Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C...A...a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 24 décembre 2015 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours dirigé contre la décision des autorités consulaires françaises à Conakry (Guinée) rejetant implicitement les demandes de visa de long séjour présentées pour ses filles, Fatoumata et Makalé Camara, en qualité de membres de la famille d'un réfugié statutaire.
Par un jugement n° 1601627 du 21 février 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours du 24 décembre 2015 et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 13 mars 2018, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 21 février 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme C...A...devant le tribunal administratif de Nantes ;
3°) d'enjoindre à Mme A...de rembourser la somme de 1 200 euros mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les premiers juges ont commis une erreur d'appréciation quant à la réalité des liens de filiation allégués compte tenu du caractère apocryphe des actes d'état civil produits ;
- Mme A...ne produit aucun élément de possession d'état susceptible d'établir son lien de parenté ;
- la décision contestée ne méconnaît ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, ni celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juin 2018, MmeA..., agissant en son nom et celui de ses enfants mineurs, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités ou, à défaut, de réexaminer les demandes de visa, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable en l'absence de contestation en appel de la matérialité des faits tenus pour établis par les premiers juges ;
- aucun des moyens soulevés par le ministre de l'intérieur n'est fondé.
Mme A...a été maintenue au bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision du 24 mai 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Dussuet, président-rapporteur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. MmeA..., ressortissante guinéenne née le 10 août 1983, entrée en France en février 2009, s'est vue reconnaître la qualité de réfugiée le 29 juillet 2011. Le 5 mai 2014, Makalé Camara, née le 4 juin 2001, et Fatoumata Camara, née le 1er juillet 2003, ont sollicité auprès des autorités consulaires françaises à Conakry la délivrance de visas d'entrée et de long séjour en France en qualité de membres de famille de réfugiée statutaire, lesquels leur ont été implicitement refusés. Par une décision du 24 décembre 2015, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé par Mme A...contre les décisions consulaires. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 21 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision précitée de la commission de recours et a enjoint au ministre de délivrer les visas de long séjour sollicités dans un délai d'un mois, à compter de la notification du jugement.
Sur la légalité de la décision :
2. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Cet article pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question. La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet la réunification familiale des enfants d'une personne admise à la qualité de réfugié ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure notamment au nombre de ces motifs l'absence de caractère probant des documents destinés à établir le lien de filiation entre le demandeur de visa et le membre de la famille qu'il projette de rejoindre sur le territoire français ainsi que le caractère frauduleux des actes d'état civil produits.
3. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui des demandes de visa de Makalé et Fatoumata Camara, ont été produits les jugements supplétifs nos 777 et 778 du 20 janvier 2014 du tribunal de première instance de Conakry II, les deux extraits d'actes de naissance émanant du registre de la commune de Dixinn transcrits sur la base de ces jugements, et leurs passeports délivrés le 5 novembre 2013, soit antérieurement à ces actes. En première instance, Mme A...a expliqué que le consulat ayant demandé une copie des actes de naissance des enfants datée de moins de trois mois, la personne mandatée par ses soins en Guinée pour constituer les dossiers de demandes de visas pour ses filles a pu légitimement croire qu'elle devait produire des actes de naissance récents et a demandé en conséquence l'établissement de jugements supplétifs. Elle a toutefois produit en cours d'instance les extraits d'actes de naissance originels des enfants établis en 2001 et 2003 par la commune de Matam, ainsi que les deux jugements du 7 novembre 2016 du tribunal de première instance de Conakry II annulant les jugements supplétifs du 20 janvier 2014 au motif de l'existence de ces actes de naissance. Si le ministre de l'intérieur soutient en appel que la numérotation de l'acte de naissance de Makalé serait incohérente et que le nom du père sur les actes de naissance est incomplet, ces seuls éléments, alors même que les modalités précises d'attribution de cette numérotation sur les registres demeurent....
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée à la requête, que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 24 décembre 2015 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant les demandes de visa de Makalé et Fatoumata Camara. Par suite, les conclusions du ministre de l'intérieur tendant à la restitution des sommes que l'Etat a été condamné à verser en première instance au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions aux fins d'injonction sous astreinte :
5. Mme A...demande qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas de long séjour sollicités. Le présent arrêt n'implique pas le prononcé d'une injonction autre que celle déjà prononcée par les premiers juges dès lors les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme A...ne peuvent qu'être rejetées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce d'assortir l'injonction prononcée par le tribunal administratif d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
6. Mme A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me B...renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me B...de la somme de 1 200 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : Le surplus des conclusions présentées par Mme A...est rejeté.
Article 3 : Il est mis à la charge de l'Etat le versement à Me B...d'une somme de 1 200 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que Me B...renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme C...A....
Délibéré après l'audience du 17 mai 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Dussuet, président de chambre,
- M. Degommier, président-assesseur,
- Mme Picquet, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 4 juin 2019.
Le président-assesseur,
S. DEGOMMIERLe président-rapporteur,
J-P. DUSSUET
Le greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT01116