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10/05/2019 | FRANCE | N°17NT02739

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 10 mai 2019, 17NT02739


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La pharmacie Guillou a demandé au tribunal administratif de Rennes, à titre principal, d'annuler le marché conclu entre le centre communal d'action sociale (CCAS) de Lanester et la pharmacie de Merville et, à titre subsidiaire, de résilier le marché conclu par le CCAS de Lanester avec la pharmacie de Merville.

Par un jugement n° 1600661 du 6 juillet 2017, le tribunal administratif de Rennes a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 septembr

e 2017, la pharmacie Guillou, représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La pharmacie Guillou a demandé au tribunal administratif de Rennes, à titre principal, d'annuler le marché conclu entre le centre communal d'action sociale (CCAS) de Lanester et la pharmacie de Merville et, à titre subsidiaire, de résilier le marché conclu par le CCAS de Lanester avec la pharmacie de Merville.

Par un jugement n° 1600661 du 6 juillet 2017, le tribunal administratif de Rennes a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 septembre 2017, la pharmacie Guillou, représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 6 juillet 2017 ;

2°) d'annuler le marché conclu entre le centre communal d'action sociale (CCAS) de Lanester et la pharmacie de Merville ;

3°) de condamner le CCAS à verser à la pharmacie Guillou la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles mis à sa charge en première instance ;

4°) de mettre à la charge du CCAS de Lanester la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premier juges ont statué ultra petita en justifiant la passation du marché d'externalisation de la préparation des médicaments aux résidents des établissements médicaux sociaux sur l'article L. 5126-6-1 du code de la santé publique dès lors que le centre communal d'action sociale de Lanester n'a pas invoqué, dans ses écritures de première instance, l'application de cet article ;

- l'objet du marché ne correspond pas à un besoin tel que défini par les articles 1er et 5 du code des marchés publics ;

- le marché n'a pas été conclu à titre onéreux et méconnait l'article 1er du code des marchés publics ;

- le marché est illicite dès lors qu'il méconnait l'article L. 1110-8 du code de la santé publique et le principe de libre choix du pharmacien par les patients ;

- le marché méconnait l'article R. 4235-18 du code de la santé publique relatif à l'indépendance du pharmacien.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mars 2018, le centre communal d'action sociale de Lanester, représenté par MeC..., conclut au rejet de la requête de la pharmacie Guillou et à ce que soit mise à la charge de celle-ci la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 13 novembre 2018, prise en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative, la clôture d'instruction a été fixée avec effet immédiat.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics alors en vigueur ;

- le code de la santé publique ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Tiger-Winterhalter,

- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public,

- et les observations de Me A...pour la pharmacie Guillou et celles de Me B...pour le CCAS de Lanester.

Considérant ce qui suit :

1. En juin 2015, le centre communal d'action sociale (CCAS) de Lanester a lancé un appel d'offres ouvert en vue de la conclusion d'un marché public à bons de commande ayant pour objet la " fourniture et livraison de médicaments pour les résidents des établissements médico-sociaux de Lanester ". Par un courrier du 14 décembre 2015, le CCAS de Lanester a informé la pharmacie Guillou que l'offre qu'elle avait présentée n'avait pas été retenue. L'acte d'engagement signé le 11 janvier 2016 a attribué le marché en cause au groupement constitué de la pharmacie de Merville situé à Lorient et de la pharmacie Guénin située à la Trinité-sur-mer. La pharmacie Guillou a alors saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à l'annulation du marché conclu par le CCAS de Lanester ou, à titre subsidiaire, à sa résiliation. Par un jugement du 6 juillet 2017, dont la pharmacie Guillou relève appel, le tribunal administratif de Rennes a rejeté cette demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En rappelant que l'article L. 5126-6-1 du code de la santé publique autorise la catégorie des établissements médico-sociaux à signer avec un ou plusieurs pharmaciens titulaires, une ou des conventions relatives à la fourniture en médicament des personnes hébergées en leur sein, le tribunal administratif de Rennes s'est borné à préciser le cadre juridique dans lequel s'inscrit le marché litigieux, sans répondre à un moyen qui n'était pas invoqué, et n'a donc pas statué ultra petita. Le jugement attaqué n'est donc pas entaché d'irrégularité pour ce motif.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3 Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi. La légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer, ne peut être contestée qu'à l'occasion du recours ainsi défini. Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif ne peut ainsi, à l'appui d'un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

4. En premier lieu, selon l'article 1er du code des marchés publics alors en vigueur : " Les marchés publics sont les contrats conclus à titre onéreux entre les pouvoirs adjudicateurs définis à l'article 2 et des opérateurs économiques publics ou privés, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services. Lorsqu'un marché public a pour objet à la fois des services et des fournitures, il est un marché de services si la valeur de ceux-ci dépasse celle des fournitures achetées ". Aux termes de l'article 5 du même code alors en vigueur : " I. - La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant tout appel à la concurrence ou toute négociation non précédée d'un appel à la concurrence en prenant en compte des objectifs de développement durable. Le ou les marchés ou accords-cadres conclus par le pouvoir adjudicateur ont pour objet exclusif de répondre à ces besoins. ".

5. Il résulte de l'instruction que l'acte d'engagement du marché en cause indique que celui-ci concerne la " fourniture et livraison de médicaments pour les résidents des trois établissements médico-sociaux de Lanester ". Par ailleurs, selon les stipulations de l'article 1.1. du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché celui-ci a pour objet " la fourniture et la préparation des médicaments pour les résidents des trois établissements médico-sociaux par un pharmacien dispensateur aux fins d'organisation de la prestation pharmaceutique dans les meilleures conditions sanitaires et techniques ". En outre, l'article 1.1 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) stipule que le contrat " assure aux patients qui le souhaitent et qui ont mandaté à cette fin l'établissement où ils résident, l'organisation d'une prestation pharmaceutique qualifiée visant à la sécurisation du circuit du médicament au sein des trois établissements ainsi qu'au bon usage des médicaments ". De plus, le CCTP stipule que le titulaire du marché doit assurer la " dispensation des médicaments " (article 2.1), la " dotation en soins urgents " (article 2.3) ainsi que la " gestion des alertes sanitaires " (article 2.4). Enfin, il est constant que le marché litigieux assure la dotation des trois établissements gérés par le CCAS de Lanester en matière de produits pharmaceutiques. Dans ces conditions, l'objet du marché en cause vise essentiellement à satisfaire les besoins des établissements médico-sociaux gérés par le CCAS en produits pharmaceutiques ainsi que les besoins des résidents en fourniture et préparation de médicaments. Ainsi, la pharmacie Guillou ne peut sérieusement soutenir que le marché en cause ne viserait pas à satisfaire un besoin du pouvoir adjudicateur, alors même que la préparation des doses de médicaments à administrer doit être assurée par le pharmacien dispensateur et permet ainsi une réallocation des ressources humaines au sein des établissements concernés par l'économie du temps que les infirmières passaient à cette tâche.

6. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, en particulier du règlement de la consultation, que le montant annuel du marché est estimé à 100 000 euros HT. La rémunération du titulaire du marché est ainsi constituée, d'une part, par la facturation des médicaments aux résidents des trois établissements gérés par le centre communal qui ont souscrit au dispositif et, d'autre part, par la facturation aux établissements eux-mêmes des produits pharmaceutiques d'usage courant qui leur sont destinés, sur la base des prix unitaires prévus au bordereau annexé à l'acte d'engagement. Ainsi, eu égard à la part prépondérante que revêtent ces deux modalités de rémunération du titulaire du marché, celui-ci a été conclu à titre onéreux, conformément à l'article 1er du code des marchés publics, alors même que selon l'article 4 du CCAP " la préparation des médicaments par le pharmacien dispensateur revêt un caractère gratuit dans la mesure où les médicaments sont achetés par les résidents des trois établissements auprès de la pharmacie titulaire du marché " et qu'une trousse d'urgence, un stock tampon et un chariot d'urgence sont mis gracieusement mis à la disposition des établissements par la pharmacie titulaire du marché. Dès lors doit être écarté le moyen tiré de ce que le marché en cause n'aurait pas été conclu à titre onéreux.

7. En troisième lieu, selon l'article L. 1110-8 du code de la santé publique dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Le droit du malade au libre choix de son praticien et de son établissement de santé est un principe fondamental de la législation sanitaire. / Les limitations apportées à ce principe par les différents régimes de protection sociale ne peuvent être introduites qu'en considération des capacités techniques des établissements, de leur mode de tarification et des critères de l'autorisation à dispenser des soins remboursables aux assurés sociaux. ".

8. Il résulte de l'instruction, notamment du préambule du CCTP, que les résidents hébergés dans les trois établissements conservent leur droit fondamental au libre choix de leurs professionnels de santé, qu'ils peuvent, directement ou par l'intermédiaire de l'établissement, demander la dispensation à domicile des médicaments par le pharmacien d'officine de leur choix et que " En l'absence de choix personnel exprimé par le résident, les trois établissements peuvent exercer ce choix, en son nom, au titre d'un mandat express donné par le patient ou son représentant légal. ". Par ailleurs, les stipulations de l'article 1.2 de ce même cahier imposent que les établissements médico-sociaux expliquent aux résidents, à leurs proches et leurs médecins, " la politique de qualification de la prestation pharmaceutique sécurisée proposée au sein des établissements " et " recueillent le mandat de ceux désireux d'y souscrire ". Il résulte de ces stipulations que les résidents des établissements médico-sociaux gérés par le CCAS ont toujours la faculté de demander la dispensation des médicaments par le pharmacien d'officine de leur choix. Dans ces conditions le moyen tiré de ce que le contrat en cause serait illicite au motif qu'il méconnaîtrait le principe de libre choix du patient défini par l'article L. 1110-8 du code de la santé publique manque en fait et doit être écarté.

9. En quatrième lieu, selon l'article R. 4235-18 du code de la santé publique : " Le pharmacien ne doit se soumettre à aucune contrainte financière, commerciale, technique ou morale, de quelque nature que ce soit, qui serait susceptible de porter atteinte à son indépendance dans l'exercice de sa profession, notamment à l'occasion de la conclusion de contrats, conventions ou avenants à objet professionnel. ".

10. Il ne résulte pas de l'instruction que les conditions du marché porteraient atteinte à l'indépendance du pharmacien dispensateur, alors même que ce dernier s'engage à mettre gracieusement à disposition de chacun des trois établissements médico-sociaux concernés une trousse d'urgence, un stock tampon et un chariot d'urgence, dès lors qu'il résulte de ce qui a été dit au point 6 que la prestation ainsi sollicitée de l'attributaire du contrat ne peut être regardée comme dénuée d'une contrepartie adéquate.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la pharmacie Guillou n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation du marché conclu par le CCAS de Lanester

Sur les conclusions tendant au remboursement des frais d'instance mis à la charge de la pharmacie Guillou par le tribunal administratif de Rennes :

12. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a mis à la charge de la pharmacie Guillou une somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal administratif ait fait une inexacte appréciation du montant des frais exposés en première instance par le CCAS. Par suite, les conclusions de la requérante tendant au remboursement de la somme de 500 euros correspondant aux frais d'instance mis à sa charge par le tribunal doivent être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Il n'y a pas lieu de mettre à la charge du CCAS de Lanester, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, la somme que la pharmacie Guillou demande au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la pharmacie Guillou une somme de 1 000 euros à verser au CCAS de Lanester au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la pharmacie Guillou est rejetée.

Article 2 : La pharmacie Guillou versera au centre communal d'action sociale de Lanester la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la pharmacie Guillou, au centre communal d'action sociale de Lanester et à la pharmacie de Merville.

Délibéré après l'audience du 23 avril 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Tiger-Winterhalter, présidente assesseure,

- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 10 mai 2019.

La rapporteure,

N. Tiger-Winterhalter

Le président,

L. Lainé

La greffière,

V. Desbouillons

La République mande et ordonne au préfet du Morbihan en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 17NT02739 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 17NT02739
Date de la décision : 10/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Nathalie TIGER-WINTERHALTER
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : CABINET LEXCAP RENNES

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-05-10;17nt02739 ?
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