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20/09/2019 | FRANCE | N°18NT03345

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 20 septembre 2019, 18NT03345


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 2 juillet 2015 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour à Mme H... D... G... et aux enfants I... J... A... B..., K... J... A... B... et L... J... A....

Par un jugement n° 1509399 du 6 février 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

P

ar une requête enregistrée le 3 septembre 2018, M. F... A... B..., représenté par Me C..., de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 2 juillet 2015 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour à Mme H... D... G... et aux enfants I... J... A... B..., K... J... A... B... et L... J... A....

Par un jugement n° 1509399 du 6 février 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 septembre 2018, M. F... A... B..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 6 février 2018 ;

2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 2 juillet 2015 ;

3°) à titre principal, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de réexaminer leur situation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que son avocat renonce à percevoir le bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Il soutient que :

- le lien marital avec Mme H... D... G... et le lien de filiation entre les enfants I... J... A... B..., K... J... A... B... et M... J... A... et lui sont établis ;

- la décision de la commission a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3.1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par une décision du 2 juillet 2018, M. A... B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de M. Sacher, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. F... A... B..., ressortissant tchadien né le 14 octobre 1970, séjourne régulièrement sur le territoire français depuis le mois de janvier 2011 en qualité de réfugié. Il se dit l'époux de Mme H... D... G..., née le 1er janvier 1982, et le père des enfants I... J... A... B..., K... J... A... B... et L... J... A..., lesquels sont exilés, pour leur part, en Arabie Saoudite. M. A... B... a introduit au profit de ces derniers une demande de réunification des membres de la famille d'un réfugié. Dans ce cadre, une demande de visa de long séjour a été présentée par Mme D... G... et pour ses enfants allégués auprès de l'autorité consulaire française à Djeddah le 17 juillet 2011. L'autorité consulaire a rejeté ces demandes le 16 décembre 2012. M. A... B... a présenté contre cette décision un recours préalable rejeté par décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en date du 2 juillet 2015. Il a demandé l'annulation de cette décision. Par un jugement du 6 février 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 2 juillet 2015. M. A... B... fait appel de ce jugement.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Il ressort de la décision attaquée de la commission que cette dernière a refusé la demande de visas aux motifs que les documents d'état-civil présentés à l'appui de la demande déposée par Mme H... D... G... et les enfants I... J... A... B..., K... J... A... B... et L... J... A... ont été dressés par une autorité incompétente, que, par ailleurs, deux actes de mariage sont produits, qui comportent des incohérences entre eux et avec les actes de naissance des époux, que, dans ces conditions, les documents produits ne sont pas probants et ne permettent pas d'établir le lien familial entre les demandeurs et le réfugié et la production de tels documents relève d'une intention frauduleuse.

3. Aux termes de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'office est habilité à délivrer, après enquête s'il y a lieu, aux réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état civil. / Le directeur général de l'office authentifie les actes et documents qui lui sont soumis. Les actes et documents qu'il établit ont la valeur d'actes authentiques. / Ces diverses pièces suppléent à l'absence d'actes et de documents délivrés dans le pays d'origine (...) ". Aux termes du II de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 2015: " (...) / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ".

4. Les dispositions précitées de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont, dès lors que la loi du 29 juillet 2015 n'a, en ce qui concerne leur entrée en vigueur, prévu ni délai particulier, ni disposition transitoire, devenues applicables le 31 juillet 2015, lendemain de leur publication au Journal officiel, à toute situation non juridiquement constituée au nombre desquelles figurent les instances en cours concernant les refus de visas sollicités sur le fondement du respect du principe de l'unité familiale du réfugié ou du protégé subsidiaire tel qu'issu des stipulations de la convention du 28 juillet 1951. Il en résulte que, à compter de cette date, les documents établis par le directeur de l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) en application des dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, font foi, quelle qu'ait été la date de leur délivrance, tant que n'a pas été mise en oeuvre par l'administration la procédure d'inscription de faux prévue aux articles 303 à 316 du code de procédure civile et en cours d'instance à l'article R. 633-1 du code de justice administrative.

5. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil " et aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

6. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

En ce qui concerne le lien matrimonial :

7.Il ressort des pièces du dossier que le directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a établi, le 8 avril 2011, un certificat de naissance tenant lieu d'acte d'état-civil au nom de M. A... B.... Ce certificat de naissance comporte, en mentions marginales : " marié à Djeddah (Arabie-Saoudite) le 25 octobre 2000 avec Fatime Mahamat G... ". En l'absence de mise en oeuvre par le ministre de l'intérieur de la procédure d'inscription de faux, ce document fait foi dans la totalité de ses énonciations et, ainsi, notamment en ce qui concerne l'existence des liens matrimoniaux unissant M. A... B... et Mme D... G.... Dès lors, il ressort des pièces du dossier que la commission a commis une erreur d'appréciation en estimant que le lien matrimonial n'était pas établi et la décision attaquée doit être annulée dans cette mesure.

En ce qui concerne le lien de filiation :

8. Il ressort des pièces du dossier qu'ont été produits des actes de naissance établis le 4 mai 2011 par le consulat général du Tchad à Djeddah pour des naissances survenues les 22 octobre 2001, 28 novembre 2003 et 8 mars 2007 à N'Djamena, soit, comme le fait valoir le ministre sans être ensuite contesté, hors du champ de la compétence du consulat. M. A... B... a produit de nouveaux actes de naissance pour ses trois enfants allégués, établis par les services de l'état-civil saoudien le 2 août 2008. Toutefois, ces nouveaux actes, qui n'avaient pas été produits à l'appui de la demande de visas, font état d'une naissance des enfants à Djeddah et non plus à N'Djamena. En outre, la ville de naissance du père n'y est pas précisée et au demeurant, l'intégralité de la date de naissance de la mère n'y apparaît pas, le lieu de naissance de la mère ne correspondant pas à celui mentionné sur l'acte de naissance n° 593 de Mme D... G.... Ainsi, en raison de ces anomalies, la commission n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en estimant que les actes de naissance précités n'avaient pas de valeur probante.

9. M. A... B... se prévaut ensuite de l'existence d'une possession d'état. Des transferts d'argent sont produits à destination de Mme H... D... G..., entre 2011 et 2015. En outre, il ressort des pièces du dossier que le requérant a déclaré aux services fiscaux être le père de trois enfants mineurs. Cependant, ces seuls éléments ne suffisent pas à établir une possession d'état.

10. Dès lors, il résulte de ce qui précède que le lien de filiation n'est pas établi.

11. Par conséquent, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation ainsi que le moyen tiré de ce que la décision de la commission a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3.1 de la convention internationale des droits de l'enfant ne peuvent qu'être écartés.

12. Il résulte de l'ensemble ce qui précède que M. A... B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande en tant qu'elle concernait son épouse.

Sur les conclusions aux fins d'injonction sous astreinte :

13. Le présent arrêt, eu égard à ses motifs, et sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, implique la délivrance à Mme H... D... G... du visa de long séjour sollicité. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au ministre de délivrer à l'intéressée le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

14. M. A... B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat, Me C..., peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 800 euros à Me C..., dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 6 février 2018 et la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France sont annulés en tant qu'ils concernent la demande de visa présentée par Mme H... D... G....

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme H... D... G..., sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, un visa de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 800 euros à Me C... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... A... B... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 6 septembre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Célérier, président de chambre,

- Mme Buffet, président assesseur,

- Mme Picquet, premier conseiller.

Lu en audience publique le 20 septembre 2019.

Le rapporteur,

P. E...

Le président,

T. CELERIER

Le greffier,

C. POPSE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°18NT03345


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT03345
Date de la décision : 20/09/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CELERIER
Rapporteur ?: Mme Pénélope PICQUET
Rapporteur public ?: M. SACHER
Avocat(s) : RENARD OLIVIER

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-09-20;18nt03345 ?
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