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17/01/2020 | FRANCE | N°19NT03885

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 17 janvier 2020, 19NT03885


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 12 août 2019 par laquelle le préfet de Maine-et-Loire a prononcé son transfert auprès des autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile et la décision du même jour par laquelle ce préfet l'a assignée à résidence.

Par un jugement n° 1909235 du 29 août 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 octob

re 2019, Mme F... A..., représentée par Me G..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n°...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 12 août 2019 par laquelle le préfet de Maine-et-Loire a prononcé son transfert auprès des autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile et la décision du même jour par laquelle ce préfet l'a assignée à résidence.

Par un jugement n° 1909235 du 29 août 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 octobre 2019, Mme F... A..., représentée par Me G..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1909235 du tribunal administratif de Nantes du 29 août 2019 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les décisions du 12 août 2019 par lesquelles le préfet de Maine-et-Loire a prononcé son transfert auprès des autorités italiennes et l'a assignée à résidence ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de reconnaitre la France responsable de l'examen de sa demande d'asile et de lui remettre une attestation de demande d'asile en procédure normale ainsi qu'un formulaire pour saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) prévu à l'article R. 723-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans un délai de cinq jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de trois mille euros à verser à son avocate au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat.

Elle soutient que :

. en ce qui concerne la décision portant transfert aux autorités italiennes :

- Mme C..., signataire de la décision n'est pas compétente ;

- la décision est insuffisamment motivée notamment au regard de sa particulière vulnérabilité ;

- les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ; elle ne sait pas lire ; il n'est pas établi que les informations lui ont été apportées au cours de l'entretien individuel ;

- les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ; l'entretien n'a pas été conduit par une personne qualifiée et de façon à garantir sa confidentialité ; le résumé d'entretien ne comporte ni signature, ni initiale, ni tampon permettant d'identifier le nom de la personne ayant mené l'entretien ; en méconnaissance des dispositions de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il n'est pas établi qu'il ait été nécessaire de recourir à un traducteur par le moyen de télécommunications ; la finalité de l'entretien, qui s'est déroulé sur un temps court de 15 minutes, n'a pas été respectée et l'entretien n'a pas permis de recueillir les données essentielles pour évaluer sa vulnérabilité ;

- le jugement n'a pas répondu au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il n'y a pas eu examen particulier de sa situation personnelle et notamment de sa vulnérabilité au sens de l'article L. 744-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de sa grossesse ; le jugement est insuffisamment motivé concernant ce moyen ;

- les dispositions de l'article 3.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ; il existe une situation de défaillance systémique de l'asile en Italie ; il existe un risque de refoulement vers son pays d'origine ; les conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile ne sont pas assurées, notamment pour les femmes enceintes, les parents isolés et les personnes souffrance de troubles mentaux ;

- le jugement n'a pas répondu au moyen tiré de l'absence de bénéfice des conditions matérielles d'accueil en Italie ;

- les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ; la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ; il existe un risque de traitements inhumains et dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne en cas de transfert en Italie ; elle a été victime de traite des êtres humains en Italie et est susceptible de l'être à nouveau ; elle est particulièrement vulnérable en raison de sa jeunesse, de sa constitution fragile, de sa grossesse et des séquelles psychiatriques causées par la prostitution forcée dont elle a été victime ;

. en ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :

- la décision produite ne comporte que la première page et le formulaire de notification et non la page comportant les obligations de l'assignation, l'identité et la signature de son auteur ; l'arrêté est entaché de vice de forme ; elle ne s'est pas vu remettre de décision écrite ;

- la décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision de transfert ;

- le signataire de l'arrêté n'est pas compétent ;

- la décision est insuffisamment motivée et présente un caractère stéréotypé ; le préfet n'a motivé ni l'opportunité de prendre une assignation à résidence, ni la fréquence du pointage qui lui est imposée ;

- il n'y a pas eu examen préalable de sa situation ;

- la décision est entachée d'une erreur de fait quant à son lieu de naissance ;

- il ne lui a pas été délivré, en anglais, de formulaire d'information mentionné à l'article R. 561-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en méconnaissance de ces dispositions de l'arrêté du 28 octobre 2016 pris en application de l'article L. 561-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- en méconnaissance de l'article R. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le service auquel elle doit se présenter et la fréquence de présentation ne sont pas fixés ;

- l'obligation de se présenter à horaires fixes et avec ses effets personnels n'est prévue par aucun texte ; ces mesures sont dépourvues de fondement légal et disproportionnées ;

- l'obligation de pointage et sa fréquence sont disproportionnées.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 décembre 2019, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 8 octobre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le décret n° 2019-38 du 23 janvier 2019 ;

- l'arrêté du 28 octobre 2016 pris en application de l'article L. 561-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'arrêté du 2 octobre 2018 portant régionalisation de la procédure de détermination de de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile dans la région Pays de la Loire ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme H..., première conseillère,

- et les observations de Me E..., représentant Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme F... A..., ressortissante nigériane née en juin 2000, est entrée en France en mai 2019. Elle a déposé une demande d'asile qui a été enregistrée le 19 juillet 2019. Par une décision du 12 août 2019, le préfet de Maine-et-Loire a prononcé son transfert auprès des autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile, et, par une décision du même jour, a également prononcé son assignation à résidence. Mme A... relève appel du jugement du 29 août 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 12 août 2019 portant transfert auprès des autorités italiennes et de la décision du même jour portant assignation à résidence.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".

3. Par ailleurs, aux termes de son arrêt n° 29217/12 du 4 novembre 2014, la Cour européenne des droits de l'Homme a relevé que " si (...) la structure et la situation générale du dispositif d'accueil en Italie ne sauraient constituer en soi un obstacle à tout renvoi de demandeurs d'asile vers ce pays ", " l'hypothèse qu'un nombre significatif de demandeurs d'asile renvoyés vers ce pays soient privés d'hébergement ou hébergés dans des structures surpeuplées dans des conditions de promiscuité, voire d'insalubrité ou de violence, n'est pas dénuée de fondement ", que " les demandeurs d'asile ont besoin d'une "protection spéciale" (...) d'autant plus importante lorsque les personnes concernées sont des enfants, eu égard à leurs besoins particuliers et à leur extrême vulnérabilité, y compris lorsque les enfants demandeurs d'asile sont accompagnés de leurs parents ".

4. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision en litige prononçant son transfert auprès des autorités italiennes, soit le 12 août 2019, Mme A..., ressortissante nigériane âgée d'à peine dix-neuf ans, était enceinte de plus de cinq mois. Elle expose également avoir été contrainte de se prostituer en Italie, au sein d'un réseau toujours actif qu'elle a fui. Par ailleurs, les documents produits font état de ce que, à la date des arrêtés contestés, la situation fondant l'arrêt précité de la Cour européenne des droits de l'homme ne s'était aucunement améliorée car l'Italie, confrontée à un afflux massif de réfugiés, et compte tenu des arbitrages de ses pouvoirs publics, ne pouvait assurer correctement aux personnes vulnérables la prise en charge, les soins ou le suivi médical que requiert leur état spécifique. Dans ces circonstances particulières marquées par le jeune âge de l'intéressée, les risques personnels exposés en cas de retour en Italie, son état de grossesse avancé, et l'absence de réponse expresse des autorités italiennes à la demande de prise en charge formulée par l'administration française garantissant que ces autorités assurent des conditions d'accueil et de prise en charge spécifiques adaptées à la situation des intéressés, le préfet de Maine-et-Loire, en ne mettant pas en oeuvre la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 précité du règlement n° 604/2103 du 26 juin 2013, et en refusant ainsi d'instruire en France la demande d'asile de Mme A..., a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 12 août 2019 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert auprès des autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile. Il en va de même, par voie de conséquence, et eu égard aux dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont il a été fait application, en ce qui concerne l'arrêté du même jour décidant son assignation à résidence.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Aux termes de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'Etat. La durée de validité de l'attestation est fixée par arrêté du ministre chargé de l'asile. (...) ". Par ailleurs, l'article R. 741-4 du même code précise que : " si l'examen de la demande relève de la compétence de la France et sans préjudice des dispositions de l'article R. 741-6, l'étranger est mis en possession de l'attestation de demande d'asile mentionnée à l'article L. 741-1. ".

7. Eu égard au motif de l'annulation de la décision de transfert de Mme A... vers l'Italie, le présent arrêt implique nécessairement que sa demande d'asile soit instruite en France. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, d'enregistrer la demande d'asile de Mme A... en procédure normale et de lui délivrer l'attestation de demandeur d'asile afférente prévue par l'article R. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'imprimé mentionné à l'article R. 723-1 du même code lui permettant de saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.

Sur les frais liés à l'instance :

8. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut ainsi se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me G..., avocate de la requérante, d'une somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1909235 du tribunal administratif de Nantes du 29 août 2019 et les arrêtés du 12 août 2019 du préfet de Maine-et-Loire portant transfert de Mme A... auprès des autorités italiennes et assignation à résidence sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de Maine-et-Loire, dans le délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, d'enregistrer la demande d'asile de Mme A... en procédure normale et de lui délivrer l'attestation de demandeur d'asile afférente prévue par l'article R. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'imprimé mentionné à l'article R. 723-1 du même code lui permettant de saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.

Article 3 : L'Etat versera à Me G..., conseil de Mme A..., la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... A... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise pour information au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 3 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

- M. B..., le président de la formation de jugement,

- Mme H..., première conseillère,

- M. Jouno, premier conseiller.

Lu en audience publique le 17 janvier 2020.

La rapporteure,

M. H...Le président,

C. B...

La greffière,

M. D...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT03885


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT03885
Date de la décision : 17/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. RIVAS
Rapporteur ?: Mme Marie BERIA-GUILLAUMIE
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : GUINEL-JOHNSON

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-01-17;19nt03885 ?
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