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18/06/2019 | FRANCE | N°18NT00571

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 18 juin 2019, 18NT00571


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) Immoberge a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner solidairement la commune de Chanceaux-sur-Choisille et le département d'Indre-et-Loire à lui verser une somme de 110 000 euros à raison du préjudice qu'elle estime avoir subi en conséquence de l'illégalité de la décision du 9 septembre 2008 par laquelle le maire de la commune l'a autorisée à édifier un mur de clôture.

Par un jugement n°s 1600656 et 1601367 du 12 décembre 2017, le tribun

al administratif d'Orléans a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) Immoberge a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner solidairement la commune de Chanceaux-sur-Choisille et le département d'Indre-et-Loire à lui verser une somme de 110 000 euros à raison du préjudice qu'elle estime avoir subi en conséquence de l'illégalité de la décision du 9 septembre 2008 par laquelle le maire de la commune l'a autorisée à édifier un mur de clôture.

Par un jugement n°s 1600656 et 1601367 du 12 décembre 2017, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 12 février, 27 novembre et 29 novembre 2018, la SCI Immoberge, représentée par MeD..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 12 décembre 2017 ;

2°) d'annuler le rejet de sa demande préalable d'indemnisation ;

3°) de condamner la commune de Chanceaux-sur-Choisille, et le cas échant le conseil départemental d'Indre et Loire solidairement, à lui verser la somme de 98 195,14 euros en réparation des préjudices subis ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Chanceaux-sur-Choisille et le cas échant du conseil départemental d'Indre et Loire solidairement une somme de 7 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable car suffisamment motivée ;

- la demande indemnitaire est recevable en l'absence de prescription quadriennale et dès lors que le contentieux a été lié ;

- la commune de Chanceaux-sur-Choisille a commis des fautes en s'abstenant de s'opposer aux travaux envisagés, en ne l'informant pas de l'évolution du projet d'urbanisme relatif à l'aménagement du virage de Langennerie et en ne consultant pas le conseil départemental gestionnaire de la voie publique ;

- il n'y a pas eu d'imprudence fautive de la part de la SCI Immoberge et à titre subsidiaire, seul un partage de responsabilité devrait être retenu ;

- le département a commis une faute en ne formulant aucune observation à la suite du constat d'huissier de justice du 18 juin 2009 ;

- le coût total de la reconstruction du mur de clôture à l'identique s'élève à une somme de 88 195,14 euros et elle a dû exposer des frais afin d'assurer sa défense devant le juge de l'expropriation, lui causant un dommage anormal et spécial à hauteur de 10 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 octobre 2018, la commune de Chanceaux-sur-Choisille, représentée par MeC..., demande à la cour de rejeter la requête et de mettre à la charge de la SCI Immoberge la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir à titre principal que la requête est irrecevable dès lors qu'elle est dépourvue de moyens d'appel et à titre subsidiaire qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé et la prescription quadriennale doit être opposée.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 26 novembre et 3 décembre 2018, le département d'Indre-et-Loire, représenté par MeB..., demande à la cour de rejeter la requête et de mettre à la charge de la SCI Immoberge la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir à titre principal que la requête est irrecevable dès lors qu'elle est dépourvue de moyens d'appel et à titre subsidiaire qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Picquet,

- les conclusions de M. Sacher, rapporteur public,

- et les observations de MeE..., représentant la SCI Immoberge, et de Me A...substituant Me C...et représentant la commune de Chanceaux-sur-Choisille.

Considérant ce qui suit :

1. Le département d'Indre-et-Loire a souhaité entreprendre une opération de reconstruction des ponts sur la Choisille dans la traverse dite de " Langennerie " sur les communes de Cérelles et Chanceaux-sur-Choisille, au regard notamment de la vétusté et de la dimension insuffisante des ouvrages. Ce projet, qui concernait notamment la refonte du virage de la route départementale n° 29 et la reconstruction des ponts au droit des parcelles 99 et 101 appartenant à la SCI Immoberge, a été déclaré d'utilité publique par un arrêté préfectoral du 30 avril 2008, prorogé jusqu'au 30 avril 2018. Par un arrêté du 9 septembre 2008, le maire de la commune de Chanceaux-sur-Choisille ne s'est pas opposé à la déclaration préalable déposée par la SCI Immoberge en vue de construire un mur de clôture sur la parcelle 101. Le mur de clôture a été édifié en juin 2009. Faute d'accord amiable entre l'autorité expropriante et la SCI sur le montant de l'indemnité d'expropriation devant lui revenir, la juridiction de l'expropriation a été saisie par le conseil départemental le 25 novembre 2014 et n'a pas accordé à la SCI d'indemnisation liée au coût de construction de ce mur de clôture. Après expropriation, le mur de clôture a été démoli par le département afin de permettre la réalisation des travaux d'aménagement déclarés d'utilité publique. La SCI Immoberge a demandé au tribunal administratif de condamner solidairement la commune de Chanceaux-sur-Choisille et le département d'Indre-et-Loire à lui verser une somme de 110 000 euros à raison du préjudice qu'elle estime avoir subi en conséquence de l'illégalité de la décision du 9 septembre 2008 par laquelle le maire de la commune l'a autorisée à édifier ce mur de clôture. Par un jugement du 12 décembre 2017, le tribunal administratif a rejeté ses demandes. La SCI Immoberge fait appel de ce jugement.

Sur la fin de non recevoir :

2. Si une requête d'appel se bornant à reproduire intégralement et exclusivement le texte du mémoire de première instance ne satisfait pas aux prescriptions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative qui prévoit que la requête doit, à peine d'irrecevabilité, contenir l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge, un mémoire d'appel qui ne constitue pas la reproduction littérale d'un mémoire de première instance et énonce de nouveau de manière précise les critiques adressées à la décision dont l'annulation a été demandée au tribunal administratif répond en revanche aux exigences de motivation des requêtes d'appel.

3. En l'espèce, la requête d'appel de la SCI Immoberge ne constitue pas la reproduction littérale de sa demande de première instance mais énonce à nouveau, de manière précise, les moyens soulevés. Une telle motivation répond aux conditions posées par l'article R. 411-1 du code de justice administrative. Ainsi la fin de non recevoir opposée en défense ne peut être accueillie.

Sur le bien fondé du jugement :

En ce qui concerne la prescription quadriennale opposée par la commune :

4. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 visée ci-dessus : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ". Selon l'article 3 de la même loi, la prescription ne court pas " contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ".

5. Il résulte de l'instruction que si le fait générateur du dommage est la décision de non-opposition à la déclaration préalable du 9 septembre 2008, la SCI Immoberge pouvait être légitimement regardée comme ignorant l'existence de sa créance à l'égard de la commune jusqu'à la décision du juge de l'expropriation du 23 mars 2015 ayant rejeté sa demande d'indemnisation, par le département d'Indre-et-Loire, de la construction d'un mur de clôture. Dès lors, la demande préalable indemnitaire ayant été reçue par la commune de Chanceaux-sur-Choisille en décembre 2015, cette dernière n'est pas fondée à opposer à la SCI Immoberge la prescription quadriennale.

En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Chanceaux-sur-Choisille :

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 421-6 alinéa 1 du code de l'urbanisme, dans sa version applicable à la date de la décision de non-opposition à déclaration préalable : " Le permis de construire ou d'aménager ne peut être accordé que si les travaux projetés (...) ne sont pas incompatibles avec une déclaration d'utilité publique ". L'article L.421-7 du même code de l'urbanisme disposait quant à lui que : " Lorsque les constructions, aménagements, installations et travaux font l'objet d'une déclaration préalable, l'autorité compétente doit s'opposer à leur exécution ou imposer des prescriptions lorsque les conditions prévues à l'article L. 421-6 ne sont pas réunies. ".

7. Il résulte de l'instruction que, par un arrêté préfectoral du 30 avril 2008, les travaux de réaménagement de la route départementale n° 29 ont été déclarés d'utilité publique et le projet faisant l'objet de la déclaration préalable était situé dans l'emprise de ces travaux et incompatible avec ces derniers.

8. Au vu des textes précités, la commune aurait dû s'opposer à la déclaration préalable présentée par la SCI Immoberge. La commune ne saurait utilement se prévaloir du principe d'indépendance des législations et de la circonstance que les autorisations d'urbanisme sont délivrées sous réserve du droit des tiers. Dès lors, la SCI Immoberge est fondée à soutenir qu'en édictant l'arrêté du 9 septembre 2008 de non-opposition aux travaux, au demeurant sans même mentionner l'existence de cette déclaration d'utilité publique, la commune a commis une faute de nature à engager sa responsabilité. En revanche, il ne résulte pas de l'instruction que les conditions d'accès à la route départementale auraient été modifiées par le projet de la SCI Immoberge, dès lors notamment qu'un mur de clôture possédant au moins une entrée existait déjà. Ainsi, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la commune aurait commis une 2ème faute en ne saisissant pas pour avis le gestionnaire de cette route.

En ce qui concerne la responsabilité du département d'Indre-et-Loire :

9. D'une part, les seules circonstances que les caractéristiques du projet aient été modifiées par rapport à celui présenté en 1992 et que le projet ait mis de nombreuses années à se concrétiser ne sauraient caractériser une faute de la part du département.

10. D'autre part, si le département a demandé un constat d'huissier de justice en 2009 mais n'a ensuite formulé aucune observation, il résulte de l'instruction que ce constat d'huissier de justice n'avait que pour objet de dater les travaux, en vue de la procédure d'indemnisation dans le cadre de l'expropriation. En outre, le département n'était pas compétent en matière d'autorisation d'urbanisme et en tout état de cause, les dispositions de l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme dans sa rédaction alors en vigueur interdisaient tout retrait d'une décision de non-opposition à déclaration préalable. Dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la demande indemnitaire dirigée contre le département, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le département aurait commis une faute.

En ce qui concerne la faute commise par la SCI Immoberge :

11. Il résulte de l'instruction que la SCI Immoberge, qui a pour activité de mettre en location un appartement, doit être regardée comme un professionnel de l'immobilier, alors même que son gérant et ses associés n'auraient pas reçu une formation en la matière. Il est constant que l'enquête parcellaire, avec le plan annexé indiquant qu'une partie de ses parcelles était incluse dans l'emprise du projet de réaménagement de voie, a été notifié à la requérante en mars 2007. La requérante ne conteste pas avoir également eu connaissance de l'arrêté préfectoral du 30 avril 2008 portant déclaration d'utilité publique, avec un délai de validité de cinq ans pour effectuer les travaux. Il résulte de l'instruction que la SCI Immoberge a déposé sa déclaration préalable le 2 juillet 2008, soit deux mois seulement après l'arrêté de déclaration d'utilité publique. Si la SCI requérante soutient qu'elle a pris toutes les précautions nécessaires en prévoyant une reconstruction du mur de clôture très en retrait du domaine public et également en retrait des précédents projets d'aménagement connus, elle ne conteste pas que son projet de mur de clôture était inclus dans l'emprise foncière mentionnée dans l'arrêté préfectoral du 30 avril 2008. Le commissaire enquêteur, dans son avis sur l'enquête parcellaire, se borne à mentionner l'accès au bief et la parcelle 99, et non pas la parcelle 101 sur laquelle est situé le mur en cause. Et la défense fait valoir sans être contredite que le plan parcellaire finalement approuvé n'a pas été modifié après l'enquête. Dès lors, la SCI, qui a demandé et effectué des travaux alors qu'elle avait connaissance du projet d'élargissement de la route départementale et de l'arrêté portant déclaration d'utilité publique et qui a continué ces travaux malgré le déplacement d'un huissier de justice mandaté par le département en juin 2009, doit être regardée comme ayant commis une grave imprudence fautive de nature à exonérer la commune de l'intégralité de sa responsabilité.

12. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que la faute de la SCI Immoberge exonérait totalement la commune de sa responsabilité. Dès lors, il n'y a pas lieu d'examiner les préjudices invoqués.

Sur les frais liés au litige :

13. La commune de Chanceaux-sur-Choisille et le département d'Indre-et-Loire n'étant pas, dans la présente instance, les parties perdantes, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à leur charge le versement de la somme demandée par la SCI Immoberge à ce titre. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SCI Immoberge les sommes demandées par la commune de Chanceaux-sur-Choisille et le département d'Indre-et-Loire à ce titre.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SCI Immoberge est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Chanceaux-sur-Choisille et du département d'Indre-et-Loire tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Immoberge, à la commune de Chanceaux-sur-Choisille et au département d'Indre-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 29 mai 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Dussuet, président de chambre,

- M. Degommier, président assesseur,

- Mme Picquet, premier conseiller.

Lu en audience publique le 18 juin 2019.

Le rapporteur,

P. PICQUET

Le président,

J-P. DUSSUET

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N°18NT00571


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT00571
Date de la décision : 18/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. DUSSUET
Rapporteur ?: Mme Pénélope PICQUET
Rapporteur public ?: M. SACHER
Avocat(s) : SELARL 2BMP

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-06-18;18nt00571 ?
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