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31/01/2020 | FRANCE | N°18NT01246

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 31 janvier 2020, 18NT01246


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'office public de l'habitat (OPH) Bretagne Sud habitat a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner conjointement et solidairement, ou à défaut chacun pour son fait ou sa faute, les sociétés Bureau Veritas et Solorpec à lui verser la somme de 204 771,60 euros au titre des travaux de reprises résultant des désordres affectant les bâtiments dans le cadre d'un marché de réhabilitation de quatre immeubles au lieu-dit "Le Gumenen" à Auray, 18 723,38 euros au titre des frais d'expertise judicia

ire et 9 597,30 euros au titre des frais engagés pour les besoins des opér...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'office public de l'habitat (OPH) Bretagne Sud habitat a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner conjointement et solidairement, ou à défaut chacun pour son fait ou sa faute, les sociétés Bureau Veritas et Solorpec à lui verser la somme de 204 771,60 euros au titre des travaux de reprises résultant des désordres affectant les bâtiments dans le cadre d'un marché de réhabilitation de quatre immeubles au lieu-dit "Le Gumenen" à Auray, 18 723,38 euros au titre des frais d'expertise judiciaire et 9 597,30 euros au titre des frais engagés pour les besoins des opérations d'expertise.

Par un jugement n° 1600929 du 8 février 2018, le tribunal administratif de Rennes, d'une part, a condamné les sociétés Bureau Veritas Exploitation et Solorpec à verser conjointement et solidairement à l'OPH Bretagne Sud habitat les sommes de 96 681,33 euros TTC au titre des travaux de réparation, 8 637,57 euros TTC au titre des dépenses annexes liées à l'expertise et 16 851,04 euros au titre des frais d'expertise, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal avec capitalisation. D'autre part, la société Solorpec a été condamnée à garantir la société Bureau Veritas Exploitation à hauteur de 30 % des condamnations prononcées et cette dernière à garantir la société Solorpec à hauteur de 60 % des condamnations prononcées.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 22 mars, 28 novembre et 10 décembre 2018, la société Bureau Veritas exploitation, venant aux droits de la société Bureau Veritas, représentée par la société GVB, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du 8 février 2018 du tribunal administratif de Rennes en ce qu'il a retenu une faute contractuelle à son encontre, de prononcer en conséquence sa mise hors de cause, et d'ordonner la restitution de toute somme d'argent versée en conséquence, avec intérêts de droit ;

2°) subsidiairement, si une faute commise par l'exposante était retenue, de limiter l'indemnité de l'OPH au montant des ravalements des bâtiments D1 et D2 et de condamner à la garantir intégralement la société Solorpec et l'OPH Bretagne Sud habitat ;

3°) de mettre à la charge de l'OPH Bretagne Sud habitat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle ne peut être condamnée à supporter 60 % de l'indemnisation alors qu'eu égard à la nature et au contenu de sa prestation d'étude, au délai écoulé entre son rapport et les travaux, aux insuffisances du CCTP rédigé par l'OPH en qualité de maitre d'oeuvre de conception, à l'absence d'obligation pesant sur la société d'effectuer des mesures de perméabilité à la vapeur d'eau en laboratoire, ainsi qu'aux erreurs d'exécution lors de la réalisation des travaux en 2011, elle n'a pas commis de manquement dans l'élaboration de son diagnostic des façades, établi en 2006 selon les règles " ETICS " applicables, qui serait en lien direct avec les désordres apparus sur les façades à la suite des travaux ; en tout état de cause, si elle devait être condamnée ce ne serait que pour un montant et une part de responsabilité inférieurs à 60 % notamment au regard de celle de l'OPH ;

- le montant des travaux de reprise retenu par le tribunal est infondé en ce qu'il se fonde sur un devis intégrant des sommes indues ;

- il n'y a pas lieu à une condamnation solidaire au cas d'espèce alors que la société n'est intervenue qu'en qualité de diagnostiqueur, que la responsabilité de la société de peinture se révèle prépondérante, et celle du maitre d'oeuvre, maitre d'ouvrage, importante ; aussi la requérante sera garantie intégralement par la société Solorpec et l'OPH, en sa qualité de maitre d'oeuvre ;

- la cour jugera irrecevable, pour tardiveté, l'appel incident de l'OPH en ce qu'il tend à voir augmenter le quantum des condamnations prononcées.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 29 novembre 2018 et 29 mars 2019, l'office public de l'habitat Bretagne Sud habitat, représenté par la société Cabinet Coudray, conclut au rejet de la requête de la société Bureau Veritas exploitation et des conclusions de la société Solorpec et, par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement du tribunal administratif en ce qu'il a retenu l'existence d'une faute de l'office et rejeté partiellement sa demande de réparation au titre de ses préjudices, enfin, à la condamnation de la société Bureau Veritas et de la société Solorpec à lui verser la somme de 5 000 euros au titre des frais d'instance.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal retient une part de responsabilité de 10 % à son encontre et n'a pas fait droit à l'ensemble de sa demande indemnitaire : ainsi que l'a relevé l'expert, seule la responsabilité des sociétés Bureau Veritas et Solorpec est engagée ; si la société Bureau Veritas avait correctement exécuté sa mission, elle aurait préconisé l'interdiction de recouvrement par tout type de peinture ; la société Solorpec, face aux erreurs du rapport de la société Bureau Veritas, aurait dû alerter le maitre d'ouvrage ; l'OPH n'avait pas d'autres obligations que celles qu'il a exécutées ; l'option proposée par la société Solorpec ne répondait pas à un souci de conseil du maitre d'oeuvre mais à un intérêt économique ; les deux sociétés seront condamnées à réparer l'entier préjudice subi, soit 204 771,60 € ainsi que fixé par l'expert, et la totalité des frais d'expertise et de ses opérations annexes, soit 18 723,38 et 9 597,30 euros ;

- subsidiairement, les moyens soulevés par la société Bureau Veritas et la société Solorpec ne sont pas fondés ; les désordres trouvent leur origine directe certaine et exclusive dans la réalisation d'un recouvrement par peinture du complexe d'isolation thermique par l'extérieur dit " ETICS " en méconnaissance des règles professionnelles ; la responsabilité contractuelle de la société Bureau Veritas est engagée ; l'appel incident de la société Solorpec sera rejeté et la responsabilité contractuelle de cette société est engagée dès lors qu'il s'agit d'une aggravation des désordres réservés après mise en demeure d'y remédier, alors qu'en tout état de cause, il existe au cas d'espèce une garantie contractuelle de " bonne tenue " ; subsidiairement la responsabilité décennale de la société Solorpec est engagée eu égard à la nature des désordres qui affectent l'isolation thermique par l'extérieur ; cette société a manqué à son devoir de conseil ; le coût des travaux propres à remédier aux désordres est celui retenu par le tribunal qui n'est pas sérieusement contesté et ne pourrait être inférieur à 55 095,15 € ; les désordres trouvent leur source dans des fautes conjointes et communes des deux sociétés qui justifient la solidarité ;

- son appel incident est recevable compte tenu de l'identité de litige ;

- l'appel incident de la société Solorpec contre l'OPH est irrecevable dès lors qu'il s'agit de conclusions d'intimé à intimé.

Par des mémoires, enregistrés les 31 octobre 2018 et 6 janvier 2019, la société Solorpec, représentée par Me D..., conclut, par la voie de l'appel incident et provoqué, à titre principal, à la réformation du jugement en ce qu'il ne décide pas sa mise hors de cause, subsidiairement, à la condamnation de la société MMA à la garantir et la relever indemne de toutes condamnations qui seraient prononcées à son encontre, et, en tout état de cause, à réduire sa part de responsabilité en ordonnant un partage de responsabilité avec l'Office public Bretagne Sud habitat et la société Bureau Veritas, en limitant l'indemnisation due à 38 202,84 euros, en condamnant solidairement l'Office public Bretagne Sud habitat, la société Bureau Veritas, la compagnie MMA à la garantir de toutes les condamnations, et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Office public, de la société Bureau Veritas, de la compagnie MMA la somme de 3 500 euros au titre des frais d'instance.

Elle soutient que :

- à titre principal, elle sera mise hors de cause dès lors que l'Office a été défaillant en sa qualité de maitre d'oeuvre prescripteur et en sa qualité de maitre d'ouvrage en ce qu'il a choisi une solution financière moins onéreuse et en imposant une solution technique inadaptée ; la responsabilité de la société Bureau Veritas et de l'Office est engagée en raison de leur méconnaissance des règles professionnelles pour l'entretien et la rénovation des systèmes d'isolation technique par l'extérieur ;

- subsidiairement, les désordres relevés relèvent de la garantie décennale et, si sa responsabilité était retenue, la société MMA serait appelée en garantie ;

- si la cour confirmait la condamnation prononcée par le tribunal, elle devrait condamner solidairement l'Office avec les autres parties en raison de sa responsabilité en ses qualité de maitre d'oeuvre et de maitre d'ouvrage et prononcer un partage de responsabilité ;

- seul le ravalement des travaux des bâtiments D1 et D2, pour un montant de 38 202,84 euros, est à l'origine des désordres et l'indemnité doit être limitée en conséquence.

- sur les frais d'expertise, l'Office ne justifie pas qu'une ordonnance de taxation aurait été rendue en la défaveur de la société Solorpec.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., représentant la société Bureau Veritas Exploitation et Me A..., représentant l'office public de l'habitat Bretagne Sud habitat.

Considérant ce qui suit :

1. L'office public de l'habitat (OPH) Bretagne Sud habitat a engagé, en 2010, des travaux de réhabilitation d'immeubles, dont les bâtiments D1 et D2, situés à Auray (Morbihan). L'office avait antérieurement confié le 21 mars 2006 à la société Bureau Veritas un marché public de prestations de services portant sur un diagnostic technique préalable des façades et pignons de ces bâtiments. La réalisation des travaux de réhabilitation a été attribuée à un groupement conjoint d'entreprises, dont le mandataire est la société Botrel, le lot n° 7 Peinture étant confié à la société Solorpec. Des désordres affectant la peinture réalisée sur les bâtiments cités ci-dessus ayant été constatés, un expert judiciaire a été désigné en référé par le tribunal administratif de Rennes et a déposé son rapport le 29 juillet 2013. L'OPH a alors saisi ce tribunal d'une demande de condamnation conjointe et solidaire des sociétés Bureau Veritas et Solorpec à lui verser la somme de 204 771,60 euros au titre des travaux de reprise résultant des désordres affectant les façades des bâtiments, ainsi que les sommes de 18 723,38 euros au titre des frais d'expertise et de 9 597,30 euros au titre des frais engagés pour les besoins des opérations d'expertise. Par un jugement n° 1600929 du 8 février 2018, le tribunal administratif de Rennes a condamné conjointement et solidairement les sociétés Bureau Veritas Exploitation, venue aux droits de la société Bureau Veritas, et Solorpec à verser à l'OPH Bretagne Sud habitat les sommes de 96 681,33 euros TTC au titre des travaux de réparation consécutifs aux désordres relevés et 8 637,57 euros TTC au titre des dépenses annexes liées à l'expertise. Les frais d'expertise ont été mis à la charge des mêmes sociétés dans la limite de 16 851,04 euros. La société Solorpec a été condamnée à garantir la société Bureau Veritas Exploitation à hauteur de 30 % de ces condamnations et cette dernière a été condamnée à garantir la société Solorpec à hauteur de 60 % des mêmes condamnations. La société Bureau Veritas Exploitation relève appel de ce jugement. L'OPH Bretagne Sud habitat conclut au rejet de la requête de cette société et des conclusions de la société Solorpec et, par la voie de l'appel incident et provoqué, à la réformation du jugement du 8 février 2018, en ce qu'il retient une faute de l'office et rejette partiellement sa demande de réparation. Par la voie de l'appel incident et provoqué, la société Solorpec conclut, à titre principal, à la réformation du jugement en ce qu'il ne la met pas hors de cause, subsidiairement, à la condamnation de la société MMA à la garantir et la relever indemne de toutes condamnations qui seraient prononcées à son encontre, et, en tout état de cause, à réduire sa part de responsabilité en ordonnant un partage de responsabilité avec l'Office public et la société Bureau Veritas, en limitant l'indemnisation due à 38 202,84 euros, et en condamnant solidairement l'Office public, la société Bureau Veritas et la compagnie MMA à la garantir de toutes les condamnations.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. Il n'appartient qu'aux juridictions de l'ordre judiciaire de connaître des actions tendant au paiement des sommes dues par un assureur au titre de ses obligations de droit privé, alors même que l'appréciation de la responsabilité de son assuré dans la réalisation du fait dommageable relèverait de la compétence de la juridiction administrative. Il suit de là que les conclusions de la société Solorpec tendant à ce que son assureur, la société MMA Iard, la garantisse des condamnations prononcées à son encontre doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Sur l'appel principal de la société Bureau Veritas Exploitation :

3. Si l'exécution de l'obligation du débiteur d'une prestation d'étude prend normalement fin avec la remise de son rapport et le règlement par l'administration du prix convenu, sa responsabilité reste cependant engagée, en l'absence de toute disposition ou stipulation particulière applicable à ce contrat, à raison des erreurs ou des carences résultant d'un manquement aux diligences normales attendues d'un professionnel pour la mission qui lui était confiée, sous réserve des cas où, ces insuffisances étant manifestes, l'administration aurait, en payant la prestation, nécessairement renoncé à se prévaloir des fautes commises.

4. En premier lieu, il est constant que l'OPH Bretagne Sud habitat a confié contractuellement à la société Bureau Veritas en 2006 la réalisation d'un diagnostic technique des façades et pignons des immeubles D1 et D2, préalable obligatoire à la rédaction d'un cahier des clauses techniques particulières et aux travaux ultérieurs, lesquels ont été réalisés en 2010 - 2011. Les prestations incombant à la société sont énumérées dans son offre constituée par une lettre de proposition datée du 25 janvier 2006, qui a un caractère contractuel dès lors que l'article 2 de l'acte d'engagement du marché s'y réfère. Bureau Veritas devait ainsi réaliser : " - L'examen visuel des ouvrages, (...) - Les essais prévus à l'annexe B1, à savoir : Appréciation de la liaison isolant au support, Appréciation de la cohésion, Mesure de l'adhérence de l'enduit à l'isolant. Ceci dans le cas d'isolation par l'extérieur. ". Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que ces missions, matérialisées par un rapport du 10 avril 2006 assimilable à une prestation d'étude, impliquaient l'examen de l'état du dispositif d'isolation par l'extérieur et de la peinture qui le recouvrait. Or ces travaux ont été affectés de désordres, l'expert relevant sur l'ensemble des façades des réseaux de craquelages et des fissures en angle " affectant la totalité du système de peinture " et traduisant " une adhérence insuffisante de la dernière peinture appliquée sur son support ". Le procès-verbal de réception du 3 mai 2011 a d'ailleurs relevé dans ses réserves " des cloquages et des craquelages de la peinture de ravalement ". Ce diagnostic est ainsi susceptible d'engager la responsabilité contractuelle de la société Bureau Veritas Exploitation.

5. Or, la société Bureau Veritas a été chargée d'effectuer le diagnostic sollicité dans le respect des " règles professionnelles pour l'entretien et la rénovation de systèmes d'isolation thermique extérieure dites ETICS " de 2004, dès lors que les immeubles en litige comportaient des façades revêtues d'un complexe d'isolation thermique par l'extérieur composé de plaques de polystyrène recouvertes d'un enduit mince puis d'un revêtement plastique épais peint. La mise en oeuvre de ce corpus de règles professionnelles débute par une appréciation visuelle de l'état général du système d'isolation, dont le résultat implique ensuite des analyses différentes. Si seule la présence de salissures micro-organismes ou faïençages est identifiée, la reconnaissance ultérieure se fait uniquement selon un processus défini par une annexe " B1 reconnaissance préalable à l'entretien des ETICS " alors que, si d'autres défauts ou désordres sont observés, tels que des fissurations, affectant de manière définitive les surfaces examinées, il convient, en outre, de procéder à une reconnaissance ultérieure selon l'annexe " B2 Reconnaissance préalable à la rénovation des ETICS ". Au cas d'espèce, l'expert relève, s'agissant du Bureau Veritas, " sa carence technique manifeste en matière de diagnostic des ETICS " puisqu'il aurait dû, en sa qualité de professionnel réputé compétent, observer que le dispositif d'isolation thermique existant supportait déjà une peinture de maintenance et mentionner l'existence de fissures aux angles. Ce simple constat visuel qui aurait dû être réalisé impliquait, par référence aux règles professionnelles précitées, une reconnaissance ultérieure selon les annexes B1 et B2 et non, ainsi qu'il y a été procédé, à la seule reconnaissance selon l'annexe B1 qui a conduit au choix technique erroné d'une simple peinture de maintenance. En effet, une reconnaissance selon l'annexe B2 aurait conduit à une analyse en laboratoire de la perméabilité à la vapeur d'eau de l'enduit mince existant, avec sa finition, qui aurait immédiatement attesté, comme le précise l'expert, d'une perméabilité insuffisante pour un recouvrement par une peinture de maintenance, et, par suite, aurait conduit à interdire tout nouveau recouvrement par une peinture. C'est, dans ces conditions, l'apposition d'une nouvelle peinture en 2011 qui explique l'ensemble des désordres constatés consécutivement. Il ne résulte par ailleurs pas de l'instruction qu'une autre étude, incombant au seul OPH en sa qualité de maître d'oeuvre, aurait été nécessaire pour constater l'impossibilité de peindre à nouveau le dispositif d'isolation existant ou bien encore que le délai écoulé entre l'étude de 2006 et les travaux de 2011, puis les conditions de réalisation de ces travaux, auraient eu une incidence sur les désordres constatés. Ainsi, la société Bureau Veritas Exploitation n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'a commis aucun manquement au regard de la nature et du contenu de ses obligations contractuelles et que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a retenu sa responsabilité dans la survenance des désordres, le contrat conclu avec l'OPH ne comportant aucune clause excluant une telle responsabilité.

6. En deuxième lieu, eu égard à l'importance déterminante de la faute contractuelle tenant aux carences du rapport de diagnostic, la part imputable à la société Bureau Veritas dans la réalisation des désordres, comme le propose l'expert compte tenu de ce que " il était aisé pour un technicien averti de reconnaître la présence d'une peinture de maintenance " et que " La vérification des angles (arrêtes) n'a manifestement pas été faite par Bureau Veritas ", doit être évaluée à 80 %. Il en résulte que la requérante n'est pas davantage fondée à soutenir qu'elle devrait être garantie en totalité par la société Solorpec, qui a exécuté les travaux de peinture, et par l'OPH Bretagne Sud habitat, en sa qualité de maître d'oeuvre, ou que sa responsabilité devrait être réduite par rapport à celle retenue par le tribunal administratif. En troisième lieu, dès lors qu'il résulte de l'instruction que les fautes respectives des deux sociétés ont concouru à la réalisation des mêmes désordres, la requérante n'est pas fondée à se prévaloir de la nature différente de ses prestations d'étude pour soutenir qu'elle ne pouvait être condamnée solidairement avec la société Solorpec.

Sur les conclusions d'appel incident et provoqué de la société Solorpec :

7. En premier lieu, d'une part, en vertu des principes dont s'inspire l'article 1792-6 du code civil, la garantie de parfait achèvement due par l'entreprise s'étend à la reprise des désordres ayant fait l'objet de réserves dans le procès-verbal de réception comme à ceux qui apparaissent et sont signalés dans l'année suivant la date de réception. D'autre part, en l'absence de stipulations particulières prévues par les documents contractuels, lorsque la réception de l'ouvrage est prononcée avec réserves, les rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs se poursuivent au titre des travaux ou des parties de l'ouvrage ayant fait l'objet des réserves. Les relations contractuelles entre le responsable du marché et l'entrepreneur se poursuivent non seulement pendant le délai de garantie, mais encore jusqu'à ce qu'aient été expressément levées les réserves exprimées lors de la réception. Enfin, des désordres apparents à la réception des travaux ne sauraient relever de la responsabilité décennale des constructeurs. La société Solorpec ne peut dès lors être fondée à soutenir qu'à supposer que sa responsabilité soit engagée elle le serait sur le fondement de la garantie décennale.

8. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que l'apposition d'une nouvelle couche de peinture sur le dispositif d'isolation, après celle de 1994, est à l'origine des désordres constatés. La société Solorpec avait connaissance de cette situation dès lors qu'elle était indiquée au cahier des clauses techniques particulières du marché élaboré par l'OPH. Or il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que cette information, combinée avec le constat que le rapport du diagnostic de l'existant effectué par la société Bureau Veritas ne mentionnait nullement cette situation et ne comportait aucune analyse en conséquence, aurait dû susciter à tout le moins une interrogation d'un professionnel comme la société Solorpec sur la possibilité de procéder à une nouvelle peinture de l'existant, alors que la fragilité des systèmes d'isolation thermique par l'extérieur est connue en pareille hypothèse. Si cette société fait valoir qu'elle avait proposé à l'OPH une option en plus-value pour " le pelage général et réfection du système de finition ", il ne résulte pas de l'instruction que cette proposition venait à l'appui du constat technique nécessaire qu'elle aurait dû faire. Ainsi, sans qu'il soit besoin d'examiner l'exception d'irrecevabilité opposée par l'OPH Bretagne Sud habitat, la société Solorpec n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a retenu sa responsabilité contractuelle dans la survenance des désordres.

9. En troisième lieu, contrairement à ce que soutient la société Solorpec, il résulte de l'instruction qu'aucune faute ne peut être imputée à l'OPH Bretagne Sud habitat, tant en sa qualité de maître d'ouvrage, dès lors que la solution technique de maintenance des façades choisie n'a pas été déterminée par un critère économique mais par le diagnostic technique rédigé par Bureau Veritas, que dans ses fonctions de maître d'oeuvre, dès lors qu'ayant confié la reconnaissance des façades de ses immeubles à un organisme spécialisé l'Office n'avait aucune raison de vérifier les résultats du diagnostic ou de diligenter des études de conception supplémentaires pour déterminer le type de maintenance à mettre en oeuvre. Par ailleurs, pour s'exonérer du manquement à son devoir de conseil, la société Solorpec ne saurait reprocher à l'OPH de n'avoir pas inclus dans les documents contractuels la prescription du fabricant de la peinture, dès lors que la recommandation de ce dernier ne pouvait se substituer à la reconnaissance préalable du support impliquée par les règles professionnelles. Il résulte enfin de l'instruction qu'eu égard à la nature du manquement qui lui est imputable ayant concouru aux dommages, la part de responsabilité de la société Solorpec, qui a suivi sans s'interroger le constat erroné du rapport de diagnostic, doit être évaluée, comme le propose l'expert, à 20 %.

10. En quatrième lieu, en revanche, il résulte de l'instruction que les travaux de reprise des désordres n'impliquent pas seulement la pose d'un nouvel enduit et la réalisation de nouvelles peintures, auxquelles se limitait le marché initial, mais aussi le remplacement de l'ensemble du complexe d'isolation par l'extérieur, l'ensemble des travaux de réfection des façades des bâtiments D1 et D2 étant évalués par l'expert, sur la base de devis estimatifs, à 170 843 euros hors taxes. Le coût global de la réhabilitation de ces façades ne saurait être regardé comme résultant dans sa totalité directement des erreurs du rapport de diagnostic litigieux et des manquements subséquents de l'entreprise. La société Solorpec est ainsi fondée à soutenir que l'indemnisation due à l'OPH doit être limitée au coût des travaux de réfection du ravalement de ces façades, lesquels, au vu du devis le plus récent figurant au dossier, doivent être estimés à 55 095,15 euros TTC.

Sur les conclusions d'appel incident et provoqué de l'OPH Bretagne Sud Habitat :

11. En premier lieu, pour admettre une faute de l'OPH Bretagne Sud habitat, le jugement attaqué énonce que l'office a accepté le rapport de diagnostic émanant de la société Bureau Veritas alors qu'il le savait incomplet faute de réponse à sa demande portant sur la mesure de l'adhérence de l'enduit à l'isolant. Toutefois, ce rapport comporte une appréciation sur ce point, indiquant qu'" en aucun cas la rupture a lieu dans l'enduit. La rupture se produit dans l'épaisseur de l'isolant dans des pourcentages allant de 60 % à 100%. Les essais après humidification n'apportent pas de résultat moins bon. ". Par ailleurs, comme il a été dit dans les points précédents, il ne résulte pas de l'instruction qu'une faute soit imputable à l'OPH en sa qualité de maître d'ouvrage comme en celle de maître d'oeuvre. Par suite, l'OPH Bretagne Sud habitat est fondé à soutenir que c'est à tort que le jugement attaqué lui impute une faute et retient à ce titre à sa charge une part de responsabilité de 10 %.

12. En deuxième lieu, si la société Bureau Veritas avait réalisé correctement son travail de diagnostic, elle aurait uniquement conclu à l'impossibilité de repeindre ces bâtiments eu égard à la défectuosité constatée des isolants existants et, si l'office avait entendu poursuivre ses travaux de réhabilitation, il aurait dû préalablement opter, à ses frais, pour la réfection des isolants. En revanche, comme il a été dit au point 10, l'OPH a droit à l'indemnisation du coût de la réfection des ravalements effectués par la société Solorpec en 2011, dès lors que les travaux de cette dernière sur ce point se sont révélés inutiles et ont aggravé les dommages. Si le tribunal s'est fondé, afin d'effectuer cette évaluation, sur un devis du 13 janvier 2009, celui-ci intègre des sommes qui sont sans lien avec ces ravalements. Mais figure au dossier un devis d'une entreprise qui fait état de frais de ravalement, pour les bâtiments D1 et D2, de 55 095,15 euros TTC comme il a été dit au point 10. L'OPH Bretagne Sud habitat ne peut dès lors être fondé à soutenir que le principe de réparation intégrale des préjudices impliquerait qu'il soit indemnisé de la totalité des travaux de reprise des façades des bâtiments.

Sur les dépens :

13. En premier lieu, par une ordonnance du 11 septembre 2013, le président du tribunal administratif de Rennes a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expert désigné dans les instances n°s 1202012 et 1203045 à la somme de 18 723,38 euros, à la charge de l'OPH Bretagne Sud habitat. Cette expertise portait certes, outre les désordres affectant les bâtiments D1 et D2 seuls en débat ici, sur ceux concernant les immeubles H et I de la même résidence. Mais il est constant que les immeubles H et I étaient également affectés de désordres et que ce n'est qu'après le dépôt du rapport d'expertise que la société Solorpec a accepté de reprendre ceux-ci. Dans ces conditions, la totalité des frais d'expertise doit être mise à la charge des sociétés responsables.

14. En second lieu, il résulte de l'instruction que l'OPH Bretagne Sud habitat a exposé, dans le cadre de l'expertise et pour les besoins de celle-ci, des frais, justifiés par des factures, pour des montants respectifs de 7 026,50 euros TTC au titre des prestations d'analyses du laboratoire IREF, et de 2 570,80 euros TTC au titre de la location d'un camion nacelle nécessaire aux réunions d'expertise des 5 et 6 novembre 2012. Ces frais ont été utiles à l'expertise pour les bâtiments en litige. Il y a donc lieu de mettre à la charge solidaire des sociétés Bureau Veritas Exploitation et Solorpec également la somme de 9 597,30 euros TTC.

Sur les frais d'instance :

15. Il n'apparait pas inéquitable, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à la charge de chacune des parties les frais d'instances qu'elles ont exposées.

D E C I D E :

Article 1er : La somme de 96 681,33 euros TTC que les sociétés Bureau Veritas Exploitation et Solorpec ont été condamnées solidairement à verser à l'OPH Bretagne Sud habitat au titre des travaux réparatoires par l'article 2 du jugement attaqué est ramenée à 55 095,15 euros TTC.

Article 2 : Les sommes de 8 637,57 euros TTC et 16 851,04 euros TTC que les sociétés Bureau Veritas Exploitation et Solorpec ont été condamnées solidairement à verser à l'OPH Bretagne Sud habitat au titre des dépens, comprenant les dépenses annexes liées à l'expertise et les frais d'expertise, par les articles 2 et 3 du jugement attaqué, sont portées respectivement à 9 597.30 euros TTC et 18 723,38 euros TTC.

Article 3 : La société Bureau Veritas Exploitation garantira la société Solorpec à hauteur de 80 % des condamnations prononcées aux articles 1er et 2 du présent arrêt.

Article 4 : La société Solorpec garantira la société Bureau Veritas Exploitation à hauteur de 20 % des condamnations prononcées aux articles 1er et 2 du présent arrêt.

Article 5 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 8 février 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 1er à 4 du présent arrêt.

Article 6 : Le surplus de la requête de la société Bureau Veritas Exploitation et des conclusions de l'OPH Bretagne Sud habitat et de la société Solorpec sont rejetés.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la société Bureau Veritas Exploitation, à l'Office public de l'habitat Bretagne Sud habitat et à la société Solorpec.

Délibéré après l'audience du 14 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président,

- M. B..., président assesseur,

- Mme E..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 31 janvier 2020.

Le rapporteur,

C. B...

Le président,

L. Lainé

La greffière,

V. Desbouillons

La République mande et ordonne au préfet du Morbihan en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT01246


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT01246
Date de la décision : 31/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : SELARL GVB AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-01-31;18nt01246 ?
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