Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B...a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner l'Etat à réparer les préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la perte de certains de ses effets personnels lors de son transfert du centre pénitentiaire de Réau vers celui de Caen.
Par un jugement n° 1301636 du 13 novembre 2014, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 15NT01069 du 17 mars 2017, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé ce jugement et condamné l'Etat à verser à M. B...la somme de 17,60 euros.
Par une décision n° 413621 du 11 juillet 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'article 3 de cet arrêt en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de la requête de M. B...et a, dans cette mesure, renvoyé l'affaire devant la cour.
Procédure devant la cour après cassation :
Par un mémoire enregistré le 27 septembre 2018 M. B..., représenté par MeA..., demande à la cour :
1°) d'enjoindre à l'Etat de " prendre toutes les mesures d'investigation de nature à permettre de retrouver les documents disparus " ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 117,60 euros au titre de son préjudice matériel et de 20 millions d'euros en réparation de son préjudice moral ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- en ne dressant pas un inventaire des biens en sa possession, l'administration pénitentiaire a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
- son préjudice matériel doit être évalué à 117,60 euros ;
- son préjudice moral, lié en particulier à la perte de documents qui lui étaient nécessaires pour obtenir la révision de son procès, s'établit à 20 millions d'euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 janvier 2019, la garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir qu'elle ne conteste que le préjudice moral demandé et que les moyens soulevés par M. B...le concernant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Berthon,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant M.B....
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., qui était détenu à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, a été provisoirement transféré le 13 avril 2012 au centre pénitentiaire de Réau avant de rejoindre, le 16 avril suivant, le centre pénitentiaire de Caen. Il a saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande de réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la perte d'une partie de ses effets personnels lors de son transfert à Caen. Par un jugement du 13 novembre 2014, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande. La cour administrative d'appel de Nantes a, par un arrêt du 17 mars 2017, annulé ce jugement, condamné l'Etat à verser 17,60 euros à M. B... en réparation de son préjudice matériel et, à l'article 3 de son arrêt, rejeté le surplus des conclusions de sa requête. Par une décision n° 413621 du 11 juillet 2018, le Conseil d'Etat a annulé cet article et a renvoyé dans cette mesure l'affaire devant la cour administrative d'appel de Nantes.
Sur les conclusions indemnitaires :
2. La responsabilité de l'Etat en cas de dommage aux biens des personnes détenues peut être engagée lorsque ce dommage est imputable, en tenant compte des contraintes pesant sur le service public pénitentiaire, à une carence de l'administration dans la mise en oeuvre des moyens nécessaires à la protection de ces biens.
3. Dans le cas particulier du transfert d'un détenu, il incombe aux chefs des établissements de départ et d'arrivée de prendre les mesures nécessaires à la protection de ses biens. Aux termes de l'alinéa 2 de l'article D. 340 du code de procédure pénale, dans sa rédaction applicable au litige, dont les dispositions sont également reprises au IV de l'article 24 de l'annexe à l'article R. 57-6-18 du même code : " Lorsque le détenu est transféré, les objets lui appartenant sont déposés contre reçu entre les mains de l'agent de transfèrement s'ils ne sont pas trop lourds ou volumineux ; sinon, ils sont expédiés à la nouvelle destination du détenu aux frais de ce dernier ou sont remis à un tiers désigné par lui, après accord du chef d'établissement ". Il découle de l'obligation de protéger les biens des détenus qu'en cas de transfert, le reçu, prévu par les dispositions précitées, remis à l'agent de transfèrement ainsi que, le cas échéant, au responsable de l'expédition des objets, doit, sauf urgence, être accompagné de l'inventaire précis de l'ensemble des objets personnels du détenu, dressé contradictoirement avec ce dernier.
4. Il est constant qu'aucun inventaire des effets personnels de M. B...n'a été dressé par l'administration pénitentiaire à l'occasion de son transfert au centre pénitentiaire de Caen. Par suite, et dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction, et n'est d'ailleurs pas allégué par l'administration, que des considérations d'urgence auraient fait obstacle à ce que soit remplie cette obligation, l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
5. D'une part, il résulte de l'instruction que certains des effets personnels de M. B...ont été perdus par l'administration, ce dont l'intéressé s'est d'ailleurs plaint dès son arrivée au centre pénitentiaire de Caen. Il y a lieu, en l'absence de toute contestation sur ce point par l'administration, d'accorder à l'intéressé la totalité de la somme demandée par lui au titre de son préjudice matériel, soit 117,60 euros. Compte tenu de la somme allouée par l'article 2 de l'arrêt n° 15NT01069 de la cour du 17 mars 2017, confirmé par le Conseil d'Etat dans sa décision du 11 juillet 2018, l'Etat doit en conséquence être condamné à verser à M. B...la somme complémentaire de 100 euros.
6. D'autre part, s'agissant de l'indemnisation du préjudice moral, si M. B...demande la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice moral résultant de la perte de chance de voir son procès révisé en raison de la perte de divers documents administratifs, il ne justifie pas que la perte de ces documents, à savoir selon lui des avis d'imposition, un certificat d'éducation, un rapport d'expertise psychiatrique, des décisions juridictionnelles et divers documents relatifs à sa situation juridique, l'aurait empêché d'obtenir la révision de son procès. Il y a lieu néanmoins de retenir comme indemnisable le préjudice moral subi par l'intéressé du fait de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de disposer des pièces égarées. Ce préjudice sera justement évalué en condamnant l'Etat à lui verser la somme de 1 000 euros.
7. Il résulte de ce qui précède que M. B...est fondé à demander la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité complémentaire de 1 100 euros.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
9. En dehors des cas expressément prévus par des dispositions législatives particulières, inapplicables en l'espèce, du code de justice administrative, il n'appartient pas au juge administratif d'adresser des injonctions à l'administration. Les conclusions de M. B... tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration pénitentiaire de " prendre toutes les mesures d'investigation de nature à permettre de retrouver les documents disparus " n'entrent pas, notamment, dans les prévisions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative. Elles sont, par suite, irrecevables.
Sur les frais de l'instance :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à M. B...une somme complémentaire de 1 100 euros.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B...est rejeté.
Article 3 : L'Etat versera à M. B...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B...et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 28 février 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Phémolant, présidente de la cour,
- M. Berthon, premier conseiller,
- Mme Le Bris, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 21 mars 2019.
Le rapporteur,
E. BerthonLe président,
B. Phémolant
Le greffier,
M. C...
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT02683