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14/06/2019 | FRANCE | N°18NT02388

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 14 juin 2019, 18NT02388


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...E...épouseG..., M. B...G..., Mme I...G...et M. NathanG...ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 29 janvier 2016 par laquelle la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a rejeté leurs demandes de visas de long séjour formées en vue d'un regroupement familial.

Par un jugement n° 1602049 du 20 décembre 2017, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mém

oire, enregistrés le 20 juin 2018, le 10 septembre 2018, Mme G... et les autres requérants de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...E...épouseG..., M. B...G..., Mme I...G...et M. NathanG...ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 29 janvier 2016 par laquelle la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a rejeté leurs demandes de visas de long séjour formées en vue d'un regroupement familial.

Par un jugement n° 1602049 du 20 décembre 2017, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 20 juin 2018, le 10 septembre 2018, Mme G... et les autres requérants de première instance, représentés par MeF..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 20 décembre 2017 ;

2°) d'annuler la décision du 29 janvier 2016 de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, subsidiairement de procéder, dans le même délai, à un nouvel examen de leurs demandes ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros au profit de Me Morosoli, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Les consorts G...soutiennent que :

- le jugement attaqué est irrégulier en ce que le tribunal a dénaturé les pièces du dossier en refusant d'admettre que les transferts d'argent opérés par Mme G...l'ont été au profit des enfants de son époux ;

- Mme G...s'est également rendue en Haïti après que son mari l'ait rejointe en France ;

- le tribunal n'a pas davantage fait usage des documents produits qui attestent l'existence d'une situation de possession d'état ;

- c'est au prix d'une appréciation erronée des pièces du dossier que le tribunal a fondé sa décision ;

- le refus de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France est insuffisamment motivé ;

- la preuve du caractère frauduleux des actes d'état-civil produits n'est pas rapportée ;

- l'administration n'a jamais justifié des raisons l'ayant conduit à ne pas solliciter de vérification des actes d'état-civil produits auprès des autorités haïtiennes ;

- la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- ils ne peuvent être tenus pour responsables des défaillances notoires des services d'état-civil haïtiens ;

- aucune fraude ne leur est reprochée ;

- les renseignements qui figurent sur les différents documents produits sont concordants ;

- l'intérêt porté par Mme E...épouse G...envers sa famille par alliance à Haïti est constant depuis 2010, et il en est attesté par les pièces qui ont été produites ;

- le refus de délivrer les visas sollicités méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 juillet 2018, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Le ministre fait valoir qu'aucun des moyens d'annulation soulevés par les requérants n'est fondé.

Mme D...E...épouse G...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 mai 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions lors de l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Mony a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D...E..., ressortissante haïtienne installée en France depuis 1984, a épousé le 26 novembre 2005 M. G...à Léogane (Haïti). Elle a déposé le 30 octobre 2006 une demande d'autorisation de regroupement familial en vue d'être rejointe par son époux et par les deux enfants naturels de ce dernier, I...et J..., respectivement nés en 1993 et 1995. Cette demande a été rejetée, faute pour Mme G...de disposer de conditions matérielles d'accueil idoines, en particulier un logement d'une taille suffisante. Elle a réitéré sa demande en février 2010 et a obtenu alors, à titre humanitaire, cette autorisation, en avril 2010. Ce n'est toutefois que le 28 juillet 2015 que M. G...et ses deux enfants ont déposé une demande de visa de long séjour pour regroupement familial, qui a fait l'objet d'un refus des autorités consulaires locales le 7 octobre 2015. Saisie d'un recours préalable, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a rejeté le 29 janvier 2016 les demandes de visa présentées pour I...et J.... Elle s'est toutefois déclarée favorable à la délivrance d'un visa de long séjour à M.G..., lequel est entré en France un peu plus tard. MmeE..., son époux et les enfants allégués de ce dernier, I...et J..., relèvent appel du jugement du 20 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande d'annulation de la décision de refus concernant les enfants allégués de M.G.à Leogane, cette commune étant également le lieu de naissance des enfants

Sur les conclusions en annulation :

En ce qui concerne la régularité du jugement

2. En premier lieu, pour écarter les moyens d'annulation soulevés par les requérants le tribunal administratif n'était pas tenu d'évoquer l'ensemble des éléments factuels que Mme E...et les autres requérants ont fait valoir en première instance. Il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que les premiers juges ont brièvement rappelé les faits de l'espèce, au point 6 de leur décision, avant d'écarter le moyen tiré de l'existence d'une situation de possession d'état. Il ne ressort pas davantage du dossier qu'ils se sont abstenus de procéder à un examen particulier de l'ensemble des faits de l'espèce avant de statuer sur la demande dont ils étaient saisis et de répondre aux différents moyens d'annulation soulevés devant eux.

3. En second lieu, la circonstance que la décision litigieuse de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France cite les dispositions des articles L. 411-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives au regroupement familial n'est pas sans lien avec l'un des motifs retenus par la commission pour confirmer le refus des autorités consulaires locales, dès lors que celui-ci repose sur le caractère exagérément tardif des demandes de visas formées par M. G...et ses deux enfants allégués, présentées en 2015, alors même que l'autorisation de regroupement familial obtenue par Mme E...remontait quant à elle à 2010. Cette mention de dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont l'administration a du reste admis à l'occasion du débat contentieux devant le tribunal administratif qu'elles ne trouvaient pas à s'appliquer au cas d'espèce, indiquant renoncer à ce motif erroné, ne peut elle même être regardée comme constitutive d'une insuffisance de motivation dès lors que la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France comporte également d'autres motifs, tirés notamment du défaut de caractère probant des actes d'état civil produits et de l'absence de démonstration d'une situation de possession d'état. Il résulte de l'instruction que la commission aurait pris la même décision si elle s'était fondée sur ces seuls motifs, et, en s'abstenant d'apporter cette précision, le tribunal dès lors qu'il s'est prononcé sur la légalité de chacun de ces autres motifs a lui-même suffisamment motivé son jugement. La mention de l'article L. 211-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne trouvait pas davantage à s'appliquer au cas d'espèce, n'est pas davantage de nature à établir une insuffisance de motivation.

4. Il résulte de ce qui précède que le jugement attaqué n'est pas entaché d'un défaut de motivation.

En ce qui concerne le bien fondé

5. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

6. Il ressort en premier lieu des pièces du dossier que les actes d'état-civil produits pour établir le lien de filiation entre I...et J... et M.G..., époux de MmeE..., sont des copies d'extraits d'acte de naissance, établis à partir des déclarations effectuées par M. G...les 6 novembre 2015, pourI..., et 31 décembre 1996, pour J.... Ces deux déclarations ont été faites auprès de l'officier d'état-civil de la commune de Liancourt, alors même que M. G...a indiqué à chaque fois que la mère des enfants, MmeA..., était domiciliée.à Leogane, cette commune étant également le lieu de naissance des enfants Ces différentes mentions sont contraires aux dispositions de l'article 55 du code civil haïtien, en vertu desquelles les déclarations de naissance sont faites auprès de l'officier d'état-civil du domicile de la mère ou du lieu de naissance. La circonstance que l'acte de naissance de I...mentionne qu'il a été pris en vertu du décret du 16 mai 1995, en vertu duquel des déclarations de naissance peuvent intervenir dans un délai de cinq ans après la naissance, ne peut en tout état de cause suffire à établir, alors même que les déclarations de naissance de I...et de J... sont toutes deux intervenues dans le délai de droit commun de deux ans, qu'en application dudit décret une déclaration de naissance pouvait intervenir en tous lieux. Les autorités consulaires locales françaises, par ailleurs, n'étaient pas tenues, en pareil cas, de faire procéder à une vérification des actes produits par les autorités nationales haïtiennes. C'est ainsi sans entacher sa décision d'une erreur d'appréciation que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a pu estimer que les actes d'état-civil produits n'étaient pas conformes à la législation haïtienne de l'état-civil et que le tribunal administratif a pu lui-même juger, sans qu'y fasse obstacle l'état de désorganisation des services d'état civil haïtiens allégué par les requérants, qu'ils étaient dépourvus de valeur probante.

7. En deuxième lieu, MmeE..., qui ne fournit aucune explication sur les raisons pour lesquelles les demandes de visas de long séjour faisant suite à l'autorisation de regroupement familial obtenue par elle en 2010 n'ont été déposées qu'en juillet 2015, à une date où I...et J... avaient tous deux atteint leur majorité, alors même que les extraits d'actes de naissance des enfants allégués de M. G...ont été obtenus dès janvier 2013, persiste à soutenir en appel qu'elle doit être regardée comme établissant l'existence d'une situation de possession d'état. Il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier qu'elle aurait tissé avec ses beaux-enfants, alors même que son mariage avec M. G...remonte à 2005, des liens affectifs d'une particulière intensité. Elle ne démontre pas, contrairement à ce qu'elle allègue, avoir contribué de manière constante à leur entretien et à leur éducation. Les premiers transferts d'argent à destination de I...et de J... dont il est justifié sont tous postérieurs à l'entrée en France de M.G..., en 2016, et sont de faible montant et à intervalles irréguliers. Si Mme E...fait état de contacts téléphoniques fréquents, les pièces qu'elle produit ne permettent pas d'établir l'identité des personnes avec lesquelles elle aurait alors été en communication. Si elle se prévaut également d'un voyage effectué à Haïti après l'entrée en France de son conjoint, l'unique photographie qu'elle produit la représentant en compagnie de son mari et des enfants de celui-ci, au demeurant non datée, ne permet pas d'établir, compte tenu de ce qui précède, la réalité et la nature des liens qui existeraient entre eux.

8. En dernier lieu, à défaut d'établi le lien de filiation existant entre M.G..., son époux, et les enfants allégués de ce dernier, Mme E...n'est pas fondée à soutenir que le refus de faire droit aux demandes de visas de long séjour formées par ces derniers méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. I...G...et J...G..., natifs d'Haïti et ayant toujours vécu dans ce pays, sont au surplus majeurs, et aucun élément du dossier n'indique qu'ils seraient tous deux dans l'impossibilité de subvenir à leurs besoins de manière autonome. Aucun élément du dossier ne permet également d'établir qu'ils ne pourraient pas tous deux conserver un lien avec Mme E...et M. G...ou de leur rendre visite, cette possibilité étant également offerte à Mme E...et M.G.à Leogane, cette commune étant également le lieu de naissance des enfants

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E...et les autres requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions en injonction :

10. Le présent arrêt n'appelant aucune mesure particulière en vue de son exécution, les conclusions en injonction de Mme G...et des autres requérants ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente affaire, verse à Mme G...et autres requérants la somme qu'ils réclament au titre des frais exposés par eux non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme G... et des autres requérants est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...G..., à M. B... H...G..., à M. NathanG..., à Mme I... G...et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 22 mars 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Dussuet, président,

- M. Mony, premier conseiller,

- Mme Picquet, premier conseiller,

Lu en audience publique le 14 juin 2019.

Le rapporteur,

A. MONY

Le président,

J-P. DUSSUET

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT02388
Date de la décision : 14/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DUSSUET
Rapporteur ?: M. Arnaud MONY
Rapporteur public ?: M. SACHER
Avocat(s) : MOROSOLI

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-06-14;18nt02388 ?
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