaine, qui a mentionné, sur le formulaire type de détermination de l'Etat responsable de l'examen de la demande de protection internationale, la présence en France de la jeune F..., n'a pas signalé que cette dernière serait bénéficiaire de la protection subsidiaire, est sans incidence sur la légalité de la décision contestée.

7. En troisième lieu, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) ". Par ailleurs, l'article 3.1 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant stipule que : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

8. Il ressort des pièces du dossier que la jeune F... A... est née en France en octobre 2010 et a été déclarée sous le seul nom de sa mère, Mme G... A..., dont il est constant qu'elle est, à la date de la décision contestée, la seule titulaire de l'autorité parentale sur la petite fille. M. C... B... n'a reconnu sa paternité de la jeune F... qu'en août 2018 et ne produit, antérieurement à son entrée en France, que trois photographies prises en 2013, 2015 et 2017. Depuis son entrée sur le territoire national, alors qu'il ne réside pas dans le même département que la petite fille, il ne produit que quelques photographies et ne justifie que de quelques achats effectués en mai 2019 au profit de cette dernière. Dans ces conditions, alors même que l'intéressé a engagé une procédure judiciaire pour se voir reconnaitre l'autorité parentale sur la jeune F... A..., M. C... B... n'établit pas contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de son enfant. Dans ces conditions, la décision portant transfert de M. C... B... auprès des autorités espagnoles pour l'examen de sa demande d'asile ne porte pas une atteinte excessive à son droit à une vie privée et familiale normale, ni ne méconnait l'intérêt supérieur de son enfant. Les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent donc être écartés.

9. En dernier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit. ".

10. Il résulte de ce qui a été dit précédemment au point 8 du présent arrêt et alors que M. C... B... ne produit aucun document de nature à établir qu'il serait dans une situation de particulière vulnérabilité imposant d'instruire sa demande d'asile en France, qu'il n'est pas établi que la préfète d'Ille-et-Vilaine aurait entaché la décision de transfert de M. C... B... auprès des autorités espagnoles d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés de la préfète d'Ille-et-Vilaine du 14 août 2019. Ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. C... B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... K... C... B..., à Me H... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise pour information à la préfète d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 28 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Rivas, président-assesseur,

- Mme I..., première conseillère.

Lu en audience publique le 13 février 2020.

La rapporteure,

M. I...Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

M. D...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT04048


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT04048
Date de la décision : 13/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie BERIA-GUILLAUMIE
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : TUYAA BOUSTUGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-02-13;19nt04048 ?
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