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29/11/2019 | FRANCE | N°19NT00851

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 29 novembre 2019, 19NT00851


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... F... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les deux arrêtés du 26 novembre 2018 par lesquels le secrétaire général chargé de l'administration de l'Etat dans le département de la Loire-Atlantique, d'une part, a prononcé sa remise aux autorités espagnoles, d'autre part, l'a assignée à résidence.

Par un jugement n° 1811217 du 28 novembre 2018 le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cou

r :

Par une requête, enregistrée le 28 février 2019, Mme F..., représentée par Me G..., dema...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... F... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les deux arrêtés du 26 novembre 2018 par lesquels le secrétaire général chargé de l'administration de l'Etat dans le département de la Loire-Atlantique, d'une part, a prononcé sa remise aux autorités espagnoles, d'autre part, l'a assignée à résidence.

Par un jugement n° 1811217 du 28 novembre 2018 le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 février 2019, Mme F..., représentée par Me G..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 28 novembre 2018 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 26 novembre 2018 du secrétaire général chargé de l'administration de l'Etat dans le département de la Loire-Atlantique ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique, à titre principal, de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale et, subsidiairement, de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

en ce qui concerne l'arrêté de remise aux autorités espagnoles :

- il n'a pas été signé par une autorité compétente ;

- il est intervenu à l'issue d'une procédure irrégulière en méconnaissance des dispositions des articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen de sa situation personnelle, au regard de son état de santé, alors qu'elle a subi des persécutions et qu'elle est enceinte, de son parcours migratoire et de sa situation de vulnérabilité ; l'arrêté procède d'une application manifestement erronée de l'article 17 du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 qui permet de déroger aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile ;

- l'arrêté n'a pas été précédé d'un examen personnalisé de sa situation au regard des dispositions des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux ;

en ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :

- elle a été signée par une autorité incompétente ;

- elle n'est pas suffisamment motivée ;

- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant réadmission en Espagne ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle la prive de son droit à un recours effectif.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juillet 2019, le préfet de la Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par Mme F... n'est fondé et que l'intéressée a exécuté la décision de transfert le 9 janvier 2019.

Mme F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er février 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rivas, président assesseur ;

- et les observations de Me G... représentant Mme F....

Considérant ce qui suit :

1. Mme F..., ressortissante guinéenne, est entrée irrégulièrement sur le territoire français le 30 juin 2018 et y a sollicité l'asile auprès des services de la préfecture de la Loire-Atlantique le 30 juillet suivant. La consultation du fichier Eurodac a révélé qu'elle avait franchi irrégulièrement la frontière espagnole le 12 juin 2018. La préfète de la Loire-Atlantique a alors adressé aux autorités espagnoles une demande de prise en charge de l'intéressée sur le fondement de l'article 13-1 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013, que ces mêmes autorités ont explicitement acceptée le 3 septembre 2018. Par deux arrêtés du 26 novembre 2018, le secrétaire général chargé de l'administration de l'Etat dans le département de la Loire-Atlantique a ordonné la remise de Mme F... aux autorités espagnoles et l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Mme F... relève appel du jugement du 28 novembre 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

En ce qui concerne la décision de remise aux autorités espagnoles :

2. En premier lieu, l'arrêté de remise aux autorités espagnoles a été signé par Mme C..., chef du bureau du contentieux et de l'éloignement, qui disposait d'une délégation consentie par un arrêté du 1er novembre 2018, publié le 2 novembre 2018 au recueil des actes administratifs de la préfecture, à l'effet de signer, en cas d'absence ou d'empêchement simultanés de Mme E... D... et de M. I... A..., les décisions d'éloignement prises dans le cadre de l'Union européenne, lesquelles comprennent les décisions de transfert. Dès lors qu'il n'est pas établi ni même allégué que Mme D... et M. A... n'auraient pas été simultanément absents ou empêchés, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte manque en fait et doit être écarté.

3. En deuxième lieu, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions des articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, que Mme F... reprend en appel doivent être écartés par adoption des motifs retenus à bon droit par le magistrat désigné du tribunal administratif.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable (...) ". L'application de ces critères peut toutefois être écartée en vertu de l'article 17 du même règlement, aux termes duquel : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que, si le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 pose en principe dans le 1 de son article 3 qu'une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et que cet Etat est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application des critères d'examen des demandes d'asile est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre.

5. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que le secrétaire général en charge de l'administration de l'Etat dans le département de la Loire-Atlantique n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de Mme F... et des conséquences de sa réadmission en Espagne au regard notamment des garanties exigées par le droit d'asile, de son état de santé et de sa grossesse.

6. D'autre part, Mme F... fait état de l'existence de défaillances affectant les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile en Espagne, notamment les demandeurs d'asile en situation de particulière vulnérabilité. Toutefois, les autorités espagnoles ont explicitement accepté la reprise en charge de l'intéressée et les documents généraux que cette dernière produit à l'appui de ces allégations ne permettent pas de tenir pour établi que sa demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités espagnoles dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que l'Espagne est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ainsi, elle ne démontre pas qu'elle serait exposée au risque de subir en Espagne des traitements contraires aux dispositions des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et que la décision de transfert méconnaîtrait ainsi l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.

7. Enfin, Mme F... ne produit pas de documents médicaux qui permettent de démontrer que son état de santé la placerait dans une situation de particulière vulnérabilité imposant d'instruire sa demande d'asile en France alors même qu'elle était enceinte à la date des arrêtés contestés. Ainsi le certificat du médecin gynécologue du CHU de Nantes du 8 août 2018 se borne à indiquer qu'elle a subi une excision de type II ayant des retentissements sur sa vie affective et sexuelle et justifiant une prise en charge par une équipe spécialisée, constituée en premier lieu par une sage-femme sexologue spécialisée dans la prise en charge des mutilations sexuelles féminines. Par ailleurs, la légalité d'une décision s'apprécie à la date à laquelle elle a été prise. S'il ressort des pièces du dossier produites en appel que Mme F... était alors enceinte, une telle information n'avait pas été portée à la connaissance de l'administration en temps utile pour l'examen de sa situation. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté contesté, qui mentionne par ailleurs que Mme F... n'établit pas l'existence de risque personnel en cas de remise aux autorités espagnoles responsables de l'examen de sa demande d'asile, serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article 17 du règlement précité.

En ce qui concerne l'arrêté portant assignation à résidence :

8. En premier lieu, l'arrêté de remise aux autorités espagnoles a été signé par Mme C..., chef du bureau du contentieux et de l'éloignement, qui disposait d'une délégation consentie par un arrêté du 1er novembre 2018, publié le 2 novembre 2018 au recueil des actes administratifs de la préfecture, à l'effet de signer, en cas d'absence ou d'empêchement simultanés de Mme E... D... et de M. I... A..., les décisions d'assignation à résidence. Dès lors, qu'il n'est pas établi ni même allégué que Mme D... et M. A... n'auraient pas été simultanément absents ou empêchés, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte manque en fait et doit être écarté.

9. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté contesté : " I. - L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : (...) 1° bis Fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 ou d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (...) ". Il résulte de ces dispositions que le préfet peut prendre une mesure d'assignation à résidence à l'encontre d'un étranger qui fait l'objet d'une décision de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et qui présente des garanties propres à prévenir le risque de soustraction à l'exécution de la mesure d'éloignement.

10. L'arrêté portant assignation à résidence de Mme F... vise le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment son article L. 561-2 1° bis, ainsi que l'arrêté du même jour décidant la remise de l'intéressé aux autorités espagnoles. Par ailleurs, il indique que Mme F... fait l'objet d'une décision de transfert en Espagne dont l'exécution demeure une perspective raisonnable. Cet arrêté comporte ainsi un exposé suffisant des considérations de droit et de fait sur lesquelles s'est fondé le secrétaire général en charge de l'administration de l'Etat dans le département de la Loire-Atlantique pour décider d'assigner Mme F... à résidence. Il est ainsi suffisamment motivé.

11. En troisième lieu, il résulte des points 2 à 7 du présent arrêt que Mme F... n'est pas fondée à se prévaloir, à l'encontre de la décision prononçant son assignation à résidence, de l'illégalité de la décision ordonnant sa remise aux autorités espagnoles.

12. En quatrième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la mesure d'assignation à résidence de Mme F..., dont le caractère disproportionné n'est pas démontré alors même que l'intéressée était en début de grossesse, procèderait d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation.

13. En cinquième et dernier lieu, Mme F... a formé, dans le délai de recours applicable, un recours contentieux contre les décisions de remise et d'assignation devant le tribunal administratif de Nantes, puis a relevé appel du jugement rendu devant la présente cour. Elle a pu, au cours de ces procédures, faire valoir l'ensemble des éléments nécessaires à l'appréciation de sa situation. Dans ces conditions elle n'est pas fondée à soutenir que la décision d'assignation à résidence porterait atteinte à son droit au recours effectif.

14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme F... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du secrétaire général en charge de l'administration de l'Etat dans le département de la Loire-Atlantique du 26 novembre 2018. Ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme F... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H... F... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise pour information au préfet de la Loire-Atlantique.

Délibéré après l'audience du 12 novembre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Rivas président assesseur,

- Mme J..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 29 novembre 2019.

Le rapporteur,

C. RivasLe président,

L. Lainé

La greffière,

M. B...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 19NT00851 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT00851
Date de la décision : 29/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : NERAUDAU

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-11-29;19nt00851 ?
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