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01/03/2019 | FRANCE | N°18NT01467

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 01 mars 2019, 18NT01467


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les arrêtés du 6 décembre 2017 par lesquels la préfète de la Loire-Atlantique a décidé sa remise aux autorités allemandes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement 1710855 du 11 décembre 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requ

ête, enregistrée le 12 avril 2018 sous le n° 18NT01467, M. A...E..., représenté par Me C...D..., de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les arrêtés du 6 décembre 2017 par lesquels la préfète de la Loire-Atlantique a décidé sa remise aux autorités allemandes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement 1710855 du 11 décembre 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 avril 2018 sous le n° 18NT01467, M. A...E..., représenté par Me C...D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1710855 du 11 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 6 décembre 2017 par lesquels la préfète de la Loire-Atlantique a décidé sa remise aux autorités allemandes et l'a assigné à résidence ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les arrêtés du 6 décembre 2017 par lesquels la préfète de la Loire-Atlantique a décidé sa remise aux autorités allemandes et l'a assigné à résidence ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique de réexaminer sa demande d'admission au séjour au titre de l'asile et de lui délivrer une attestation de demande d'asile valant autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision de réadmission vers l'Allemagne méconnaît le droit à l'information prévu par l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors que le préfet ne justifie pas avoir remis l'ensemble des informations exigées ;

- la décision de réadmission méconnaît l'article 5 du règlement n° 604/2013 dès lors que la préfète n'apporte pas la preuve que les conditions de l'entretien ont été respectées, le compte-rendu d'entretien ne comportant aucune mention sur la personne ayant mené l'entretien et n'étant signé que par le demandeur d'asile ;

- la décision de réadmission méconnaît l'article 19 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors que les autorités allemandes ont été saisies d'une demande de reprise en charge le 8 novembre 2017, soit plus de trois mois après qu'il a quitté l'Allemagne ;

- la décision d'assignation à résidence est illégale en raison de l'illégalité de la décision de remise aux autorités allemandes.

Par un courrier du 10 janvier 2019, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la cour était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office suivant : " Non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête en raison de l'expiration du délai de 6 mois prévu au 1 de l'article 29 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013, dès lors qu'il ne ressort des pièces du dossier ni que ce délai aurait été prolongé dans les conditions prévues au 2 du même article, ni que la décision de transfert aurait reçu exécution pendant sa période de validité. Application de la décision du Conseil d'Etat n°420708 " Mme K. et M. T. " du 24 septembre 2018 selon laquelle le délai de six mois mentionné au paragraphe précédent recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur la demande dont il a été saisi. Cette jurisprudence implique donc que ni l'appel de ce jugement, ni même la circonstance que le juge d'appel en ait ordonné le sursis à exécution n'est de nature à interrompre le délai en question et que l'expiration de ce délai impose que la France est devenue l'Etat responsable de la demande. ".

M. A...E...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 mars 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lainé, président de chambre ;

- les conclusions de M. Sacher, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A...E..., ressortissant algérien né le 21 août 1991, déclare être entré de manière irrégulière le 1er février 2017 en France, où il a sollicité l'asile auprès des services de la préfecture de la Loire-Atlantique le 7 novembre 2017. La consultation du fichier " Eurodac " ayant révélé qu'il avait sollicité l'asile en Allemagne le 8 janvier 2015, la préfète de la Loire-Atlantique a sollicité sa reprise en charge le 8 novembre 2017 par les autorités allemandes, lesquelles l'ont explicitement acceptée le 14 novembre 2017 sur le fondement de l'article 18.1.d) du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par deux arrêtés du 6 décembre 2017, notifiés le jour même, la préfète a décidé, d'une part, la remise aux autorités allemandes de l'intéressé, et, d'autre part, son assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. M. E... relève appel du jugement n° 1710855 du 11 décembre 2017 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de ces deux arrêtés.

2. Le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 fixe, à ses articles 7 et suivants, les critères à mettre en oeuvre pour déterminer, de manière claire, opérationnelle et rapide l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile. La mise en oeuvre de ces critères peut conduire, le cas échéant, à une demande de prise ou reprise en charge du demandeur, formée par l'Etat membre dans lequel se trouve l'étranger, dénommé " Etat membre requérant ", auprès de l'Etat membre que ce dernier estime être responsable de l'examen de la demande d'asile, ou " Etat membre requis ". En cas d'acceptation de ce dernier, l'Etat membre requérant prend, en vertu de l'article 26 du règlement, une décision de transfert, notifiée au demandeur, à l'encontre de laquelle ce dernier dispose d'un droit de recours effectif, en vertu de l'article 27, paragraphe 1, du règlement. Aux termes du paragraphe 3 du même article : " Aux fins des recours contre des décisions de transfert ou des demandes de révision de ces décisions, les États membres prévoient les dispositions suivantes dans leur droit national : / a) le recours ou la révision confère à la personne concernée le droit de rester dans l'État membre concerné en attendant l'issue de son recours ou de sa demande de révision (...) ". Aux termes de l'article 29, paragraphe 1, du règlement, le transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".

3. Par ailleurs, aux termes du premier alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen ". Aux termes du I de l'article L. 742-4 du même code : " L'étranger qui a fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742-3 peut, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. / Le président ou le magistrat qu'il désigne à cette fin (...) statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine (...) ". En vertu du II du même article, lorsque la décision de transfert est accompagnée d'un placement en rétention administrative ou d'une mesure d'assignation à résidence notifiée simultanément, l'étranger dispose d'un délai de 48 heures pour saisir le président du tribunal administratif d'un recours et ce dernier dispose d'un délai de 72 heures pour statuer. Aux termes du second alinéa de l'article L. 742-5 du même code : " La décision de transfert ne peut faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration d'un délai de quinze jours ou, si une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 551-1 ou d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 a été notifiée avec la décision de transfert, avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures, ni avant que le tribunal administratif ait statué, s'il a été saisi ". L'article L. 742-6 du même code prévoit que : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé ".

4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement éventuellement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté de la préfète de la Loire-Atlantique du 6 décembre 2017 portant remise de M. E...aux autorités allemandes est intervenu moins de six mois après l'accord de l'Allemagne pour sa reprise en charge, dans le délai d'exécution du transfert fixé par l'article 29 du règlement du 26 juin 2013. Ce délai a toutefois été interrompu par l'introduction, par M.E..., d'un recours contre cet arrêté présenté sur le fondement de l'article L. 742-4 du CESEDA. Un nouveau délai de six mois a recommencé à courir à compter du jugement du tribunal administratif de Nantes du 11 décembre 2017 rejetant la demande de l'intéressé tendant à l'annulation des arrêtés du 6 décembre 2017 par lesquels la préfète de la Loire-Atlantique a décidé sa remise aux autorités allemandes et l'a assigné à résidence.

6. Eu égard aux termes du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, il importe de déterminer si le délai de six mois, dans lequel la décision de remise à l'Etat membre responsable doit être en principe exécutée, a en l'espèce été prolongé ou non, en particulier si le demandeur d'asile a été déclaré en fuite. À cet effet, par un courrier du 13 juin 2018, portant en objet " Lettre de rappel et mesure d'instruction ", il a été demandé à la préfète de la Loire-Atlantique d'informer la cour de l'éventuelle exécution de la décision de transfert dans le délai règlementaire, de la prolongation ou non du délai de six mois fixé par le paragraphe 2 de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, ou si l'intéressé avait finalement été admis à présenter sa demande d'asile en France. Par un nouveau courrier du 5 décembre 2018, la même demande d'information a été réitérée, assortie d'un rappel de la jurisprudence issue de la décision du Conseil d'Etat du 24 septembre 2018 Mme B...et M. F...(n° 420708) selon laquelle le délai de six mois recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur la demande dont il a été saisi et, à l'expiration de ce délai de six mois, la France devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Enfin, par un autre courrier du 10 janvier 2019, a été communiqué aux parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, le moyen d'ordre public susvisé.

7. Le préfet de la Loire-Atlantique n'a répondu à aucun des courriers mentionnés au point 6. Dans ces conditions, en l'absence de toute information selon laquelle il aurait été prolongé, le délai de droit commun de six mois prévu par le 2 de l'article 29 précité doit être regardé comme le seul applicable. Or, il résulte de ce qui a été dit au point 5 qu'il a expiré le 11 juin 2018. L'expiration de ce dernier délai a pour conséquence, par application de ces mêmes dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, que l'Allemagne a été libérée de son obligation de reprendre en charge le demandeur. Par suite, compte tenu de l'expiration du délai de six mois qui avait commencé à courir à compter du 11 décembre 2017, la France est devenue responsable de la demande de protection internationale de M. A...E...et il incombe au préfet de la Loire-Atlantique d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale pour lui permettre de saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de l'admettre provisoirement au séjour à cet effet.

8. Du fait de l'expiration du délai susmentionné dans lequel elle devait être exécutée, la décision de remise aux autorités allemandes prise le 6 décembre 2017 par la préfète de la Loire-Atlantique est ainsi réputée caduque. Par voie de conséquence, il en est de même s'agissant de la décision d'assignation à résidence qui en est l'accessoire et qui n'est prise que pour permettre son exécution. Il en résulte que la requête susvisée de M. A...E...a perdu son objet. Ainsi, il n'y a plus lieu de statuer sur ses conclusions à fin d'annulation et d'injonction.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. M. A...E...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Moreau-Talbot, avocate de M.E..., d'une somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 18NT01467 de M. E....

Article 2 : L'Etat versera à Me Moreau-Talbot, conseil de M. A...E..., la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E...et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera adressée pour information au préfet de la Loire-Atlantique.

Délibéré après l'audience du 5 février 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller,

- M. Besse, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 1er mars 2019.

Le président de chambre, rapporteur,

L. LAINÉ

L'assesseur le plus ancien dans le grade le plus élevé,

M.P. ALLIO-ROUSSEAU

Le greffier,

V. DESBOUILLONS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT01467


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT01467
Date de la décision : 01/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Laurent LAINE
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : MOREAU-TALBOT

Origine de la décision
Date de l'import : 05/03/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-03-01;18nt01467 ?
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