La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/04/2019 | FRANCE | N°18NT01771

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 23 avril 2019, 18NT01771


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...D...a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés du 2 février 2018 par lesquels le préfet de la Mayenne a décidé sa remise aux autorités italiennes et l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1801399 du 15 février 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er mai 2018, M.D..., représenté par Me B..., d

emande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 15 février 2018 ;
...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...D...a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés du 2 février 2018 par lesquels le préfet de la Mayenne a décidé sa remise aux autorités italiennes et l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1801399 du 15 février 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er mai 2018, M.D..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 15 février 2018 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 2 février 2018 du préfet de la Mayenne ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

s'agissant de la décision de remise aux autorités italiennes :

- la décision a été prise par une autorité incompétente ;

- la décision est insuffisamment motivée ;

- la décision est intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière, en méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- la décision a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision procède d'une application manifestement erronée de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui permet de déroger aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile, et porte atteinte au droit constitutionnel d'asile ;

s'agissant de la décision d'assignation à résidence : l'illégalité de la décision de remise aux autorités italiennes prive de base légale la décision d'assignation à résidence.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juin 2018, le préfet de la Mayenne conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par M. D...n'est fondé.

M. D...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 avril 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Besse a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M.D..., ressortissant camerounais né le 28 juin 1988, déclarant être entré irrégulièrement en France le 10 août 2017, a présenté une demande d'asile le 16 octobre 2017 auprès de la préfecture de la Loire-Atlantique. Les recherches effectuées sur le fichier Eurodac ont révélé que ses empreintes digitales avaient été précédemment relevées en Italie le 19 juin 2017. Les autorités françaises ont alors saisi les autorités italiennes le 17 octobre 2017 d'une demande de prise en charge de l'intéressé en application de l'article 13.1 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, que ces mêmes autorités ont implicitement acceptée. Par des arrêtés du 2 février 2018, le préfet de la Mayenne a décidé de remettre M. D...aux autorités italiennes et l'a assigné à résidence. M. D... relève appel du jugement du 15 février 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.

En ce qui concerne la décision de remise aux autorités italiennes :

2. En premier lieu, il y a lieu d'écarter, par adoption du motif retenu à bon droit par le magistrat désigné du tribunal administratif au point 2 de son jugement, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté de remise de M. D...aux autorités italiennes.

3. En deuxième lieu, en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil n° 604/2013 du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

4. L'arrêté prononçant la remise de M. D...aux autorités italiennes vise le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ainsi que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment son article L. 742-3. Il mentionne par ailleurs le caractère irrégulier de l'entrée en France de M.D..., rappelle le déroulement de la procédure suivie lorsque celui-ci s'est présenté devant les services de la préfecture de la Loire-Atlantique pour y solliciter l'asile, et précise que la consultation du système Eurodac a fait apparaître que l'intéressé était connu des autorités italiennes auprès desquelles il a été enregistré le 19 juin 2017. Il indique également que les autorités italiennes, saisies le 17 octobre 2017 d'une demande de prise en charge de l'intéressé, ont implicitement accepté cette prise en charge. Il en résulte que cet arrêté comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui le fondent, permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il a été fait application. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté litigieux doit être écarté.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".

6. Il ressort des pièces du dossier que M. D...a bénéficié le 16 octobre 2017, soit avant l'intervention de la décision contestée, d'un entretien individuel tel que prévu par les dispositions précitées de l'article 5 du règlement n° 604/2013. Cet entretien s'est tenu en français, que l'intéressé a déclaré comprendre. L'absence d'indication de l'identité, de la qualité et de la signature de l'agent ayant conduit l'entretien individuel, qui n'a pas privé l'intéressé de la garantie que constitue le bénéfice de cet entretien, ne permet pas de tenir pour établi que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national et dans des conditions qui n'en auraient pas garanti la confidentialité. Dès lors, le moyen tiré de la violation des dispositions précitées de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté.

7. En quatrième lieu, M.D..., qui se déclare célibataire et père d'un enfant vivant au Cameroun, ne séjourne sur le territoire français que depuis le mois d'août 2017, et la seule présence alléguée de deux de ses cousins en France ne saurait démontrer que l'arrêté contesté porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de 1'homme et des libertés fondamentales.

8. En cinquième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Par ailleurs, aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et qu'en principe, cet Etat est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

9. D'une part, si M. D...fait état de l'existence de défaillances systémiques affectant les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile en Italie, les documents qu'il produit à l'appui de ses allégations ne permettent pas de tenir pour établi que sa demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. D'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Mayenne n'aurait pas procédé à un examen complet et rigoureux de la situation de l'intéressé et des conséquences de son transfert en Italie en s'abstenant de tenir compte des difficultés de prise en charge des demandeurs d'asile dans ce pays confronté à un afflux massif de réfugiés. Par suite, doivent être écartés les moyens tirés de ce que, en ne faisant pas usage de la faculté d'instruire en France la demande d'asile de M. D..., le préfet de la Mayenne aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation et porté atteinte au droit constitutionnel d'asile du requérant.

En ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :

10. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté contesté : " I. - L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : 1° Doit être remis aux autorités compétentes d'un Etat membre de l'Union européenne en application des articles L. 531-1 ou L. 531-2 ou fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 (...) ". Il résulte de ces dispositions que le préfet peut prendre une mesure d'assignation à résidence à l'encontre d'un étranger qui fait l'objet d'une décision de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et qui présente des garanties propres à prévenir le risque de soustraction à l'exécution de la mesure d'éloignement.

11. Il résulte des points 2 à 9 du présent arrêt que M. D...n'est pas fondé à se prévaloir, à l'encontre de la décision prononçant son assignation à résidence, de l'illégalité de la décision ordonnant sa remise aux autorités italiennes.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. D...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 2 février 2018. Ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. C...D...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...D...et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise au préfet de la Mayenne.

Délibéré après l'audience du 26 mars 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Tiger-Winterhalter, présidente assesseure,

- M. Besse, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 23 avril 2019.

Le rapporteur,

P. BesseLe président,

L. Lainé

Le greffier,

M. A...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT01771


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT01771
Date de la décision : 23/04/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Pierre BESSE
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : POULARD

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-04-23;18nt01771 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award